
Anvers dépassée par les trafiquants et leur violence

Ces derniers jours, les communes de Deurne et Borgerhout, en particulier, ont connu divers incidents au cours desquels des habitations ont été ciblée par des tirs, voire des grenades. Si les enquête sont toujours en cours, tout semble indiquer que cette recrudescence est liée au trafic de drogue, particulièrement sous tension à cause de la pandémie. Mais le problème est loin d'être nouveau. Au contraire, il s'est enraciné depuis plusieurs années déjà.
La lecture de votre article continue ci-dessous
En 2018, nous avions rencontré le journaliste de la VRT Stefaan Meerbergen pour son docu coup de poing sur ce microcosme (Drugsmaffia in Antwerpen - Het sociale drama achter de coke, toujours dispo sur le site de la VRT). “ Ce trafic est aux mains de la mafia belge et néerlandaise d’origine marocaine dont les barons vivent à Dubaï. ” Un business qui se compte en milliards d’euros. “ Ils investissent cet argent noir en bâtissant des kilomètres de côte marocaine entre Tanger et Nador. À Anvers, ils rachètent des appartements, des cafés, des bars à chicha et même des crèches… On les soupçonne de se payer des rues entières. ” Cette “Mocro-Maffia”, terme argotique néerlandais, serait actuellement la pire organisation criminelle européenne. Outre un passif de plusieurs dizaines de meurtres en Belgique et aux Pays-Bas, elle n’hésite pas, ces deux dernières années, à mener des attentats à la voiture- bélier et au lance-roquettes contre des médias néerlandais trop bavards ou à liquider un juge antimafia. Mais surtout, elle semble rédéfinir certains contours sociaux de la deuxième ville belge.
Une épidémie sociale
C'est que, dans certains quartiers, les trafiquants tiennent les habitants par la peur ou l’argent - en les aidant à lancer leur commerce, à payer leur hypothèque - et offrent aux jeunes de milieux défavorisés des salaires de rêve: 4.000 à 6.000 euros par mois pour les petites mains, 20.000 pour les dealers, 50.000 euros pour un docker qui accepte de fermer les yeux ou de déplacer un colis. Un plan de ce docu donne le ton. On y voit un jeune mafieux défiler à Anvers le jour de son mariage dans un cortège de Rolls-Royce et de Ferrari. Comme à Naples.
“ Dans certaines rues, tout le monde a un frère, un oncle ou un cousin impliqué dans le milieu. Le trafic de drogues s’est complètement normalisé. Les jeunes sèchent les cours et arrêtent le sport pour commencer à dealer. Les mères sont désemparées, des familles sont détruites”.
L’emprise des criminels sur l’espace public est hallucinante. Recrutés dès l’âge de 13 ans, des jeunes sont notamment payés pour bloquer la route des forces de l’ordre avec leur vélo lors de descentes et touchent 5.000 euros par caméra de surveillance policière détruite. “ Les policiers louent une voiture banalisée? L’agence de location communique la plaque aux trafiquants. ”
De Messi à Escobar
La Mocro-Maffia repousse sans cesse les limites. En février 2018, la Gazet van Antwerpen révélait que le milieu avait distribué un étonnant flyer dans les boîtes aux lettres et sur les pare-brise des voitures anversoises. Titré “Dood aan informanten” (“Mort aux informateurs”), il contenait la liste de neuf indics de la police. Selon le journaliste anversois Joris Van der Aa, le meilleur expert en la matière, le port d’Anvers capitalise à lui seul 20 à 25 % des importations européennes de cocaïne. “
Parce que ce port est énorme, poursuit Stefaan, et qu’il y a une grosse compétition entre Anvers et Rotterdam pour savoir qui sera le plus rapide. Le site n’est donc pas assez sécurisé. Il suffit de connaître un docker pour pouvoir y pénétrer avec sa voiture. Il existe même un scanner de poids lourds pour détecter les caches de drogues, mais si le camion arrive en retard, il en est exempté et doit juste payer une amende de 1.200 euros… ” Or, les cargaisons atteignent parfois les millions d’euros. Sur les 10 millions de containers déchargés chaque année dans le port d’Anvers, moins de 1 % serait contrôlé. La faute aussi à la corruption qui frappe le milieu des dockers, les services de douanes ou de police.
Même Bart De Wever, bourgmestre d’Anvers, a renoncé à gagner cette guerre contre la drogue. Mais il ne dépose pas encore les armes. Pour tracer les fuites de capitaux, collaborer avec les pays producteurs de cocaïne ou sécuriser le recrutement des dockers, un plan d’action (Stroomplan) est déployé. Malgré une augmentation des arrestations et des saisies - 62 tonnes en 2019 contre 50 en 2018 -, la tâche s’annonce extrêmement compliquée. “ Prenons le cas des dockers, continue le journaliste. Comment savoir que la personne honnête que vous engagez ne va pas un jour succomber à la tentation de gagner des dizaines de milliers d’euros juste pour fermer les yeux? Il faut renforcer la répression mais aussi travailler sur de nombreux autres paramètres, notamment sur le social. ”
Bart De Wever n’hésite pas à communautariser le problème qui serait lié, selon lui, à la culture berbère et au trafic de haschisch dans la région du Rif. “ Il y a effectivement beaucoup de personnes d’origine marocaine impliquées, mais la plupart des Marocains à Anvers sont contre ce trafic. Pour les autres, notamment les jeunes, cela prendra du temps, mais il faut pouvoir leur offrir un autre modèle car les trafiquants sont aujourd’hui leurs nouvelles idoles. ” Un constat partagé par une éducatrice en Institution publique de protection de la jeunesse (IPPJ), lieu qui accueille souvent ces primo-délinquants. “ Avant, certains jeunes enfermés ici rêvaient encore d’être le nouveau Lionel Messi ou le prochain Booba. Aujourd’hui, l’écrasante majorité veut un destin à la Pablo Escobar. ”