Vaccin contre le Covid-19: Qui en bénéficiera le premier? 

La création d'un vaccin est encore loin devant nous et pourtant, la question de sa diffusion fait déjà débat. Tant au niveau national qu'au niveau mondial. Et comme dans toute compétition, il y aura des gagnants et des perdants.

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Yves Van Laethem a été clair. Vu l'ampleur de la demande, « il n'y en aura pas pour tout le monde » en même temps, a averti le président de la section « vaccin » du Conseil supérieur de la santé. « Forcément, quand les vaccins vont commencer à être produits, on ne va pas attendre d'avoir 10 millions de doses pour donner la première », reformule Arnaud Marchant, directeur de l'Institut d'Immunologie médicale de l'ULB. Qui sera alors prioritaire? Pour le chercheur, la réponse est simple: les premiers à pouvoir en bénéficier doivent être les plus vulnérables. Seulement voilà, cela représente un tas de gens. Le Conseil supérieur de la santé a donc identifié trois groupes: d'abord, les personnes âgées de plus de 65 ans, ensuite les personnes atteintes d'hypertension ou de diabète, et enfin le personnel soignant. « La définition des groupes à risque est basée sur ce que l'on a appris de l'épidémie », souligne Arnaud Marchant. Par conséquent, les personnes atteintes de maladies cardiaques, pulmonaires ou rénales, considérées elles aussi comme des personnes à risque, devraient aussi, en théorie, pouvoir bénéficier des premiers vaccins. En cours de discussion, ce plan de vaccination s'élabore toutefois autour de deux inconnues: quand le premier vaccin sera-t-il disponible et, surtout, en quelle quantité?

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Course contre la montre

Les scientifiques du monde entier travaillent d'arrache-pied au développement d'un vaccin. De la petite structure au mastodonte pharmaceutique, les initiatives se fondent sur des stratégies et des hypothèses scientifiques différentes, et nul ne sait aujourd'hui dire laquelle s’imposera. Aucune entreprise n'aura, à elle seule, les ressources pour en produire suffisamment pour toute la planète. « C'est pourquoi le fait qu'il y ait plusieurs vaccins en développement soit une bonne nouvelle », rassure Arnaud Marchant, même si toutes n'atteindront pas non plus leur objectif. Dans le scénario « le plus optimiste », selon l’Agence européenne du médicament (EMA), on pourrait espérer l'identification d'un ou plusieurs vaccins d'ici un an. « Pour la production et la distribution, l'échéance pourrait être plus longue », précise le chercheur, soulignant que la création d'un vaccin prend en temps normal environ dix ans.

Une priorité entre les pays?

Face à l'urgence engendrée par la pandémie de Covid-19, les procédures sont bouleversées, accélérées, et les efforts rassemblés sont gigantesques. « Plusieurs types de vaccin seront mis sur le marché, et ce sera pour le bénéfice de tous, pour peu que la mise à disposition soit universelle et équilibrée », nuance le directeur de l'Institut d'Immunologie médicale de l'ULB. Car la question est de savoir aussi s'il y en aura assez pour tous les pays. « Il y aura peut-être des discussions, comme on le fait maintenant en Belgique, pour déterminer qui aura droit aux premières doses. La seule façon de traiter ça correctement, ce n'est pas par l'argent et le pouvoir, mais par la protection des plus vulnérables. » La Belgique pourrait-elle ne pas en bénéficier dans un premier temps? Ce serait « extrêmement anormal qu'on soit exclus de la distribution » puisque des essais de vaccins seront pratiqués sur notre territoire.

« America First »

Il est possible également que certains pays fassent pression pour être privilégiés. Le géant pharmaceutique français Sanofi a provoqué l'indignation en Europe en annonçant qu'il distribuerait un éventuel vaccin en priorité aux Etats-Unis, qui ont investi 30 millions de dollars pour soutenir ses recherches, avant d'assurer que « le vaccin contre le Covid-19 sera mis à disposition de tous les citoyens, quelle que soit leur nationalité ». « Ils vont sans doute continuer à essayer », craint Arnaud Marchant. Même en pleine pandémie, Donald Trump est bien déterminé à appliquer sa doctrine « America First ». L'expert compte ainsi sur les organismes internationaux pour « tenter de garder un équilibre ». 
 
La course mondiale au vaccin aiguise les rivalités et les tensions, en particulier celles entre la Chine et les Etats-Unis. Face à cette rivalité sino-américaine dont la quête d'un vaccin est le dernier enjeu, l'Union Européenne doit s'armer aussi dans le domaine de la recherche, avance Le Monde. D’après un document consulté par Reuters, cité par la RTBF, la Commission envisage de mobiliser un fonds d’urgence de 2,4 milliards d’euros pour renforcer la capacité des laboratoires pharmaceutiques en Europe afin d’éviter que le Vieux Continent ne se retrouve démuni lorsqu’un vaccin contre le coronavirus aura été trouvé.
 
L'Europe a besoin d'agir collectivement. « La planète devrait agir collectivement, renchérit Arnaud Marchant, utopiste. Si ce n'est pas possible à cette échelle, il faudra que ce soit à l'échelle des plus grands ensembles possibles. Ces derniers devront s'accorder pour que, au sein de chaque pays, les groupes vulnérables bénéficient d'un vaccin en premier lieu », estime-t-il, espérant que l'OMS et l'ONU mettent en œuvre cet arbitrage.

Un vaccin, mais à quel prix?

Outre sa diffusion, le prix du vaccin - et ce qu'il rapportera aux firmes pharmaceutiques - est également au cœur des discussions. Plus de 140 personnalités, dont le président sud-africain Cyril Ramaphosa et le Premier ministre pakistanais Imran Khan, ont insisté récemment dans une lettre ouverte sur la nécessité d'un vaccin contre le Covid-19 gratuit pour tous. « Je n'imagine pas qu'il ne le soit pas », déclare le scientifique belge. Dans une tribune pour Libération, Lucie Gadenne, professeure à l'université de Warwick, en Angleterre et Xavier Jaravel, professeur à la London School of Economics soulignent l'importance d'une organisation multilatérale pour organiser cet accès pour tous, sans quoi « le risque est grand de s’exposer à une guerre des prix au plus offrant ». La saga des masques l'illustre tristement.

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