Masques en tissu : une solidarité citoyenne hors-normes

Bien qu’ils soient moins efficaces que les masques agréés, les ersatz en tissu ont mobilisé une solidarité impressionnante de la part des Belges. Mais cette entraide au pied levé pose la question de la valorisation de ce travail bénévole — et souvent féminin —, ainsi que de la relocalisation de la fabrication de masques.

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Longtemps symboles d’un exotisme hygiéniste, les masques de protection sont désormais dans nos rues. Accrochés aux oreilles des passants, ils sont de chantier, chirurgicaux ou faits-main, bleus hôpital, jaune canari ou bariolés. Et comme ceux qui les portent, tous ne sont pas égaux devant la maladie. Les études peinent en effet à prouver l’efficacité des masques en tissu dans le cadre de la lutte contre le covid-19, tant dans la protection des autres que de soi. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils soient inutiles. Devant l’absence de stocks suffisants de FFP2 rien que pour le secteur médical, les citoyens belges n’ont en effet d’autre choix que de se rabattre sur des fabrications artisanales — « mieux que rien » quand ils sont correctement utilisés, selon la plupart des spécialistes, dont ceux de l’Académie nation de médecine française et les autorités américaines comme le rappelle cet article du Monde.

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D’autant que la Première ministre l’a invoqué lors de sa dernière allocution, le 15 avril : la « stratégie masques » fera partie de la tentative de déconfinement. « La population dans sa gestion quotidienne et certainement lors d’un déconfinement doit se protéger au mieux (…) et pour cela, elle peut utiliser un masque en tissu », annonçait ainsi Sophie Wilmès aux Belges hier soir. Ce matin, le Centre de crise le martelait dans Le Soir : « L’utilité du port du masque est incontestable ». Un aveu, ou presque, de l’erreur qu’a constitué le manque d’égard du Fédéral pour l’approvisionnement en masques efficaces depuis le début de la crise, et même avant.

15 à 20 heures de travail pour 50 masques

Mi-mars déjà, face à l’absence de protections pour le personnel des maisons de repos, de l’aide aux sans-abris et les soignants à domicile, la Région bruxelloise avait ainsi lancé un grand appel à couturiers bénévoles. Les termes « local » et « participatif » avaient été les sirènes de la mise au travail de centaines de petites mains citoyennes, qui s'étaient immédiatement démenées derrière leurs machines à coudre. L’initiative est menée avec beaucoup de fierté et le soutien de la Secrétaire d’Etat à la Transition économique et à la Recherche et du Ministre de la Santé de la Région de Bruxelles-Capitale. Première étape pour les bénévoles : se manifester au call center mis en place ou s'inscrire sur le site officiel dédié. Après s’être assuré du matériel et du niveau du futur couturier de masques, un kit est envoyé à son domicile. Le tissu a été préalablement découpé par l’entreprise de travail adapté Travie, avant d’être livré par Urbike aux volontaires, désormais chargés de coudre 50 à 200 masques. Le lot fabriqué est ensuite enlevé de la même manière qu’il a été livré. Ces masques nettoyages et réutilisables, les bénévoles sont alors « encouragés » à en garder cinq pour leur propre utilisation.

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Très tôt dans la tentative de gestion de la crise, le SPF Santé s’était attelé à la conception d’un patron agréé et à la rédaction de conseils pour les fabricants-amateurs. Plusieurs initiatives solidaires citoyennes s’en sont donc saisi pour organiser leurs propres ateliers de fabrication, sans l’aide de leur région. Sur Facebook, où elles se retrouvent, la plus importante d’entre toutes rassemble désormais plus de 7 000 membres. À 28 ans et désormais en chômage partiel, Sybille a décidé de rejoindre un projet plus petit, après l’annonce d’une ancienne collègue. La jeune femme sait coudre, et a même suivi récemment des cours pour perfectionner sa pratique. « Quand le confinement a commencé, je me suis donc rapidement mis en tête de coudre des masques pour les autres », raconte-t-elle. L'initiative qu’elle soutient rassemble 110 personnes sous la bannière #même_pas_peur. Comme pour la plateforme de la Région bruxelloise, la préparation de kits est prise en charge par une petite équipe de bénévoles et un FabLab allié. « Comme il s’agit d’une initiative citoyenne et que les merceries sont fermées, il a fallu un peu de temps avant que je ne reçoive le matériel », explique Sybille. Quelques jours après avoir proposé son aide, des bandes de tissu, des élastiques, des aiguilles et des barrettes en métal — les mêmes que les écoliers utilisent dans leurs fardes en plastique — lui ont été déposés en bas de chez elle. La fabrication pouvait commencer.

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Le kit reçu par Sybille de la part de l'initiative #même_pas_peur. ©DR

Son seul investissement personnel ? Du fil, et une sacrée dose de courage. Car assembler 50 masques prend bien plus de temps qu’il ne faut pour le dire. « Ça a représenté pour moi entre 15 et 20 heures de travail », dévoile Sybille. « Ce qui est compliqué, c’est le délai imposé d’une semaine. C’est une pression. Dès que je finissais mon travail pour mon employeur, je me mettais à coudre des masques », raconte celle qui comprend néanmoins l’impératif d’une production accélérée au vu de l’urgence. Comme les autres, elle s’est également attelée à respecter les consignes données, comme désinfecter sa machine à coudre et se laver les mains avant de commencer un masque.

Un véritable travail

Mais maintenant que ses 50 masques ont été expédiés, « je vais m’arrêter là », avoue la jeune femme. « J’en ai fait pour des inconnus, je veux être disponible pour en coudre pour mes proches, qui en ont aussi besoin ». À l’heure où le gouvernement appuie l’importance des masques dans la lutte contre le coronavirus, elle a de plus en plus de mal à comprendre pourquoi ce sont des citoyens, bénévoles de surcroit, qui sont à l’ouvrage. « Ces masques que j’ai cousus, ils étaient pour des aides soignantes et des migrants du parc Maximilien — pour ceux qu’on oublie. Et ça ne m’a pas paru si compliqué d’en fabriquer. J’ai du mal à comprendre pourquoi l’État ne prend pas ça en charge. Je trouve ça fou que ce soit aux citoyens de s’en occuper. En même temps, je suis contente de me sentir utile. Chez soi, on a tendance à se sentir démuni face à la situation ». Elle s’en rend également compte, « dans le groupe, il n’y a que des femmes qui cousent ». Si son frère est lui-même derrière sa machine à coudre, ce type d’ouvrage reste bien souvent mené par des femmes, comme l’atteste un long article très documenté du magazine Axelle. Un travail, un vrai, qui ne sera pas rémunéré ou dédommagé, précise dans le FAQ de sa plateforme de confection de masques la Région bruxelloise. 

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La Première ministre fédérale Sophie Wilmès l’a promis : de nouvelles commandes de masques sont en cours, sans qu’on ne sache s’ils seront cette fois suffisants et adaptés. 10 000 de protections devraient être livrées ce vendredi soir. À terme, leur fabrication pourrait même être relocalisée, au-delà de la fabrication artisanale et gratuite. Si celle-ci a permis à répondre aux besoins immédiats du pays, « nous envoyons également un premier signal fort au niveau de la relance économique qu’il s’agira de mettre en place dès que la crise sera terminée », estime la Secrétaire d’Etat Barbara Trachte (ecolo) dans Le Soir. « En effet, produire localement pour des besoins locaux est non seulement indispensable pour l’environnement et l’économie, mais c’est aussi vital en cas de crise ». À ce propos, Elio Di Rupo (PS) annonçait ce matin sur Bel RTL qu’une entreprise wallonne, du côté de Fleurus, et deux entreprises flamandes avait déjà été désignée pour produire des masques de qualité dès la fin du mois de mai. « Mais cela ne se fait pas du jour au lendemain car nous n'avons pas les techniques de tissage, nous ne les avons plus alors que nous avons été jadis des régions avec des capacités énormes. Et il faut aussi des machines ».

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