
Écoles délabrées : quand les élèves haussent le ton

L’image reste insolite. Il faut que dire que des élèves qui font grève ou manifestent pour des salles de classe correctes: cela n'arrive pas tous les jours. Il ne s’agit pourtant pas d’un cas isolé, mais d’un phénomène qui prend de l’ampleur. Il y a bien sûr l’Athénée royal Toots Thielemans à Molenbeek. Voilà cinq mois que les élèves sont privés d’ateliers de mécanique. Environ 400 d'entre eux ont protesté pacifiquement la matinée du mardi 14 janvier. Une cinquantaine ont ensuite remis le couvert cette semaine. Mais il y a aussi la centaine de rhétos du Sacré-Coeur de Mons partis en grève le 21 janvier dernier. S'en est suivie une descente de police dans l’école, puis l'arrivée d'un huissier de justice pour relever l’identité des élèves grévistes. À Ganshoren, profs et élèves ont formé, le 16 octobre dernier, une chaîne humaine pour dénoncer les problèmes d’insalubrité. En novembre, le mouvement de grogne concernait l’Athénée provincial de La Louvière, tandis que la police est intervenue en décembre à l’Athénée Andrée Thomas, à Forest.
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Une situation catastrophique
Les écoles concernées se trouvent véritablement dans un état de vétusté très avancé, voire indécent. Moustique a mis la main sur un rapport rédigé par un conseiller prévention responsable des bâtiments du réseau Wallonie-Bruxelles Enseignement à Bruxelles. Le document date de 2017, mais on assure du côté syndical que la situation a globalement empiré. Les observations qui concernent 19 athénées de la capitale font froid dans le dos. Risques d’effondrement du plafond dans des classes de primaire, portes de secours cassées, toits qui fuient, sol délabré, ou encore douches condamnées dans les vestiaires : le rapport a tout d'un catalogue des horreurs. Dans une école anderlechtoise, il est aussi question de « fuites de gaz dans les canalisations » et « murs humides », et de « danger avec la façade et la toiture» à Koekelberg. Les annotations sont très souvent marquées en rouge avec la mention « urgent ». Une urgence qui semble donc perdurer. Les dangers liés aux toits, les profs et les élèves de Ganshoren en savent quelque chose. Une plaque du plafond s'était effondrée, à l'automne, dans une classe, près de la tête d’un professeur. « La situation est tout simplement catastrophique. Imaginez qu’il y a même une école avec deux toilettes pour 400 élèves », souligne le permanent régional CSC Fabrice Pinna. C'est bien simple : environ 40% des bâtiments pourraient même fermer dans les 10 prochaines années si rien n'est fait.
Les adultes aussi en colère
La grogne des élèves ne sort pas de nulle part. Enseignants et parents montent aussi au créneau. Pour la première fois, en décembre dernier, un arrêt de travail d'une heure a même été observé dans la majorité des athénées de la capitale. « À Toots Thielemans, ce sont vraiment les élèves qui ont lancé le mouvement. Certains n’ont plus cours de mécanique depuis des mois. Ils sont évidemment en colère. Ce qui se passe est dramatique pour cette école, car ces élèves ne voudront plus se réinscrire l’année prochaine et on peut les comprendre. L’avenir de cette école est en danger alors que les autorités savaient pour cette absence de locaux », explique Fabrice Pinna. Pour les professeurs, la situation est d’autant plus pénible que ces conditions de travail indécentes se conjuguent avec les inquiétudes autour du Pacte d’excellence, glisse Valérie Denayer, de la CGSP. Pour Fabrice Pinna, la situation de l’école fondamentale Les Goujons conforte désormais le corps professoral dans l'idée qu'il faut hausser le ton : «L’école se trouvait dans un hangar sans fenêtres, ni toiture non isolée. Il y a eu des actions des enseignants et l’école a alors bénéficié d’un subside pour la réfection d'un bâtiment voisin. Lequel était destiné… à une autre école. Certaines écoles ont compris qu’il fallait peut-être faire du bruit pour être entendu ».
Un salutaire mouvement de contestation
Les élèves qui se mettent en grève ou manifestent pour des bâtiments scolaires décents : faut-il s’en inquiéter ? Pas du tout et il faut s’en féliciter. Que ce soit l’association des parents dans l’enseignement officiel (Fapeo), la CSC ou le délégué aux droits de l’homme de l’enfant, Bernard De Vos, on trouve au contraire très sain et positif que les jeunes se mobilisent pour une école de qualité. « La situation des bâtiments scolaires est très préoccupante. Je reçois beaucoup de retours sur le terrain en ce sens. Les parents aussi ne sont pas contents de la situation et comprennent leurs enfants », explique Véronique de Thier, de la Fapeo. « La situation est tout indécente dans de nombreuses écoles. On peut parfois parler de mouroirs ! Comment ne pas comprendre la mobilisation dans certains établissements », insiste Bernard De Vos. Fabrice Pinna renchérit : « On dit toujours que les jeunes ne se mobilisent pas, mais on voit que ce n’est pas vrai sur le climat et l’état des écoles».
Un plan Marshall scolaire
Du côté politique, on assure avoir pris conscience de la gravité de la situation. Les deux nouveaux ministres, Caroline Désir (PS) pour l’Enseignement, et Frédéric Daerden (PS) pour le Budget et la tutelle de Wallonie-Bruxelles Enseignement, expliquent avoir découvert celle-ci avec surprise. Il est vrai qu’ils viennent d’entrer au gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il reste néanmoins à préciser que le monde politique était bien au courant de la situation. Voilà des années que les dossiers et les rapports s’empilent et prennent la poussière sur des bureaux ministériels. Frédéric Daerden a en tout cas annoncé l'arrivée prochaine d'un plan Marshall scolaire pour rénover les bâtiments. Le socialiste parle même de plus d’un milliard d’euros d’investissements. Un chiffre qu’il a donné dans la presse et il s'agira donc dans les prochains mois de passer de la communication à la concrétisation. Un défi de taille au regard des caisses de la Fédération Wallonie-Bruxelles complètement vides.
Vers un système scolaire à deux vitesses ?
Le problème s’avère surtout aigu au sein du réseau Wallonie-Bruxelles Enseignement, en d’autres termes celui de la Communauté française. « Il y a eu un vrai problème de gestion depuis des années », observe Bernard De Vos. Voilà en effet des années que le bateau dérive, faute d’un vrai patron aux commandes. Le problème d’argent est réel, mais les problèmes de gestion aussi. « À l’Athénée Uccle 2, ils ont refait une nouvelle cuisine et installé des panneaux solaires sur le toit. Mais certaines salles de classe restent dans un très mauvais état. Je ne sais pas s’ils ont fait les bonnes priorités », lâche Fabrice Pinna. Une certitude : les bâtiments s’avèrent globalement dans un meilleur état dans le réseau libre. Dans certaines écoles, c’est aussi parce que les parents sont prêts à mettre la main au portefeuille. À l’Ecole Active, qui a vu le jour en 2014 à Uccle, l’association Les amis de l’Ecole Active invite chaque année les parents à contribuer financièrement à l’entretien des bâtiments. En 2016, le montant annuel de la cotisation dite solidaire s'élevait à 1.200 euros. Le cas est loin d'être isolé. Dans ce réseau, la Fédération Wallonie-Bruxelles prend en charge le salaire des enseignants et quelques frais de fonctionnement, mais ne s’occupe pas des murs des bâtiments. Le manque à gagner est donc comblé par les contributions parentales. Résultat: des écoles dans un très bon état. Une solution efficace mais qui va à l'encontre du principe de gratuité.