
Les métiers infirmiers en mal de vocations

L'admiration du personnel soignant a ses limites. La crise sanitaire actuelle a mis en lumière le rôle essentiel des infirmières, mais elle a aussi braqué les projecteurs sur ses désavantages: un métier invisibilisé, mal-payé, pénible, en manque d'effectifs depuis de nombreuses années. Et la pandémie risque de ne pas arranger les choses, bien au contraire.
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« La pénurie connaît au mieux un statu quo pour l'instant, au pire elle s'aggrave », remarque ce mardi Le Soir, évoquant des inscriptions et des remises de diplômes en berne dans cette filière. Pas de chiffres définitifs encore, mais des premières indications dans le rouge. Pour la prochaine année académique, les écoles notent pour l'instant au moins une baisse de 50% des inscriptions, note l'Association belge des praticiens de l'art infirmier (ACN). Du côté des diplômés, le président de l'association Olivier Gendebien en espère environ 2.000 en Fédération Wallonie-Bruxelles, dont 800 se lanceront sur le marché de l’emploi. « Un nombre relativement correct », estime-t-il, mais largement insuffisant face aux besoins réels. « Il y a 5.000 postes d'infirmières et d'infirmiers à pourvoir en Belgique. »
D'où vient cette pénurie?
Cela fait plusieurs années que la profession figure en tête de liste des métiers en pénurie. Sur le terrain, il y aurait aujourd'hui près de 11 infirmiers pour 1.000 habitants. « Cela ne permet pas de répondre à l'évolution du système des soins de santé, aux besoins, et de garantir un accès à la santé à toute la population belge », soulignait l'Union Général des Infirmiers de Belgique, dans son dernier mémorandum adressé aux autorités fédérales en vue de la législature 2019-2024. Aux soins intensifs, le constat est encore plus alarmant: un infirmier pour trois patients, soit l'un des ratios « les plus bas d'Europe », présentait la SIZ-Nursing, en mars dernier. Le personnel infirmier devrait y être deux fois plus nombreux. Pour pallier ce manque et répondre à la charge de travail excessive qu'il provoque, les hôpitaux recrutent à l'étranger, quitte à vider d’autres systèmes de santé d’une main-d'œuvre indispensable.
Autre conséquence de ce désamour de la profession: la population d'infirmiers vieillit, surtout au nord du pays, où 34,31% des infirmiers actifs sont âgés de 50 ans ou plus, contre 27,79% qui ont moins de 35 ans. © BELGA
Comment en est-on arrivé là? Les infirmiers et infirmières manquent cruellement dans les hôpitaux, maisons de repos et à domicile. Et ce, depuis au moins dix ans. Mais la pénurie s'est aggravée à partir de 2016, lorsque la formation est passée de trois à quatre ans, pour un salaire égal à la sortie. Cette réforme a plongé le secteur dans une situation de détresse, sans pour autant que le monde politique ne s'y attarde. « L'allongement des études en soins infirmiers a fait baisser les inscriptions de 10% », selon la Fédération des étudiants francophones (FEF). Pour l'année académique 2018-2019, cette chute a atteint 20%. L'an dernier, à cause de ce changement, ils n'étaient que 200 à 300 étudiants diplômés à l’échelle de la Communauté, contre environ 2.500 en temps normal. Pour la même raison, ce sont les infirmiers spécialisés qui vont sans doute manquer cette année.
Revaloriser la profession
Pour les professionnels de la santé, une revalorisation de la profession est indispensable. Encore trop souvent associée à celle des anciennes religieuses qui professaient au sein des hôpitaux, l'image des infirmières doit changer. Elles ne sont pas des médecins ratés, leur métier nécessite des savoirs pluridisciplinaires et pointus ainsi qu'un niveau de responsabilités important. Sans parler de la force mentale et physique.
« Il est impératif que le monde politique prenne conscience de la réalité du terrain et du vécu au quotidien de la profession infirmière », soulignait en mai dernier l'UGIB, réclamant un réinvestissement financier et humain. Leur cri d'alarme a été entendu. Le Fédéral a débloqué 600 millions d’euros pour le personnel de soins de santé, qui s'ajoutent aux 400 millions déjà décrochés l'automne dernier par le fonds blouses blanches. L'essentiel du budget dégagé en juillet (500 millions) sera consacré à la revalorisation salariale, les 100 millions restants à l'amélioration des conditions de travail. Des mesures essentielles pour attirer de futurs infirmiers, et soutenir celles et ceux qui sont déjà sur le terrain. Avant la crise, 36% d'entre eux étaient en risque de burnout. Aujourd'hui, ce nombre a doublé.