
Enquête chez les guérisseurs, rebouteux et mystérieux thérapeutes du 21ème siècle

Est-ce de la folie? Un retour au Moyen Âge? Le journaliste de L’Avenir, Philippe Carrozza, est parti à la rencontre de cet univers fascinant, déroutant et très secret, celui des rebouteux, de ceux qui “boutent les maux dehors”. Il signe deux ouvrages. Le premier fut un succès au point que les guérisseurs cités ont parfois été débordés de demandes. La nouvelle enquête élargit le spectre en s'intéressant aussi aux bioénergéticiens, hypnothérapeuthes, maîtres reiki, sophrologues, sylvothérapeutes (la guérison par les arbres) et même aux chamanes. “C’est un vrai tabou dont personne ne parle. Et pourtant quand on en discute autour de soi, on constate que chacun connaît quelqu’un qui a fait un jour appel à ces personnes qui ont un don.”
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Le journaliste a dû apprivoiser les rebouteux, les convaincre de parler. Cela a pris du temps. Une porte s’est ouverte, puis une autre. Les rebouteux exercent dans un monde parallèle et silencieux, loin de toute publicité et mercantilisation. Un public de plus en plus large s'intéresse à ces guérisseurs. Avec l'envie de savoir ce qui peut bien se passer pour que ça marche. Lors de multiples conférences, le journaliste a été assailli de questions. « Le point commun c'est l'utilisation de l'énergie, d'une force supérieure qui passe par une connection entre le guérisseur et la personne blessée ou malade », explique Philippe Carrozza. « Mais cela reste très mystérieux ».
Aussi nombreux en ville qu'à la campagne
Il n’existe en réalité quasiment pas de recherche académique sur ces pratiques. Sociologues et anthropologues se sont montrés très frileux pour répondre à nos questions. Des historiens et des folkloristes ont bien consacré ici ou là des articles dans des revues locales. Mais c’est tout. Alors qui sont-ils? Parmi ceux qui pratiquent, il y a autant de jeunes que de plus âgés. “Ils ont le désir d’exploiter un don qu’ils se sont découvert dans diverses circonstances. Peut-être aussi le désir d’exercer une profession probablement passionnante et résolument bénéfique”, définit Olivier Schmitz, le seul véritable expert francophone belge en la matière.
On ne les trouve plus de nos jours seulement à la campagne. Ils sont tout aussi nombreux en ville. On dit qu’ils sont 4.000 en Wallonie et à Bruxelles. Mais le chiffre est invérifiable. Les rebouteux sont les plus marginaux des thérapeutes alternatifs. Ils ne font pas de publicité. Dans les villages les plus reculés de la province de Luxembourg, on en trouve jusqu’à trois pour quelques centaines d’âmes. Leur don fait toujours appel à une force supérieure, un ange gardien ou Dieu qui gouverne notre âme. En invoquant par le langage diverses énergies, ils mobilisent chez leurs patients d’autres forces insoupçonnables qui les amènent à se positionner différemment à l’égard de ce qui leur arrive, ce qui les aide à mieux le supporter, dirait-on. Oui, mais... “Qu’est-ce qui se passe au moment où le guérisseur fait son incantation? Je ne sais pas. Certains disent que c’est religieux, d’autres que c’est de la magie blanche. Peut-être bien. Mais ce que j’ai constaté, c’est que ça marche”, témoigne le journaliste.
Ils apaisent les souffrances
Même son de cloche chez Olivier Schmitz qui les a observés pendant plusieurs années.“Aujourd’hui encore, je ne pense pouvoir vous offrir que quelques pistes de réponses.” Les clients des guérisseurs vont les trouver en même temps qu’ils continuent à consulter leur médecin. “L’action des guérisseurs relève en grande partie de l’apaisement des douleurs, tant physiques que psychiques… Ils donnent davantage de sens à la maladie qu’ils ne la guérissent, témoigne Olivier Schmitz. Je n’ai jamais rencontré de guérisseur prétendant pouvoir guérir un cancer, par exemple, mais tous leurs patients disent qu’ils les ont pourtant aidés à affronter le cancer ou à mieux supporter ces traitements…”
Philippe Carrozza poursuit: “L’ouverture est plus grande aujourd’hui qu’il y a vingt ans où les médecins auraient sans doute poursuivi les rebouteux pour pratique illégale. Les rebouteux eux-mêmes, et tous me l’ont dit, viennent en complément aux traitements de la médecine classique. Et même dans les facs de médecine, aujourd’hui, on s’ouvre tout doucement à des pratiques alternatives à l’allopathie”. Des médecins fournissent les contacts de certains guérisseurs. Un hôpital luxembourgeois, un autre à Toulouse ou en Suisse ont aujourd’hui sous la main le numéro d’un barreur de feu ou d’un guérisseur. Même si pour beaucoup de médecins, ces pratiques relèvent toujours de l’effet placebo et de l’autosuggestion, les guérisseurs jouissent d’une grande légitimité et ils occupent incontestablement une place dans le paysage des soins de santé, certes dans ses marges.
“On pourrait voir le recours aux guérisseurs par nos contemporains comme un symptôme du fonctionnement de la médecine d’aujourd’hui, souvent décrite comme plus techniciste et spécialisée… Je préfère penser que les guérisseurs répondent tout simplement à une demande qui ne s’adresse pas aux médecins”, estime Olivier Schmitz, anthropologue et chercheur à l’UCL. “On voit donc très bien que les soins prodigués par ces thérapeutes forment un éventail très large qui ne recouvre que partiellement celui des maladies prises en compte par la médecine moderne, et qui répond à des demandes d’un autre ordre que celles pour lesquelles on s’adresse au médecin, au kinésithérapeute ou au pharmacien”, conclut Olivier Schmitz.
« Rebouteux et médecine alternative. Allègent-ils votre pharmacie ? », Une nouvelle enquête inédite et suprenante chez les rebouteux, bioénergéticiens, hypnothérapeutes, maîtres reiki, sophrologues, sylvothérapeute, chamane. Philippe Carrozza, éditions Weyrich.