Ryanair: un shopping mall qui brûle 45 kg de kérosène à la minute

La crise du coronavirus accélère la «ryanairisation» du secteur aérien. Mais quel est au juste le business model du pape des vols low cost?

BelgaImage - Ryanair

Les avis sont quasi unanimes. La paralysie historique du secteur aérien provoquée par la pandémie de Covid-19 aura causé la perte, ou mis à mal de nombreuses compagnies, mais elle aura permis à Ryanair d'être encore plus dominante que jamais. Focus sur un business model aujourd'hui convoité par tous ceux qui le conspuaient.

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Cost killer

Ryanair doit d'abord son succès à une stratégie inédite et pour le moins agressive de réduction de coûts. A commencer par sa flotte d'appareils: ce sont tous des Boeing 737. Ce qui diminue les frais d'entretien - la compagnie n'a besoin que d'un seul type d'ingénieur - et réduit le prix d'achat des avions car les commandes sont groupées. Sans compter les économies réalisées sur les formations puisque les pilotes et le personnel de cabine ne doivent pas s'entraîner sur d'autres modèles d'appareils.

Aucun avion au sol ne rapporte de l'argent. Toutes les compagnies le savent. Mais Ryanair pousse la logique à son paroxysme, réduit le temps mort entre deux vols à 25 minutes et fait voler ses appareils deux fois plus que la plupart de ses concurrents. C'est notamment pour cela que les derniers appareils de sa flotte ont des sièges non inclinables, sans vide-poche ni carte de sécurité amovible et avec leurs gilets de sauvetage rangés au-dessus plutôt que sous le siège. Cela permet à Ryanair d'économiser sur les coûts de l'avion mais aussi d'accélérer le nettoyage et les contrôles de sécurité, et donc la fréquence de vol. Même logique en ce qui concerne l'embarquement et le débarquement des passagers. La compagnie fait payer les bagages à main pour limiter leur nombre et donc le temps nécessaire pour les placer dans les espaces de rangement. Les nouveaux avions de Ryanair ont également leur propre escalier intégré pour ne pas attendre les marches ou la passerelle fournie par l'aéroport.

«Quoi qu'on en dise, Ryanair est un société très bien gérée, constate Alain Vanalderweireldt, commandant de bord pour la compagnie cargo allemande DHL et président de la Belgian Cockpit Association, l’organisation qui représente les pilotes de ligne en Belgique. C'est une compagnie récente qui bénéficie de vrais avantages compétitifs, investit dans des avions performants et centralise tout à Dublin. De purs atouts managériaux.» Reste que la compagnie irlandaise élude les impôts locaux et écrase aussi les coûts de personnel. Elle n'a d'ailleurs même pas encore régularisé le chômage économique Covid-19 de ses employés. «C'est évidemment là où le bât blesse. Si cela n'a toujours pas été fait depuis deux mois, c'est parce que tout est géré de loin, depuis l'Irlande. Si c'était un employeur belge avec un management local, comme Brussels Airlines, ce serait déjà réglé depuis longtemps.»

Frais cachés

Afin de proposer des tarifs en moyenne 20% moins chers que ceux de ses concurrents, Ryanair a déplacé son business model. La compagnie vend donc ses billets au prix coûtant, voire même à perte, et se rattrape sur tous les frais cachés: bagages, boissons et snacks à bord, choix de la place dans l'avion, passage prioritaire au contrôle de sécurité, amendes si on n'a pas fait le check-in chez soi ou que l'on a oublié sa carte d'embarquement, etc. «Mais la compagnie irlandaise touche également de grosses commissions des sites de réservation.» Agences de voyages, loueur de voitures, autocaristes, hôtels, parkings, activités,... «Le business model de Ryanair, c'est donc un shopping mall qui brûle 45 kg de kérosène par minute.»

Point to point

À l'inverse des compagnies traditionnelles, le pape du low cost mise également tout sur le système «point to point», c'est à dire les vols directs intracontinentaux. Prenons l'exemple d'un vol Bruxelles-Dublin. Une compagnie classique segmenterait cet itinéraire en deux parties: premier vol Bruxelles-Londres Heathrow et second vol Londres Heathrow-Dublin. Ce qui a l'avantage de réduire le nombre d'appareils sur le second segment - tous les voyageurs, qu'ils soient Belges, Français ou Allemands, se rejoignent dans ces grands aéroports «hub» comme Londres Heathrow, Paris Charles-De-Gaulle, Francfort ou Amsterdam Schiphol -, mais a l'inconvénient de rallonger la durée du trajet. Ryanair, elle, court-circuite ces hubs très coûteux pour proposer une liaison directe depuis un aéroport secondaire comme Charleroi, par exemple. Des aérogares très souvent subventionnées et financièrement exsangues. Ainsi, selon les calculs de l'ONG Transport & Environment, 24 % des aéroports desservis par Ryanair au sein de l'Union européenne seraient déficitaires et sous perfusion publique.

«On se pose aujourd'hui la question d'une participation de l'État dans la compagnie Brussels Airlines, remarque Didier Lebbe, Secrétaire Permanent CNE aéronautique. C'est une très bonne chose mais je pense qu'il faudrait aussi nationaliser en partie les aéroports car ce sont eux qui décident des compagnies qui peuvent y atterrir.» Et ce syndicaliste d'opter pour une refonte complète du système. «Quand un avion Ryanair atterrit à Las Palmas, par exemple, il reçoit de l'aéroport environ 20 euros par passager débarqué. Ces aéroports subventionnés paient donc Ryanair!» Un non sens? Si certaines régions reculées offrent des ponts d'or à la compagnie irlandaise, c'est d'abord parce que celle-ci participe clairement à leur développement économique.

«Prenez l'aéroport français de Rodez dans L'Aveyron. Un vol Ryanair arrive de Charleroi pour le week-end et un autre fait la même chose depuis Manchester. C'est tout. Le reste, ce sont des jets privés vers Paris pour amener des députés locaux à l'Assemblée... Alors oui, les Belges achètent des maisons dans la région car ils savent qu'ils peuvent y aller en avion pour le week-end. C'est une grosse manne pour ces territoires pauvres. Mais à qui d'autre cela profite-t-il? Au tourisme de masse dont on connaît l'impact désastreux sur l'environnement et aux plus aisés qui peuvent se payer un mas dans l'Aveyron, mais certainement pas aux employés du secteur aérien dont les conditions de travail sont, elles-aussi, de plus en plus low cost.» Selon nos informations, et c'est l'un des effets accélérateurs de la crise du Covid-19, les compagnies classiques seraient en train d'abandonner la plupart de ces vols directs aux low cost.

À moins que les États n'entrent au capital des compagnies aériennes pour leur imposer des conditions sociales ou environnementales, cette ryanairisation du secteur est-elle inéluctable? «Il faut réguler cette guerre des prix mais n'oublions pas non plus le pouvoir des consommateurs, conclut Alain Vanalderweireldt. Ce sont eux les vrais acteurs. Au lieu de payer 37 euros pour un billet auprès d'une compagnie dont le modèle social est rétrograde, pourquoi ne pas débourser une dizaine d'euros supplémentaires pour un vol plus respectueux des conditions de travail du personnel? Je ne suis pas sûr que cela aurait un effet sur la demande ou le pouvoir d'achat.»

Pour en savoir plus, lisez notre grande enquête "Far West social dans l'aviation". Rendez-vous en librairie à partir de ce mercredi ou dès maintenant sur notre édition numérique, sur iPad/iPhone et Android.

 

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