
Coronavirus : L’inquiétude grandit dans les prisons

À deux, souvent à trois dans une cellule de 9 mètres carrés : en matière de promiscuité, les détenus belges en connaissent un rayon. Chroniquement surpeuplées, nos prisons présentent des conditions de détention qui ont déjà valu à la Belgique de se faire condamner pour « traitements dégradants » par la Cour européenne des droits de l’Homme. Ce sont ces mêmes conditions de détention qui inquiètent maintenant, alors que la pandémie ne fait pas mine de s’arrêter. Des mesures de distanciation sociales difficiles, sinon impossibles à faire respecter dans des espaces exigus, des détenus qui présentent souvent des problèmes de santé… tout semble réuni pour que les prisons se transforment en nouveaux foyers de la pandémie.
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Ce mercredi, un second cas positif a été diagnostiqué positif à la prison de Turnhout, ce qui porte pour l’instant à trois le nombre de détenus belges contaminés, selon La Libre. Mais si le nombre de cas n’explose pas (encore ?), la tension monte. Confinement oblige, l’administration pénitentiaire a suspendu toutes les visites et toutes les activités communes (sport, cours, etc.). Excepté les rares sorties autorisées en préau, les seules interactions sociales avec l’extérieur et la famille se font donc par téléphone.
Des troubles ont éclaté ces dernières semaines à Saint-Gilles ou Arlon. Mercredi soir, un groupe de détenus de la prison de Leuze-en-Hainaut a refusé de réintégrer leur cellule après le préau. « Ils réclamaient d'une part plus de crédits d'appel pour leur téléphone et d'autre part une cantine complète » explique Kathleen Van De Vijver, porte-parole de l’administration pénitentiaire. Il y a cinq jours déjà, les détenus de la prison se plaignaient de manquer de nourriture. « Les 350 détenus de la prison de Leuze ont reçu un message disant que le stock de nourriture du supermarché Carrefour avait été dévalisé, et c'est le fournisseur de la prison de Leuze. Il ne peut plus apporter de nourriture, racontait à la RTBF un détenu. Or il faut bien se nourrir. On mange le repas de midi, et le soir on ne mange plus rien, en fait. Les visites sont déjà bloquées, et cela on peut le comprendre puisqu'il y a le coronavirus. Mais maintenant on n'a plus rien à manger ».
L’administration pénitentiaire, elle, parle d’un manque de produits non essentiels comme des chips, des cigarettes, softs ou biscuits, et affirme que la prison devrait être réapprovisionnée lundi. Interviewé ce jeudi par la RTBF, Koen Geens, ministre de la Justice, a jugé la « situation normale » dans les prisons.
Baisse de la population carcérale
Face au risque de propagation du Covid-19 dans les prisons belges, les autorités ont adopté une série de mesures. 306 détenus ont ainsi vu leurs congés pénitentiaires prolongés. Au lieu des 36 heures de sortie prévues en temps normal, les détenus en question ne réintègreront leur cellule que le 5 avril. « Ce sont des détenus qui ont déjà été évalués positivement parce qu'ils se concentrent grandement sur leur réinsertion dans la société », précise Kathleen Van De Vijver.
Du côté des instances judiciaires, on s’adapte également à la situation. Les juges d’instruction réfléchiraient à deux fois avant de placer un suspect sous mandat d’arrêt, dans les cas où le placement en détention n’est pas absolument nécessaire, rapporte L’Echo. Toujours selon le quotidien, ces mesures, couplées à une multiplication du port de bracelet électronique (du moins quand le personnel nécessaire au placement de l’équipement n’est pas absent, pour cause de confinement) expliqueraient la baisse de la population carcérale belge, passée de 10.853 à 10.350 détenus, soit une baisse de 5% en l’espace de dix jours.
Appel de l’ONU
Une baisse qui ne serait toutefois pas suffisante. Dans une carte blanche publiée par Le vif, l’asbl Genepi Belgique, à qui s’est joint de nombreuses autres associations, avocats et chercheurs, demande à la Belgique la libération de « toutes les personnes détenues vulnérables (en raison de leur âge ou de leur état de santé général) ». Un défi technique, reconnait Genepi Belgique, puisque cela implique « de s’assurer que les personnes libérées puissent disposer, à l’extérieur, des ressources humaines et matérielles suffisantes en ces temps de confinement généralisé et de mettre ces ressources à leur disposition si leur environnement extérieur est en défaut ».
Sur le plan international aussi, la situation dans les prisons inquiète. La Haut-Commissaire aux droits de l’Homme de l’ONU, Michelle Bachelet, a appelé mercredi à la libération urgente de détenus à travers le monde, pour éviter des « ravages » causés par la pandémie. Pour Michelle Bachelet, les autorités compétentes doivent « travailler rapidement pour réduire le nombre de personnes en détention », en libérant par exemple « les détenus les plus âgés et ceux malades, ainsi que les délinquants présentant un risque faible ».