STIB: le droit de retrait, une arme à manier avec prudence

Dénonçant le manque de mesures de protection face au Covid-19, une partie du personnel de la Stib a invoqué son droit de retrait pour stopper le travail. Cette disposition légale, qui n'avait jusqu'à présent jamais été utilisée en Belgique, soulève des interrogations sur sa portée exacte.

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À Bruxelles, le début de la phase 1B du déconfinement a été marqué par les perturbations sur le réseau de la Stib. Ce lundi 11 mai, 40% des chauffeurs avaient choisi de ne pas prendre leurs fonctions. Mardi, c’est près de 80% des chauffeurs de bus et 60% des chauffeurs de tram qui n’assuraient pas leur service. Ce mercredi matin, certaines lignes étaient toujours supprimées sur le réseau. Une partie du personnel dénonce le manque de mesures de protection au sein de l’opérateur de transports en commun.

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Les chauffeurs ont avancé plusieurs revendications afin de réduire les risques de contamination au Covid-19 : le contrôle du port du masque obligatoire par les voyageurs, la limitation de la capacité des véhicules et le respect de la distanciation sociale à bord, la désinfection des véhicules après chaque service et le report des remplacements sur la ligne (ils revendiquent de retourner au dépôt lors du changement de conducteur, ce qui se faisait encore la semaine passée).

Du côté de la direction, on souligne que les conducteurs ont reçu du matériel de protection comme des masques, des gants et un kit de désinfection de cabine. Le nettoyage des véhicules a également été renforcé, explique-t-on. À ce stade, la direction exclut cependant tout retour au dépôt pour les changements de service, puisque ces retours induiraient une perte de capacité de 20% du réseau. Si les syndicats, réunis en front commun, avaient bien validé les mesures prévues par la direction et avaient conclu un protocole d’accord avec celle-ci, une partie du personnel a néanmoins choisi de dégainer une arme inédite, pour ne pas travailler : le droit de retrait.

Une première en Belgique

Inédite, parce que de l’avis de plusieurs experts, c’est la première fois en Belgique que cette disposition est invoquée depuis son introduction en 1996, puis 1998, dans la législation belge.. Elle permet à un salarié de quitter son poste et de suspendre le travail, sans risque de se faire licencier, lorsque des manquements à la sécurité sont constatés sur le lieu de travail. Pas question ici de parler de grève : le droit de retrait ne suppose ni dépôt de préavis ni concertation syndicale. Il s’agit d’un droit individuel, invocable en vue de préserver l’intégrité physique du travailleur. Contrairement à chez nous, il est régulièrement utilisé en France ; fin mars, plus de 200 employés d’un site Amazon près de Douai ont ainsi fait valoir leur droit de retrait, estimant que des conditions de travail sûres ne leur étaient plus garanties en pleine crise sanitaire.

La prudence est de mise

Contrairement à chez nos voisins, aucun litige concernant le droit de retrait n’a jamais été amené devant les tribunaux. Sans jurisprudence belge sur laquelle se baser, il reste donc des zones d’ombres sur la portée et le champ d’application d’un tel droit dans notre pays. L’article I.2-26 du Code du bien-être au travail prévoit qu’en cas de danger « grave et immédiat » et « qui ne peut être évité », le travailleur qui « s’éloigne de son poste de travail ou d’une zone dangereuse » ne peut subir « aucun préjudice ». Des notions, qui en l’absence de jurisprudence, pourraient faire l’objets d’âpres débats devant la justice, si cette dernière venait à être saisie.

Dans le cas qui nous occupe, il faudrait voir sur quelles bases les chauffeurs de la Stib pourraient s’appuyer pour invoquer le droit de retrait. Dans une publication récente, trois spécialistes de l’ULB jugent que « a priori, toutes les situations de travail impliquant des contacts interpersonnels directs ou indirects dans un contexte de pandémie de COVID-19 constitue (sic) un « danger grave ». Mais poursuivent les auteurs, « d’après la jurisprudence et la doctrine française, l’existence d’un danger « grave » doit toutefois faire l’objet d’une appréciation au cas par cas. (…) C’est ainsi, en fonction des circonstances, qu’il faudrait évaluer si les situations de travail impliquant des contacts interpersonnels directs ou indirects sont constitutives d’un danger grave ».

Pour Pauline Van Parys, avocate spécialisée en droit du travail individuel et collectif, la question est en outre de savoir si le Covid-19 doit être considéré comme un danger immédiat et inévitable. « Il faut d’abord que les chauffeurs se présentent sur leur lieu de travail pour constater qu’il y a bien un ‘danger grave et imminent », expliquait l’avocate à BX1. Il faut également prouver que le danger ne peut être évité. Or si la Stib a pris les mesures nécessaires pour éviter la contamination, la question de savoir si on rentre dans les conditions du droit de retrait est discutable ».

La concertation ou les tribunaux

Dans le chef des travailleurs, il semble donc important de redoubler de prudence avant d’invoquer le droit de retrait ; l’employeur pouvant avoir, dans bien des cas, une autre appréciation. Du côté de la Stib, c’est en tout cas très clair : l’entreprise a indiqué ce mardi ne pas reconnaître l’exposition à un danger « immédiat » motivant le droit au retrait. Aucun salaire ne sera versé pour les jours non prestés par les chauffeurs ayant stoppé le travail, a prévenu la direction. À voir maintenant si le processus de concertation pourra déboucher sur la résolution du conflit ou si l’affaire se poursuivra devant les tribunaux.

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