"Il faut reconnaître et confronter ce racisme institutionnalisé en Europe"

La député européenne Pierrette Herzberger-Fofana revient sur les violences policières dont elle assure avoir été la victime mercredi à Bruxelles. Et appelle la Belgique et l'Europe a faire un travail de fond sur son histoire coloniale.

Pierrette Herzberger-Fofana au Parlement européen - AFP

Pierrette Herzberger-Fofana, eurodéputée allemande (Verts), a porté plainte contre des policiers de Bruxelles pour coups et blessures volontaires, traitement dégradant, atteinte arbitraire aux droits constitutionnels, abus d'autorité et racisme ou discrimination. Les faits se sont déroulés mercredi en début d'après-midi près de la gare du Nord.

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Vous avez été témoin d'une interpellation de deux jeunes Noirs par des policiers. Cette interpellation vous a-t-elle semblé particulièrement violente ?

J'étais sur les lieux et j'attendais le chauffeur. Et j'avais mon portable en main. J'ai d'abord entendu ce qui se passait en face. Il m'a paru que les policiers parlaient très fort avec ces jeunes gens. J'ai regardé ce qu'il se passait et j'ai fait une photo. C'est tout. Je n'ai pas filmé. A ce moment, ils se sont dirigés vers moi pour m'interpeller.

Les policiers ont fait preuve d'une violence démesurée ?

Oui. Parce que j’étais dans la légalité. Toute personne a le droit de faire une photo. Je l'ai ressenti comme une interpellation à caractère raciste. L'un d'eux m'a demandé ma pièce d'identité, je lui ai donnée ma carte de députée. J'avais aussi mon badge sur moi. Ça n'avait pas l'air de lui suffire. J'ai remis mon passeport allemand et il m'a dit : «  Vous n'êtes pas enregistré en Belgique ». J'ai répondu : « Bien sûr que je suis enregistrée en Belgique » . Il m'a dit : « Donnez-moi la carte ! ». Donc, ça veut dire que ni le passeport allemand, ni la carte de député n'avait de valeur. C'était comme s'ils avaient l'impression que je leur tendais un piège... Et puis, il y a eu surtout cet incident quand il a voulu me mettre contre le mur et que j'ai refusé. Là, ils se sont mis à plusieurs pour me plaquer contre le mur et me fouiller alors qu'ils avaient mes papiers d'identité en mains.

Pour vous, c'est très clair qu'il s'agissait de racisme ?

Oui. Est-ce qu'on demanderait à une femme blanche qui sortirait sa carte de députée son passeport de pays d'origine ? La carte de résidence du pays ? Je ne pense pas.

Avez-vous déjà subi des maltraitances de la sorte dans d'autres villes d'Europe ?

Comme la plupart des personnes noires... On a tous subi des situations pénibles, des maltraitances, des interpellations toujours guidées par des préjugés racistes. C'est important de souligner que cela peut arriver à tout moment à des personnes qui n'ont pas la chance de pouvoir se défendre comme moi. Je pars du principe que c'est important de reconnaître cela et de confronter ce racisme institutionnalisé et cette violence policière comme un problème structurel.

Cette question du racisme institutionnalisé était encore tabou jusqu'à très récemment. On regardait ce qui se passait aux Etats-Unis comme s'il s'agissait d'un problème lointain. Mais vous dites que c'est la même chose en Europe...

Exactement. Nous avons eu des cas de violences policières en Belgique, en France, en Allemagne... Peut-être qu'avec ce qui est arrivé, nous allons enfin amorcer le débat sur cette problématique de racisme institutionnalisé et ce problème structurel que nous avons en Europe aussi.

Ce débat n'a pas encore été lancé ?

Je ne crois pas. Mais c'est important de le faire. Quand vous reconnaissez déjà quelque chose, vous cherchez des solutions. Ce racisme structurel a une longue histoire. Il prend sa source dans le passé colonial de l'Europe. Il est nécessaire de revisiter cet épisode historique de manière approfondie et de se poser les questions qu'il faut. Bien sûr la formation des policiers, c'est un jalon, un début, mais ce n'est pas la seule réponse. Il faut de la justice, que ces comportements racistes aient des conséquences et il va falloir aussi rendre justice à toutes les victimes des violences policières pour que plus jamais dans l'Union européenne les gens n'aient besoin de manifester pour réclamer cela. Il faut que les gouvernements nationaux reconnaissent le problème du racisme, de la violence policière et ne cherchent pas à trouver des justifications qui n'en sont pas.

La Belgique et l'Europe ont besoin de regarder leur passé colonial dans les yeux ?

Oui, c'est un besoin essentiel. Parce que ce passé colonial trouble nos relations entre Européens, et entre l'Europe et l'Afrique. Et quand on revisitera ensemble l'histoire coloniale de l'Europe et que l'on se posera les bonnes questions pour essayer de comprendre ce racisme structurel dont nous avons reçu l’héritage, peut-être arriverons-nous à des solutions.

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