
Confiné, le secteur de la mode saigne

“L’e-shop est tout ce qui nous reste pour rester en vie et continuer à faire battre le coeur de notre boutique”, confie Marine, qui tient le Kar’ma Concept Store, à Genval. Face à la fermeture de son magasin, cette indépendante s’est tournée vers la vente en ligne, un choix difficile pour cette adepte de la slow fashion qui prône avant tout le contact social et la proximité avec ses clients. “Etant nouveaux en ligne, je ne vais pas vous cacher que ça reste difficile pour nous. C’est vraiment loin de nos ventes journalières en boutique.”
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Son constat est partagé par l’ensemble du secteur de la mode. Contrairement à l’électroménager ou aux jeux de société dont les ventes en ligne explosent, au détriment de la santé des livreurs, les ventes de vêtements ont dégringolé. Les magasins de vêtements ont perdu jusqu’à deux tiers de leur chiffre d’affaires hebdomadaire normal au cours de la première semaine de fermeture obligatoire, selon une étude de GfK. Pire encore, du côté de l’Union des Classes Moyennes, on parle de -86% depuis mi-mars. “Malgré les ventes en ligne et les livraisons, on est pratiquement à zéro”, regrette Thierry Evens, porte-parole de l’UCM, inquiet “pour celles et ceux qui sont arrivés dans cette crise sans avoir de réserves financières”.
Des soldes en juillet ou en août?
Cet effondrement des ventes soulève d’autres questions, comme celle des soldes, la plus débattue ces derniers jours. Faut-il, oui ou non, reporter les soldes au mois d’août comme l’a évoqué le ministre Ducarme? Bien que le déconfinement ne soit pas prévu pour tout de suite, le secteur envisage déjà la sortie de crise. Après avoir sondé les commerçants, l’UCM, plaide pour un report, tout comme son homologue flamand UNIZO. “Les gens ne vont pas cesser de s’habiller. Après le déconfinement, il y aura évidemment un effet de rattrapage, certes atténué par la perte de pouvoir d’achat. Mais il faut que cela puisse se faire dans les meilleures conditions possibles”, remarque le porte-parole de cette organisation engagée dans la défense des indépendants. Un maintien des soldes en juillet serait, selon lui, problématique pour les commerçants “qui doivent aussi vivre et pouvoir écouler une partie notable de leur collection d’été à prix normal”. En raison du confinement, un “événement violent et inattendu”, les magasins se retrouvent aujourd’hui impuissants face à des stocks considérables, reflet de la production de vêtements en masse par l’une des industries les plus polluantes du monde. Mercredi, le Conseil supérieur des indépendants et des PME a proposé au gouvernement fédéral de retarder les soldes pour éviter de nombreuses faillites et pertes d’emploi.
Du côté de Comeos, on tempère. La fédération du secteur du commerce, qui représente les grandes enseignes de mode, juge la décision d’un tel report prématurée. “L'incertitude quant à la récession amènera les consommateurs à freiner l'achat de biens non essentiels tels que les vêtements. Il est donc crucial que les consommateurs puissent rapidement bénéficier de réductions, une fois les magasins rouverts”, plaide-t-elle dans un communiqué.
Si cela ne tenait qu’à elle, Marine du Kar’ma Concept Store ne ferait pas de soldes “du tout”. “Dans le monde du textile, les produits sont périssables comme dans l’alimentaire”, explique-t-elle, stressée par sa collection d’été à écouler et les prochaines factures à payer. “On n’arrivera pas à vivre de cette saison-ci.”
Elan de solidarité
Impactées elles aussi par la crise, certaines marques ont décidé de se réinventer pour aider dans la lutte contre le coronavirus. Le groupe Kering confectionne des masques, tandis que le géant du luxe, LVMH, dont le PDG Bernard Arnault a perdu 14 milliards de dollars en une semaine, a mis certains de ses sites à disposition pour fabriquer du gel hydroalcoolique. En Belgique aussi, les marques font preuve de solidarité. C’est le cas notamment des Maisons Natan et Degand qui ont remplacé la création de robes et de costumes par des masques de protection.
Après le confinement, la proximité
Face à ce bouleversement temporaire, causé par la pandémie, certains optimistes y voient un changement plus profond. Alors qu’il doit pour le moment se contenter de l'essentiel, le consommateur est invité à repenser la fonction de l’achat, et plus globalement la société de consommation dans laquelle il vit. “Cette quarantaine de consommations nous poussera à se réjouir de choses simples. Cela permettra de mettre en place un système plus respectueux, dans toute sa chaîne de production”, avance la prévisionniste hollandaise des modes et tendances futures Li Edelkoort auprès du magazine Dezeen.
Pour Thierry Evens, le confinement est l’occasion d’une prise de conscience de “l’utilité de la proximité”. “Cela se marque très fort actuellement du côté alimentaire, avec le retour aux produits locaux et le boom du circuit-court”, compare le porte-parole de l’UCM, qui espère observer après le confinement ce même attrait pour le “local” et la “qualité” dans la mode. Cela permettrait peut-être de sauver les indépendants d’un secteur qui était déjà fragile avant la crise.