
Le stress post-traumatique menace le personnel soignant

Aujourd’hui, dans les hôpitaux belges, la situation est un peu calmée. Certes, la fin de cette épidémie n’est pas encore là, mais nous sommes à présent loin de ce fameux pic de la crise, en très grande partie grâce aux membres du secteur médical : médecins, infirmiers, aides-soignantes et autres personnel de première ligne, qui n’ont pas compté leurs heures et travaillé dans de conditions souvent très difficiles.
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Désormais, il va falloir prendre soin d’eux et surtout faire attention à leurs états psychologiques. Parce que ce qu’ont vécu ces spécialistes de la santé peut laisser des traces. Nul n’est égal face à la mort, face à la peur. Certains ne seront pas à l’abri du stress post-traumatique. Si ce terme est plus souvent associé à des événements tels que les guerres, les attentats ou les agressions sexuelles, il n’est pas exagéré dans ce contexte. La situation actuelle est même très favorable au développement de tels troubles.
« Des études internationales l’ont clairement montré », explique Xavier Noël, professeur en psychopathologie à l’ULB et membre permanent du FNRS. « Notamment en Chine, où les soignants de Wuhan, en comparaison à ceux d’une autre région, étaient beaucoup plus sujets à des pertes d’attention, de l’anxiété, de la dépression et du stress post-traumatique. »
Pendant cette crise sanitaire, les facteurs de risques sont nombreux en milieu hospitalier.
« Tout d’abord, ces personnes, très sollicitées, ont éprouvé un sentiment de peur intense, pour eux, mais aussi pour la santé de leurs proches. Ensuite, elles ont fait l’expérience de la mort à une fréquence inhabituelle, même pour le milieu de santé. Au plus haut point de la crise, il y a eu une surmortalité relativement importante sur un shift de 10 ou 11 heures, elles ont peut-être assisté à deux ou trois décès. Sans compter la perte éventuelle d’un collègue. »
Décès qui, outre leur nombre, n’étaient pas abordés comme à l’accoutumée en milieu hospitalier. « La ritualisation classique du décès n’existait plus. En temps normal, il y a un processus, un accompagnement, les soignants rencontrent la famille. Ici, ce grand nombre de décès en séquence rapide laisse des traces sur le plan mental, surtout dans un contexte de fatigue importante. »
Car évidemment, la fatigue et l’affaiblissement des capacités énergétiques sont également des facteurs qui augmentent ce risque de stress-post traumatique, tout comme la notion de responsabilité individuelle, adaptée à cette crise inédite. Mais, comme le précise le professeur Noël, la situation du soignant à l’hôpital avant l’épidémie n’a aidé en rien. « 30% du personnel soignant a déclaré mener une vie difficile à l’hôpital. Les politiques de rentabilité, de rationalisation des soins ont créé un fossé considérable entre l’administration et les gens sur le terrain, peu valorisé, peu soutenus. Beaucoup avaient déjà perdu leur motivation avant cette pandémie. »
Des facteurs de protection
Heureusement, grâce à ces études internationales, les hôpitaux du monde entier ont pu être alertés sans tarder et prévoir du soutien psychologique pour leur personnel au sein de leurs établissements. « Ils sont peu à y avoir fait appel, peut-être à cause du fait de parler de problèmes personnels à un collègue, dans un contexte professionnel. Mais beaucoup ont demandé de l’aide à des services externes. »
Si les facteurs de risque étaient nombreux, les facteurs de protection, qui aident ce personnel à garder le moral et une bonne santé mentale ne manquaient pas. « Au sein du personnel, la solidarité a été exceptionnelle. Les équipes étaient soudées et cette entraide joue beaucoup. Ensuite, ça a remis certaines personnes au cœur de leur métier. Elles se sont souvenue de pourquoi elles ont choisi cette profession, en contribuant aux soins, en ayant le sentiment de faire quelque chose qui correspond à leurs valeurs. Les hôpitaux ont aussi fait ce qu’il fallait pour aider avec des séances de relaxions, corbeilles de fruits et autres petits attentions qui comptent. »
Les fameuses séances d’applaudissements quotidiennes ont pu sembler futiles à certains mais elles ont « joué un rôle déterminant ». « L’adhésion, en grande partie spontanée, de la population générale à ces métiers a été très importante. »
Jusqu’à 3 ans après
Ce stress post-traumatique peut se manifester par une peur intense, des transpirations, des ruminations et pensées négatives, parfois incontrôlables, des problèmes de sommeil de concentration ou des difficultés émotionnelles. « Avec la routine, des actions répétées sans cesses, des décès nombreux, des médecins, infirmiers ne ressentent plus certains émotions qu’on ressent généralement. C’est un vrai effondrement émotionnel qui s’occasionne chez certains. »
D’après différentes études, le risque de stress post-traumatique n’est pas présent uniquement dans un laps de temps court. Au contrairement, il peut survenir sur une période de trois ans. « Et parfois, ces troubles deviennent insupportable à un point tel qu’il est impossible de retourner travailler. C’est alors qu’il faut consulter des spécialistes en traumatologie. »
Selon notre expert, pour améliorer en partie cette situation pour ces femmes et ces hommes, il va falloir joindre les actes à la parole. « Que les soignants soient considérés comme indispensables par tous, cela a aidé un moment, mais ça ne suffit plus. Désormais, il faudra du concret, que ces personnes soient valorisées, par des augmentations de salaire notamment. On parle beaucoup de revenir au monde d’avant, mais il faut plutôt parler du monde d’après. Si tout redevient comme avant, ces personnes aux rôles déterminants vont se sentir instrumentalisés d’avoir autant travaillé, sacrifié des congés, etc. La question sanitaire, la question psychologique et la question sociale se mêlent sur ce sujet et la manière dont la société va y répondre sera très importante. »