Les médecins généralistes en première ligne face au coronavirus

Le nombre de personnes infectées s’étend, le calendrier des événements publics est de plus en plus perturbé et le vaccin pour en venir à bout ne sera pas disponible avant l’année prochaine. Les généralistes, eux, haussent le ton. Mais que vivent-ils réellement dans leur cabinet alors que l’épidémie gagne du terrain?

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Franchement, on les avait rarement vus aussi énervés. Ces derniers jours, les médecins généralistes ont crié leur ras-le-bol face à la gestion du début d’épidémie par les autorités. À la télé, à la radio, dans les quotidiens, ils affirment être mal ou trop peu informés, et pas consultés par le cabinet de la ministre Maggie De Block. Une poignée de praticiens argue également qu’il est temps de passer en phase 3, quitte à fermer des écoles, annuler certains événements ou mettre une partie du pays en quarantaine. Mais surtout, ils ragent sur le manque de matériel disponible actuelle ment pour le personnel soignant. Ces fameux masques dont on se moque d’habitude chez les touristes asiatiques sont devenus en quelques semaines les nouveaux iPhones. Aujourd’hui, chaque pharmacie de Belgique affiche sur sa devanture un écriteau pour prévenir de leur pénurie. Même chose pour les gels hydroalcooliques censés protéger nos mains des microbes. Deux pénuries qui, en soi, peuvent prêter à sourire. Sauf que quand des membres du personnel soignant sont obligés de travailler sans protection, on imagine rapidement les risques. “Nous attendons les masques FFP2 (masques filtrants réservés aux personnels hospitaliers - NDLR) et les lunettes pour nous protéger face aux patients qui toussent. Ils n’arriveront pas avant le 1er avril et c’est inacceptable, dénonce avec virulence le docteur David Simon, médecin généraliste dans la région montoise et membre de l’Association belge des syndicats médicaux (l’ABSyM). Certains médecins ont bien sûr peur d’être contaminés. Ils sont envoyés au front sans armes et sans gilet contre un ennemi que les politiques ne croiseront pas. Et cela va arriver. Quand l’épidémie se déclarera vraiment, les médecins seront touchés, et en sachant que beaucoup ont 55-60 ans...”

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Sortir par l’isolement

Les griefs de David Simon ne se limitent pas à la pénurie de masques. S’il reconnaît que les procédures et recommandations de Sciensano, l’Institut scientifique de santé publique, a permis aux médecins de se préparer, il peste néanmoins sur le conseil de Maggie De Block consistant à faire venir un médecin chez soi à l’apparition des premiers symptômes. “Alors qu’une bonne partie des médecins ont déjà vu leur activité doubler (ce qui est en soi normal vu la saison), cela va encore accroître leur quantité de travail. Et là, à terme, les médecins seront vraiment submergés et il y aura un manque. Mon sentiment, c’est que ça part dans tous les sens et qu’on nous dit: “démerdez-vous”. Je suis profondément déçu, d’autant que la gestion de la crise de la grippe H1N1 avait été exemplaire. Cette fois, rien n’a été anticipé et le principe de précaution a été oublié.” Tous les généralistes ne sont pas aussi critiques vis-à-vis du gouvernement. Le docteur Luc Herry travaille dans les provinces de Liège et de Luxembourg. En tant que vice-président de l’Absym, il estime que globalement, la gestion fédérale est “relativement correcte”. “Il est vrai que Maggie De Block pourrait s’adresser directement à la population pour la rassurer et lui donner les recommandations officielles.” Mais pour lui, la décision de la ministre d’envoyer les généralistes à domicile est bonne. “C’est la meilleure idée possible puisque c’est la seule manière de confiner les gens. Sans traitement, c’est l’isolement qui sauvera de l’épidémie. Et en ce qui concerne les masques, je pense qu’il était possible d’en prévoir assez dans son cabinet, et pas que pour le coronavirus. C’est surtout une bonne baffe aux industriels qui font confiance au marché chinois. La dépendance à la Chine est dangereuse et j’espère que tout cela participera à revenir à une fabrication européenne. Particulièrement dans le secteur pharmaceutique.” Luc Herry est suivi dans ses propos par Carine Puffet, médecin généraliste à Limal. “Les consignes de De Block sont critiquées? Mais quelles autres consignes donner? Les procédures de détection et de dépistage sont claires. Je ne suis pas, comme d’autres, furieuse de la manière dont la crise est gérée pour le moment. Cela dit, je ne condamne pas la colère de certains médecins. Ils veulent soigner au mieux leurs patients et elle part d’un bon sentiment. Je comprends aussi que quand on est plus sollicité, on ait besoin d’être plus vite informé, mais c’est également vrai pour d’autres maladies.”

Comportements aberrants

Sur le terrain, la cacophonie actuelle autour de la gestion du gouvernement n’empêche pas les médecins de faire face à la situation avec sérénité. Le docteur Simon, malgré sa colère, est d’ailleurs le premier à confier accueillir ce début d’épidémie “avec calme”, alors que Luc Herry se refuse à l’alarmisme. “Je fais partie de ceux qui pensent que ce n’est jamais qu’une épidémie de plus. C’est notre rôle d’être sur le front et d’affronter cette crise sereinement et efficacement.” “Ce qui a changé avec l’apparition de ce nouveau virus? On le compare souvent à la grippe, commence Carine Puffet. Mais pour la grippe, on vaccine les personnes à risque en amont pour éviter qu’elles ne tombent malades. Ici, on n’a pas de vaccins et le virus débarque dans une population non protégée.” Cela dit, au quotidien, aucun médecin ne signale jusqu’à présent une affluence exagérée dans sa salle d’attente. “On ne peut pas dire que le cabinet est surchargé. Par contre, j’ai beaucoup plus d’appels téléphoniques.” Assis à côté de Carine Puffet, son mari écoute d’une oreille attentive. Jean-Pierre Pelgrim est urgentiste à la clinique Saint-Pierre d’Ottignies. Il fait également partie de ce front, cette première ligne qui se dresse face aux symptômes suspects. “La logistique n’est pas facile, d’autant qu’on a pillé nos masques et nos gels désinfectants. Mais on ne note pas une explosion de patients dans la salle d’urgences. La saison est lourde par définition, et j’ai l’impression que les gens préfèrent éviter les hôpitaux pour le moment.” Ont-ils peur d’être contaminés? “Non, sinon on ne le ferait pas, commence Carine Puffet. Et aux urgences, on ne peut pas de toute façon faire comme dans les entreprises et travailler de chez nous, reprend son mari. Donc on va à l’hôpital, attendant le matériel pour éviter d’être nous-mêmes infectés mais sans avoir particulièrement peur. Ce n’est pas le premier virus que nous devons affronter.” La crainte, voire la psychose induite par le coronavirus, amène parfois les patients à se comporter de manière irrationnelle, ce qui n’est pas là pour aider les médecins à voir plus clair dans le chaos qui règne actuellement. “On a des gens qui téléphonent pour demander des ordonnances pour leurs médicaments, mais qui ne viennent pas les chercher, attendant que cela se calme” raconte Luc Herry. De son côté, Carine Puffet a été confrontée aux manigances de plusieurs entreprises. “J’ai notamment eu le cas de firmes qui envoyaient leurs employés demander des certificats médicaux pour qu’ils restent chez eux, même s’ils n’avaient rien...” Enfin, pour Jean-Pierre Pelgrim, un appel sur dix relève de l’aberration pure. “J’ai entendu des gens paniquer parce qu’ils avaient croisé un Chinois ou parce que leur enfant était à la garderie avec un enfant asiatique. Une autre difficulté, c’est que beaucoup de personnes veulent être dépistées sans qu’il y ait de réelle raison. Souvent, cela ne sert à rien, à part épuiser le matériel nécessaire aux frottis...”

Les médias, amis ou ennemis?

L’épidémie truste l’actu depuis près de deux mois, mais elle n’a jamais été aussi présente qu’actuellement. S’ils produisent tous les jours des dizaines de pages sur le coronavirus, les médias alimentent-ils la psychose ou parviennent-ils justement à la contenir? Les avis divergent chez les médecins. David Simon est de ceux qui estiment que les journalistes font correctement leur boulot. “Ils augmentent évidemment l’angoisse mais le contenu est généralement fiable. Je n’ai pas vraiment aperçu d’article ou de reportage qui sortaient des foutaises.” Mais le docteur Luc Herry, suivi par l’urgentiste ottintois Jean-Pierre Pelgrim ne sont pas de cet avis. “La panique est organisée par les médias, ils ne rendent pas service à la population. On voit des chiffres sortir sans qu’ils soient interprétés. Il faudrait plus nuancer l’info, et en avoir un meilleur contrôle. Il y a des gens qui pensent qu’ils vont mourir même s’ils sont en bonne santé.”

 

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