Malgré les 172 milliards envolés vers les paradis fiscaux, la Belgique refuse la lutte contre l'évasion

Si la Belgique voit chaque année des milliards d'euros filer vers les Emirats, les Bermudes ou les Îles Caïmans, elle continue de favoriser ses niches fiscales. Ralentissant ainsi les négociations autour d'une harmonisation internationale.

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172 milliards d'euros de paiements ont quitté la Belgique pour se disperser sur des comptes au sein de paradis fiscaux. Les Émirats Arabes Unis, l’Ouzbékistan, les Îles Caïmans, les Bermudes et le Turkménistan sont les destinations privilégiées des quelque 790 entreprises ou personnes morales ayant déclaré au fisc leurs paiements de plus de 100 000 euros, une obligation dans notre pays. Si en 2018, la Belgique déclarait un peu plus de 200 milliards de paiements vers ces paradis, les 172 milliards de l'année 2019 sont largement au-dessus des résultats 2017 et 2016 (respectivement 130 et 83 milliards). "En soi, ce montant correspond à des transactions, et ne représente donc pas un manque à gagner net pour la Belgique, commence Johan Langerock, expert fiscal chez Oxfam. Il est difficile de dire combien elle a perdu sur ces 172 milliards, mais globalement, on pourrait imaginer un taux d'imposition tournant autour des 30%. Il n'empêche que ce montant est problématique car il est énorme. C'est plus d'un tiers du PIB belge qui s'est envolé vers les paradis fiscaux sous forme de paiements."

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Rappelons en outre que tout cela reste légal. Si la fraude proprement dite viole la loi, l'évasion fiscale se situe plutôt dans une zone grise. "Dans ce cas-ci, il est compliqué de sanctionner des entreprises qui déclarent elles-mêmes leurs paiements. C'est à l'administration de vérifier s'il y a des abus et si l'esprit de la loi est respecté."

Pas de réforme fondamentale

La problématique demeure malgré tout importante puisqu'il est clair que la compétition fiscale coûte aux contribuables. "Quand un pays gagne d'un côté, il perd de l'autre car les multinationales vont toujours chercher l'évasion fiscale. Un pays comme la Belgique souffre entre les Pays-Bas et le Luxembourg." Pourtant, selon Johan Langerock, la Belgique ne fait pas sa part dans la lutte contre l'évasion fiscale. "En ce moment, 137 pays négocient à l'OCDE le taux minimal de taxation des bénéfices des multinationales. Ce taux minimum pourrait permettre d'assécher les paradis fiscaux. Mais la position de la Belgique est très faible. Elle préfère protéger ses niches fiscales, comme celle qui permet à l'industrie pharmaceutique de payer moins d'impôt."

Axel Haelterman, professeur de droit fiscal à la KU Leuven, expliquait ce matin à Belga que ce montant de 172 milliards, particulièrement élevé, constitue "la meilleure preuve que les entreprises et groupes continuent à utiliser des entités dans des paradis fiscaux. On aurait pu penser que ce phénomène était en train de disparaître dans le monde fiscal, mais ce n’est donc pas le cas." Un avis partagé par Johan Langerock. "Des initiatives sont mises en place pour lutter contre l'évasion fiscale, mais il y a un manque de réformes fondamentales. En plus de ce taux minimum, on parle depuis longtemps de la transparence publique autour de l'imposition des multinationales. Mais rien n'avance."

L'Europe essaye

Au moment de conclure, Johan Langerock signale que si ces chiffres sortent tous les ans, ils s'accompagnent chaque année d'une analyse trop rapide. "On se contente de se lamenter sur l'importance des montants. Ce qui m'énerve, c'est que l'on oublie souvent de parler du manque de décisions politiques. Si certaines sociétés ont peur pour leur image quand on annonce qu'elles ne paient pas d'impôt, beaucoup, à l'image d'Amazon, s'en foutent. C'est donc aux gouvernements de prendre leurs responsabilités en matière fiscale. On dit souvent que l'Europe ne fait rien, mais elle essaye. À la fin, ce sont les ministres des Etats-membres qui décident de torpiller les initiatives."

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