
Dans quelles conditions peut-on pratiquer l'euthanasie en Belgique?

Trois médecins comparaissent sur le banc des accusés pour empoisonnement sur la personne de Tine Nys en avril 2010. Âgée de 38 ans, la jeune femme avait demandé l’euthanasie. On leur reproche des manquements d’ordre administratif ainsi que la nonchalance avec laquelle l’euthanasie a été prodiguée (pas de pansement pour fixer l’aiguille dans le bras de la patiente, baxter mal fixé qui finit par tomber sur son visage, et le docteur termine son intervention en proposant à la famille d’utiliser son stéthoscope pour constater eux-mêmes le décès).
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« Un moment important pour tous »
Les sœurs de Tine l’ont dit : elles ne font pas le procès de l’euthanasie, mais bien d’une situation particulière qui, selon elles, sort du cadre légal. Mais pour Jacqueline Herremans, avocate et présidente de l'Association belge pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), l'image de la pratique en prendra de toute manière un coup dans l'opinion. "Des personnes vont soutenir qu'il y a des dérives et que ce procès en est la preuve."
La présidente de l'ADMD ne peut excuser les fautes techniques qui ont été commises, car "une euthanasie c'est un moment important qui doit être bien préparé par le médecin, tant par rapport aux patients que par rapport aux proches qui seront éventuellement présents. On n'improvise pas, on doit être sûr que tout soit prêt pour qu'il n'y ait pas de faute technique", justifie-t-elle. Et ça n'a pas été le cas pour Tine Nys. Mais aux yeux de la présidente de l'ADMD, cela ne mérite pas un procès en cour d'assises.
Multiples conditions
Tine Nys avait demandé à être euthanasiée pour souffrances psychiques. Un cas bien particulier. Les demandes d'euthanasie sur base de troubles mentaux ou de comportements ne représentent que 1,8 % des cas de déclarations d'euthanasie.
"Pour accomplir une euthanasie en Belgique, trois conditions sont essentielles. La première est la demande du patient, qui doit être claire, volontaire, réfléchie et répétée et sans pression extérieure. La deuxième est que le patient souffre d'une affection grave ou incurable, et la troisième, c'en sont les conséquences, c'est-à-dire les souffrances psychiques ou physiques inapaisables", explique Jacqueline Herremans. "En ce qui concerne les affections psychiatriques, la loi n'ouvre la possibilité de l'euthanasie qu'aux adultes, pas pour les enfants. Il est souvent plus difficile d'apposer un diagnostic psychiatrique pour désigner la maladie dont est atteinte la personne. Contrairement à un cancer par exemple, il n'y a pas de marqueurs objectifs qui permettent d'établir qu'elle est atteinte d'un mal incurable. C'est différent, et il faut donc se donner plus de temps pour bien évaluer la situation, pour voir s'il n'y a pas un traitement qui a fait ses preuves et qui n'a pas encore été proposé au patient."
Il y a en outre des conditions de procédure et de forme. Il faut toujours l'avis indépendant d'un médecin qui doit s'interroger sur le caractère grave et incurable du mal dont souffre le patient et sur le caractère inapaisable des souffrances physiques ou psychiques. Pour tous les cas. "Quand le décès n'est pas prévisible à brève échéance, d'autres conditions s'ajoutent encore. Il faut encore avoir l'avis d'un spécialiste de la pathologie concernée ou d'un psychiatre. Plusieurs spécialistes vont s'interroger sur la qualité de la demande (est-ce qu'elle n'est pas induite par un état passager de la dépression - NDLR) et également sur le caractère inapaisable des souffrances. Et la personne la mieux placée pour les estimer, c'est le patient lui-même, à l'aune de la discussion qu'il peut avoir avec le professionnel. Au cours de ce dialogue, d'autres solutions peuvent être proposées et permettront peut-être d'alléger les souffrances et d'encourager la personne à renoncer temporairement ou non à sa demande d'euthanasie. Ce dialogue doit toujours être conclu dans l'esprit que les souffrances du patient ne doivent pas être supérieures à ce que peut apporter la vie. C'est très difficile à établir."
Au niveau de la procédure, une fois que l'euthanasie est accomplie, il faut que le médecin en fasse la déclaration dans les quatre jours ouvrables auprès de la commission d'évaluation et contrôles. C'est un autre manquement qui est reproché aux assises de Gand. Le dossier de Tine est arrivé 51 jours après son décès...
Quid du « suicide assisté » ?
L'euthanasie se produit soit sous perfusion (intraveineuse) ou, si la chose est physiquement possible pour le patient, par la prise d'un sirop de barbituriques en présence du médecin qui le lui a fourni et qui doit rester à son chevet jusqu'à la constatation de son décès. "Les patients posent alors un geste plus important, ils ont le sentiment d'être acteurs. Mais ces cas sont relativement rares... Le cas le plus fréquent reste l'intraveineuse", explique Jacqueline Herremans. "C'est plus facile à contrôler et à maîtriser de cette façon. Le sirop ne donne pas un effet immédiat, et il faut rester constamment à côté de la personne à attendre. Avec cette méthode, certains parlent plutôt de suicide assisté."
Une notion pas vide de sens. L'euthanasie pour mettre un terme à des souffrances est-elle un suicide ? "Personnellement, je trouve qu'on peut aussi parler de suicide assisté en évoquant la notion de "vie accomplie". C'est-à-dire des personnes qui ne présentent pas d'affections médicales, mais qui estimeraient qu'ajouter des jours, des semaines, des mois ou des années à leur vie n'a plus aucun sens. À l'heure actuelle c'est un débat – qui a commencé aux Pays-Bas il y a quelques années – et il n'y a toujours pas eu d'issue jusqu'à présent à ce débat." Le problème dans ce cas est celui-ci : quel médecin accepterait de poser un tel acte pour une personne en bonne santé ? "Il y a vraiment un obstacle de la part du corps médical, ne fût-ce qu'au niveau de la prescription des médicaments. Pour l'instant, on n'en est vraiment pas encore là."