
Quand les femmes portant le hijab contre-attaquent

Le 4 juin dernier, la Cour Constitutionnelle a donné raison à la Haute Ecole Francisco Ferrer, estimant que l'établissement bruxellois était dans son bon droit d'interdire à ses étudiants de porter des signes manifestant une appartenance philosophique ou religieuse. Bien que le Tribunal de première instance de Bruxelles doit encore se prononcer, la Ville de Bruxelles s'est déjà réjouie d'un tel arrêt. « La Cour garantit ainsi la validité du projet pédagogique de la Ville visant à instituer un environnement éducatif totalement neutre et qui évite à chacun.e de subir une pression sociale liée au port ou à l'absence de port de signes convictionnels », déclarait l'échevine bruxelloise de l'Instruction Faouzia Hariche dans un communiqué. Cette décision - et cette réaction - n'ont pas manqué de faire réagir les principales concernées: les femmes musulmanes portant le hijab, une fois de plus exclues.
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Victimes d'une série de législations discriminatoires, celles-ci ont décidé de ne plus se laisser faire. « C'était vraiment la goutte de trop », confie Salma Faitah du collectif féministe La 5e vague. Avec deux autres plateformes engagées, Imazi Reine et Belges comme vous, elles ont décidé de « prendre les choses en main », en lançant le mouvement #HijabisFightBack pour une Belgique véritablement inclusive. « Encore une fois, on restreint l'accès aux études aux femmes qui portent le foulard. Et encore une fois, on prend une décision qui nous concerne spécifiquement et exclusivement sans prendre nos réalités en compte », accusent-elles dans une vidéo largement partagée sur les réseaux sociaux.
Des conséquences néfastes
Ici, la législation ne porte pas sur l'enseignement secondaire, où le port du voile est interdit depuis plusieurs années dans la quasi-totalité des établissements, mais bien sur le supérieur. « Ce sont des femmes adultes qu'on essaie d'infantiliser, c'est aberrant », dénonce la militante anti-raciste qui en remet une couche: « C'est une décision paternaliste, sexiste, islamophobe, et même anti-religieuse, car d'autres minorités comme les Juifs et les Sikhs sont attaquées. » Et cela n'est pas sans conséquence sur l'avenir de ces femmes musulmanes qui doivent faire un choix: « abandonner leurs rêves » ou « placer dans une petite boîte leur identité et leurs croyances pour faire partie de cette société qui ne veut pas d'elles », regrette la féministe qui, elle-même, a dû abandonner ses études en médecine car « trop de professeurs harcèlent les filles qui portent le foulard ».
En donnant le feu vert à la Haute Ecole Francisco Ferrer, les trois collectifs craignent que cela laisse la porte ouverte à l'interdiction du port des signes religieux dans l'ensemble des établissements de l'enseignement supérieur. « Si cette législation n'est pas revue, une partie de la population qui est déjà discriminée dans les études et à l'emploi le sera encore plus, au point d'être effacée tout simplement de la société », redoute Salma Faitah, ajoutant que cela aura également un impact dans la rue, où « le racisme ordinaire sera encore plus décomplexé ». La militante pointe également le paradoxe d'une telle décision. « On nous accuse toujours de communautarisme, mais ils nous poussent sans cesse dans le retranchement. » Ce même communautarisme contre lequel les politiques disent vouloir lutter.
Rendez-vous le 5 juillet et après
Grâce à l'initiative #HijabisFightBack, accompagnée parfois du hashtag #TouchePasAMesEtudes, la parole est enfin donnée aux principales intéressées. Sur les réseaux sociaux, les témoignages se multiplient de femmes musulmanes portant le hijab, victimes de discriminations, de harcèlement et de violences lors de leur formation, au travail et ailleurs. « Nous sommes en 2020 et j’ai la rage de voir toujours circuler ces fameuses listes d’écoles et entreprises 'hijab friendly'. J’ai la rage qu’on se réjouisse de notre exclusion. J’ai la rage que l’on nous impose une conception tordue de l’émancipation », confie l'une d'entre elles sur Facebook, douze ans après avoir vécu une douloureuse expérience… à la Haute Ecole Francisco Ferrer.
À l'aide de ces récits, les trois collectifs ont pour objectif de faire pression sur les détenteurs du pouvoir législatif et judiciaire. Contre la décision de la Cour Constitutionnelle, ils organisent une manifestation le 5 juillet prochain à Bruxelles. Mais le mouvement #HijabisFightBack ne s'arrêtera pas après ce rassemblement. « La lutte ne cessera pas tant que la législation et la jurisprudence belge manquera de prendre en compte les réalités des femmes musulmanes lorsque des décisions les concernant sont prises. »