

« Alors, un petit resto cette semaine ? » En temps normal, Yannick est incapable de décliner ce genre de propositions, lui qui enfile 2, parfois 3 restaurants par semaine, « sans compter les lunchs d’affaire ». Mais là, on sent ce jeune entrepreneur un peu sur la retenue. « Attendons quinze jours, pour être sûr. Par contre, une bouffe à la maison ce week-end, avec plaisir ». Yannick est loin d’être le seul à vouloir attendre plusieurs semaines avant de repasser la porte d’un café ou d’un restaurant. Si on en croit un récent sondage de Edenred Belgique, effectué auprès de 1.600 utilisateurs de chèques-repas, ils seraient 20% à préférer ne pas trop se presser. Leurs craintes ? Que l’ambiance ne soit plus celle d’avant le confinement, ou que les mesures sanitaires ne soient pas suffisamment bien respectées.
Pour les autres, il semble que ce soit le grand jour. Ce lundi 8 juin signe en effet le coup de la reprise pour les cafés et les restaurants, comme l’a confirmé le dernier Conseil national de sécurité (CNS). Un moment attendu depuis presque trois mois, qui pour 8 sondés sur 10 (toujours par Edenred Belgique) sera l’occasion d’un peu plus tourner la page du confinement, de se retrouver en famille ou entre amis autour d’une bonne bière spéciale ou d’un bon plat et surtout, surtout ailleurs qu’à la maison. Pour Nesrine, 28 ans, l’idée est un peu de joindre l’utile à l’agréable. C’est pour ça qu’elle a réservé dans un thaï, ce mercredi : « On connait les difficultés des restaurants. Du coup réserver et y aller rapidement, c’est une sorte d’acte de solidarité. Après on va pas se mentir, y en a aussi un peu marre de cuisiner ». Une inquiétude, toutefois : que les mesures sanitaires soient un peu trop « envahissantes », et « qu’on puisse pas vraiment avoir le temps de chiller entre potes ».
Avant le dernier CNS, des bruits circulaient ici et là sur la manière dont s’organiserait la réouverture du secteur. Il a été question de panneaux de plexiglas à placer entre chaque table, de prendre systématiquement les coordonnées des clients ou de fonctionner uniquement sur réservation… bonjour l’ambiance. Ces pistes ont finalement été abandonnées, parce que trop contraignantes à mettre en place par les tenanciers. Pour un petit restaurant de quartier comme celui niché au cœur de Watermael-Boitsfort (Bruxelles), c’est un soulagement. Il faut dire qu’on y vient manger au moins autant pour la convivialité du lieu que pour la qualité de la cuisine.
Mais même sans plexiglas, le parfum de la réouverture y sera forcément un peu étrange. C’est pour ça que Jacques, le patron, un air d’éternel soixante-huitard et une barbe aussi fournie que celle de Marx en son temps, a battu le rappel des troupes ce dimanche, veille de reprise. « Il faudra être super à l’écoute des clients, de leurs craintes » explique-t-il devant son personnel, réuni au grand complet pour l’occasion. « Ne pas hésiter à désinfecter deux fois la même table ; on en fait plutôt trop que trop peu ». Pour être sûr que tout soit calé pour ce lundi, serveuses et barmen répètent le balai inhabituel qui sera maintenant le leur. À commencer par le port du masque, obligatoire en salle. « Il va falloir vous entraînez à sourire avec les yeux », lance Géry, qui tient le bar depuis 3 ans.
Lavage et désinfection systématique des mains sont aussi au programme. Une table sur deux est condamnée, respect des distances de sécurité oblige. Pas de service au bar (adieu le petit rosé au comptoir). Fini aussi la distribution des menus. Pour prendre connaissance de la carte, les clients devront scanner un QR code, un comble pour un restaurant où il n’est toujours pas possible de régler la note par carte bancaire. « De toute façon, la plupart des habitués connaissent la carte par cœur » relativise le patron, qui veut croire à la patience des clients. « Les gens seront compréhensifs, surtout au début si on tâtonne dans l’organisation. On a reçu plein de marques de soutien, sur Facebook, au téléphone. Des gens du quartier ou d’ailleurs. Ça motive pour la réouverture ».