
Comment la journée de la femme est devenue la journée internationale des droits des femmes

“ Faites-vous plaisir mesdames, c’est votre journée. Achetez-vous de la lingerie ”. Quelle marque commerciale oserait encore ce genre de publicité pour célébrer le 8 mars ? Et pourtant, ce fut longtemps le cas. Isabella Lenarduzzi, fondatrice et Directrice Générale de JUMP qui soutient l'empowerment des femmes, se souvient de cette époque où cette journée était l’occasion d’offrir une fleur aux femmes dans les entreprises et où le Thalys donnait des places à prix réduits pour aller faire du shopping à Paris entre copines. “ C’était il y a moins de 10 ans, écrit-elle sur son mur Facebook. Quel chemin fait depuis ! ” “ La récupération commerciale de la journée des droits des femmes n’est pas encore totalement terminée, je le crains. Cela renvoie les femmes à des stéréotypes ou aussi à une figure de superhéroïne qui n’existe pas”, glisse Valérie Lootvoet, directrice de l’Université des Femmes.
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La femme n'existe pas
Longtemps, on a d’ailleurs parlé de la journée de la femme comme s’il existait un féminin universel. Il a fallu attendre 2018 pour que Google modifie dans son “ doodle ” l’appellation “ journée internationale de la femme ” en “ journée internationale des droits des femmes ”. Ce glissement lexical est en soi une avancée revendiquée par les femmes. “ La ” femme, en effet, n’existe pas. “ La ” femme est une représentation inventée par les hommes. “ C’est une image d’Épinal, un fantasme ”, pointe Valérie Lootvoet. “ Il n’y a pas un modèle de femme mais des femmes avec des vies différentes ”.
Le fait d’avoir libellé les choses à la fois au pluriel mais aussi en parlant de la célébration des droits des femmes a son importance. “ Ce qui n’est pas énoncé n’existe pas. C’est donc important de dire de quoi il s’agit car on pourrait très bien avoir une journée des femmes qui célébrerait les femmes au foyer ”, explique Valérie Lootvoet. Si on a mis si longtemps à nommer adéquatement cette journée, c’est peut-être parce que l’origine historique de cette journée n’est pas évidente. Certains associent ce jour au 8 mars 1907, quand des ouvrières new-yorkaises ont occupé leur usine. Les premières célébrations du 8 mars remontent en tout cas au début du 20ème siècle.
Repolitisation du féminisme
Aujourd’hui, le 8 mars est investi d’actions militantes et multiples. La médiatisation est importante, en particulier au sein de la RTBF. Les féministes sont plus écoutées que par le passé. Quelque chose s’est passé. “ Il y a eu voici quatre, cinq ans une repolitisation du mouvement féministe. Ce ne sont pas des histoires singulières que vivent les femmes mais bien collectives, défend Valérie Lootvoet. On le voit aujourd’hui dans les suites de la cérémonie des Césars. La parole de femmes abusées quand elles étaient enfants se libère. Cette masse d’histoires singulières mises ensemble font qu’on peut parler de violence masculine comme un fait en soi. Aujourd’hui, sur la question des agressions, la parole vient de partout. ”
Retour de bâtons
Les femmes sont-elles en train de gagner de nouveaux combats contre le patriarcat ? Gare. Dans les années 70, les droits des femmes avaient également formidablement évolué. Mais il y a eu ensuite le retour de bâtons des années 80. “ Une forme de libéralisme s’est emparée alors du sujet en mettant en avant des storytelling de femmes qui réussissaient en masquant tout ce qui se passait pour les autres. Les avancées des femmes sont toujours menacées par des retours de bâtons. Instaurer la pension à points en Belgique serait par exemple une catastrophe pour les femmes. Ou regardez sur la question des abus sur mineurs. Une loi levant la prescription a été votée et l’association des magistrats dit qu’elle ne l’appliquerait pas afin de privilégier la paix des familles et le pardon. Si ce n’est pas ça du back-clash d’ordre patriarcal ”, dénonce Valérie Lootvoet.