
Coronavirus: la dernière soirée avant la fermeture des établissements Horeca

C’est un vendredi soir aux allures de dernier jour de vacances. De ceux dont on veut profiter à fond car on ne sait pas quand on en aura à nouveau l’occasion. Alors, de nombreux Bruxellois sont sortis de chez eux, bravant la pluie, le froid, et les risques de contagion au coronavirus (en dépit de tout bon sens, s’écrieront certains sur les réseaux sociaux). Ici, dans cette petite pizzeria de Saint-Gilles, rien ne semble, au premier regard, distinguer ce vendredi soir de tous les autres. La salle est comble. Presque aucune chaise n’est libre et leurs occupants mangent en riant, parlant fort pour passer au-delà du brouhaha ambiant. La routine, ou presque. « Ça fait quand même deux semaines qu’on sent que c’est plus calme, nuance le gérant de l’établissement. Sans doute aussi parce qu’on est un restaurant italien. Les clients ont eu peur sans raison. Lui, est désabusé. « Je comprends la position des autorités, mais sur notre équipe de douze, huit ont dû être mis au chômage technique ces trois prochaines semaines. Ce ne sera pas facile de se relever. » Alors ce soir, il continue à servir ses pizzas, mais avec un tout petit peu moins d’entrain. C’est presque imperceptible, mais ça flotte néanmoins dans l’air, et dans toutes les têtes.
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« On a l’habitude d’aller manger dehors le vendredi, on n’a pas voulu couper court à notre tradition », confie un couple installé à la table à côté de la nôtre. « Et puis, on a vu beaucoup d’appels à la solidarité avec les restaurateurs sur les réseaux sociaux. Ça nous fait donc du bien d’être là ». Courant d’air. La porte d’entrée ne cesse de s’ouvrir et de se refermer. Nombreux sont ceux qui ont choisi l’option de la livraison, ou viennent chercher leurs pizzas à emporter. Cela permettra aux restaurateurs ne pas fermer complètement boutique. Addition. A la caisse, le serveur nous tend un autocollant avec le numéro de téléphone de l’établissement. « Vous ne pourrez plus vous asseoir pour manger, mais n’hésitez pas à passer commande ». On promet. Dehors, la terrasse du bar d’à côté commence à se remplir. Quelques rues plus loin, celle d’un typique bar bruxellois bien connu de la jeunesse du coin est, elle, déjà comble. Il est 21h. Insouciants, on se presse au comptoir, on sort avec des bières dans des gobelets en plastique.
« J’ai l’impression que c’est comme la dernière soirée avant la fin du monde, rigole un étudiant. On est là en résistance, avant que ça ne ferme ». Le coronavirus anime invariablement toutes les discussions, mais visiblement pas au point de faire peur à ces jeunes de boire un dernier verre. Agglutinés autour d’une même table, déjà un peu collante, ils refont le monde. Au Parvis de Saint-Gilles, les habitués remarqueront d’un seul coup d’œil que beaucoup de fêtards du vendredi sont restés chez eux ce soir. On entre dans un bar, se faufilant sans trop de problème jusqu’au comptoir. « Qu’est-ce qu’on va faire, demain ? », lance la barmaid à un jeune homme devant elle. « L’amour », réponds-t-il avant de l’embrasser passionnément. La bonne humeur semble être au rendez-vous. Autour de nous, ça commence à danser. Collé-serré. Comme si le virus n’avait pas de prise ici. Comme s’il ne pouvait arriver qu’après minuit. Carpe Diem.
« Tant mieux si les gens ont l’air de s’amuser et profitent de cette dernière soirée », soupire le patron. Traits tirés, dos un peu vouté dans son sweat gris chiné, le patron des lieux n’a pas le goût de la fête. « On a ouvert il y a moins d’un an. Fermer pendant minimum trois semaines, c’est vraiment un coup dur. On a reçu des messages de haine sur les réseaux sociaux parce qu’on ouvrait ce soir mais aussi du soutien, et c’est très bien. J’essaie de ne pas me laisser abattre. Mais clairement, toute l’équipe est dégoutée. L’ambiance est vraiment particulière » Dans une heure et demie, sonneront les douze coups de minuits. Des voitures de police tournent déjà dans le quartier, annonciatrices de ce qui attend les plus réticents qui voudraient continuer la fête.
Pour le dernier verre de la dernière heure, nos pas nous mènent vers Flagey, où le café Belga sert des bières à tour de bras. La terrasse, bien que moins dense que d’habitude, a son lot de fêtards. « Les gens ont quand même peur, mais j’ai réussi à trouver des amis pour sortir », s’écrie une fille que, visiblement, la peur n’atteint pas. Il n’est que 23h45. Le gout de fin soirée nous donne l’impression qu’il est 4h du matin, sauf que personne ne semble ivre. Finalement, on a fêté raisonnablement. Les taxis, en file indienne, attendent au bord de la route. Les lumières se rallument. Les pompes – vides ou non – sont mises à l’arrêt. On presse les derniers vers la sortie. Plus de monde à l’extérieur qu’à l’intérieur. Minuit. Quelques cris s’élèvent, d’autres applaudissent. Ça retombe comme un mauvais soufflé. C’est terminé.