
Comment se confiner quand on n’a pas de chez soi ?

Ambiance de science-fiction. « I am Legend » ? « 28 jours plus tard » ? Nul besoin d’insister : prendre sa voiture à Bruxelles est une expérience cinématographique. La grande roue immobile devant le Palais de Justice. Un ciel bleu, cristallin. Une lumière dorée, chaude qui met en évidence la beauté de la ville. C’est sans doute lorsque quelque chose ou quelqu’un nous échappe qu’on apprend à vraiment l’apprécier. Aujourd’hui, Bruxelles est splendide. Une ambulance de réanimation du SMUR vient fendiller cette carte postale irréelle. Hurlante, rapide, salvatrice. Les secours sont là incarnant la mise en commun de moyens bénéficiant à toute la communauté. Il y a quelques jours d’autres interventions de service d’ordre, étaient, elles, nettement moins apaisantes. Totalement illogiques. Même dans notre réalité nouvellement fantastique.
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Rentrer nulle part
Premier jour de confinement, une commune du centre de Bruxelles. Une place connue habituellement pour son marché, sa population mixte majoritairement d’origine portugaise et espagnole. Certaines heures de la journée, ses bancs sont occupés par des SDF. Il est midi et demi, une douzaine de policiers débarquent pour appliquer les nouvelles mesures de l’occupation de l’espace public : éviter les regroupements. Ils dispersent ainsi la population de sans-abris. Vers où ? Mystère. Une scène comparable se jouera le lendemain au Parc Maximilien. Les forces de l’ordre disperseront les centaines de migrants qui s’y trouvent. Et là encore une constante : il ne s’agit pas de contrôler ou de mettre aux arrêts, mais de chasser, d’éparpiller. Où ? Ailleurs. Tant pour les SDF que pour les personnes sur le chemin de la migration ou voulant déposer une demande d’asile se pose, depuis une semaine, une injonction contradictoire. Rentrer nulle part. Le Petit Château, le centre d’accueil pour demandeurs d’asile est fermé, les « chauffoirs », les centres d’accueil pour SDF le sont également. Alors, où aller ?
Le retour de la faim
« D’autres problèmes se posent également » souligne le Dr Pierre Ryckmans de l’association « Infirmiers de Rue », active à Liège et à Bruxelles dans le secteur du sans-abrisme. « Les gens ont faim. Ca n’existait pas, avant. Ou peu. Parce qu’il y avait les restaurants sociaux qui sont, désormais fermés, mais aussi parce qu’il existait d’autres sources d’approvisionnement. Notamment les petits restos. En plus pour une certaine partie des 4.175 SDF de la Capitale, leur source de financement a disparu : la foule a déserté l’espace public. Outre la faim, il y a les problèmes d’hygiène, de sanitaires, et psychologiques. Certaines personnes ne comprennent pas ce qui se passe… ».
Cruauté sans médicament
Nous avions réalisé il y a deux mois et demi un travail sur la volonté du pouvoir régional d’investir dans des solutions visant à la diminution, voire la disparition du sans-abrisme. Nous avions constaté les efforts réels de la Région et des communes bruxelloises dans la prise en charge de ces populations précaires qui souffrent, parfois voire souvent, de problèmes mentaux. Frémir en regardant du Dany Boyle est un plaisir réservé à la normalité. Celle-ci est déjà bien malmenée. Mais que dire de ceux qui dorment sur des bancs, ont faim, sont chassés par la Police et sont privés de médicaments ? Heureusement, les CPAS réagissent et les autorités régionales – entre autres par les actions du SAMU social - ont pris la mesure de la situation bruxelloise.
La Région en action
« Nous sommes en train d’élargir le dispositif d’aide aux sans abris afin que ces derniers puissent également se protéger correctement » nous confirme Alain Maron, le Ministre bruxellois de l’Environnement, de la Santé et de l’Action sociale. « A l’heure où je vous parle, nous sommes en train de prendre contact avec des hôtels bruxellois pour dégager des solutions de logement. Nous privilégions tant que faire se peut de petites structures ». Ainsi, la commune d’Etterbeek a, déjà, réquisitionné, sur ce modèle, un hôtel pour y loger des SDF. Et un hôtel du centre de Bruxelles accueille, depuis quelques jours, une population composée de personnes migrantes et de SDF.
Confinement à l’hôtel
« Nous accueillons une centaine de personnes » annonce, à deux mètres de nous, Andréa depuis la terrasse ensoleillée de l’établissement. Sur la façade, juste à côté de la porte d’entrée, des panneaux en différentes langues annoncent les gestes barrières en usage dans les locaux. On entre. Cela sent le désinfectant, l’eau de Javel, le savon. « Plusieurs fois par jour, le bâtiment est nettoyé en profondeur. Nous fonctionnons comme un hôtel auquel on a appliqué la réglementation en matière de lutte contre la propagation du virus : respect des distances, désinfection ». Ainsi les repas sont pris par shift, de telle manière que les gens soient assis aux tables à distance les uns des autres. L’établissement dispose d’une chambre réservée à des cas suspects. Celle-ci est, fort heureusement, vide. L’ambiance est bonne. L’endroit est, en partie, géré par la Plateforme citoyenne Naturellement, chacun comprend la part de responsabilité qu’il a vis à vis des autres. D’autant que l’endroit incarne l’exact opposé du « rentrer nulle part ». Mais tout le monde n’y a pas encore droit…
La nuit dans les buissons
« Des années que je n’ai pas vu ça ». Un habitant d’un des immeubles jouxtant le Parc Maximilien regarde l’espace vert totalement désert. A part, curieusement, quelques mouettes qui se chamaillent. A un peu plus de 100 mètres, la Gare du Nord, autre haut lieu, du sans-abrisme « de chez nous, présente la même vacuité. Un lundi à 18 heures. Si les navetteurs sont confinés chez eux, où sont tous les autres ? Ils ne sont pas très loin… Le long du Canal, près d’un chantier, le Quai est marqué de petits points verts. Entre les points verts, un peu plus d’un mètre de distance. Auprès de chaque point, ceux qui n’ont pas encore trouvé d’hébergement et qui attendent patiemment que des bénévoles distribuent la nourriture de la soirée. L’ambiance est calme, mais tendue. A peu près 240 personnes. Dont un bon tiers d’une population émargeant au CPAS et qui vient se nourrir. « Où vont-ils dormir ? » répond une bénévole. « Beaucoup passent la nuit dans des buissons, ou derrière des haies ». Heureusement, il fait beau. « Oui, mais les nuits, il fait 2° C » répond la citoyenne bénévole…