
Les pères grands gagnants du confinement, mais pas les mères

La crise sanitaire a été l’occasion de bien des mauvaises nouvelles. À la maison, près de 20% des familles ont par exemple eu droit à un burn-out parental pendant le confinement. Mais à côté de cela, le ciel n’est pas entièrement gris. La preuve: une étude d’Harvard a remarqué que cette période de repli avait amené 70% des pères à se rapprocher de leurs enfants. Un père sur cinq se dit même «beaucoup plus proche» d’eux grâce à cette opportunité. Seulement 1,4% des hommes ont eu l’effet inverse. Mais cette note réjouissante cache des réalités plus sombres. Car si on peut se réjouir du lien accru père-enfant, le confinement n’a pas du tout eu un effet aussi positif sur les relations hommes-femmes au sein du foyer.
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Passer du bon temps avec son père
Mais avant de parler de ce qui ne va pas, on peut d’abord s’attarder sur les données réjouissantes récoltées par les chercheurs d’Harvard. Car au-delà du fait que les pères se sont sentis plus proches de leurs enfants, ils ont voulu savoir en quoi le confinement avait renforcé ce lien. Ils ont ainsi remarqué que dans plus de la moitié des cas, rester constamment à la maison a été l’occasion de parler des sujets qui intéressaient chacun d’entre eux, d’évoquer leurs sentiments respectifs et au final de mieux se connaître. Ce mélange de conversations plus riches, de moments de loisirs plus nombreux et d’activités plus stimulantes explique ce changement positif.
En Belgique aussi, ce phénomène a été constaté, notamment par Isabelle Roskam, professeure en psychologie du développement et de la parentalité à l'UCLouvain, même si ses données ne différencient pas les pères et les mères. «Pour 30% des familles, le confinement a eu un effet bénéfique. Ces personnes sont beaucoup moins épuisées, ils ne doivent plus courir partout pour conduire les enfants à leurs activités extra-scolaires, arriver à temps au boulot… Ils ont diminué leur stress et investi le temps gagné à la fois pour eux et pour leurs enfants, par exemple lors des repas en famille. Cela a aussi permis de faire un jeu de société, de bricoler, de cuisiner ensemble, etc.», explique-t-elle.
Des changements passagers et qui écartent les femmes
Ça, c’était pour les bonnes nouvelles. Mais les chercheurs ont noté que tout n’est pas si rose. Premièrement, à Harvard, on craint que ces gains de proximité entre père et enfant ne s’évaporent rapidement avec le déconfinement. Ils insistent d’ailleurs pour que les familles mettent en place de nouveau rituels et des routines pour continuer à bénéficier de ce rapprochement par la suite. Les parents pourraient aussi réduire le nombre d’activités extra-scolaires pour se concentrer sur celles préférées par les enfants et ainsi passer plus de temps avec eux.
Du côté d’Isabelle Roskam, c’est une autre donnée qui a attiré son attention. De base, elle s’était dit que le confinement pouvait rééquilibrer le partage des tâches à la maison, qui incombent à 70% aux mères. Après tout, non seulement les pères étaient plus présents à la maison mais en plus, dans certaines familles, certaines mères étaient plus absentes que d’habitude, particulièrement chez les infirmières. «Mais ce qu’on a vu est assez interpellant», raconte-elle. «Même dans ces situations-là, cela n’a pas changé et il n’y a pas tellement eu de repartage des tâches. En fait, ce n’est pas si étonnant de voir que les pères ont profité du confinement pour se rapprocher de leurs enfants parce que pour une partie, ils ont eu plus de temps mais parfois aussi moins de charges. Dans certains cas, on avait même des hommes qui ne travaillaient plus du tout mais qui continuaient à s’occuper essentiellement d’eux-mêmes».
Pour elle, cela montre une chose: les mères n’ont pas pu profiter du confinement pour redéfinir leur rôle. Les stéréotypes de genre sont trop puissants pour cela. «Cette persistance est ce que l’on appelle les croyances essentialistes. Par essence, on croit que certaines tâches ou missions sont mieux réalisées par certaines personnes. Et c’est tellement ancré que même avec cette période particulière, cela ne s’est pas transformé», note Isabelle Roskam.
Changer la loi et les mentalités
Mais si le confinement, malgré son potentiel, n’a pas pu changer cette situation, comment faire pour tendre vers l’égalité des sexes au sein du foyer familial? La professeure de l’UCLouvain propose deux pistes: une évolution par le haut et par le bas. Dans le premier cas, il s’agit de modifier la loi pour faire bouger les lignes. Parmi ces changements macroscopiques, on peut notamment citer le congé parental. Pour l’instant, l’inégalité est frappante. Le congé de maternité est de 15 semaines et obligatoire et celui de paternité est de 10 jours et facultatif. Selon Isabelle Roskam, cela induit l’idée que les femmes peuvent sacrifier leur vie professionnelle au contraire des hommes. Mais il y a de l’espoir pour que cela change. La France vient de décider le doublement du congé de paternité à 28 jours tout en le rendant obligatoire. En Belgique, le sujet est toujours débattu.
Autre exemple d’évolution possible par le haut: modifier l’acquisition du statut de parent. «En Belgique, on est désigné mère quand on donne naissance à l’enfant car il y a un lien biologique indéniable, même si on peut remarquer que c’est déjà plus compliqué pour les couples de femmes homosexuelles. Mais pour les pères, c’est différent. Si on est marié, c’est d’office le mari qui obtient ce statut, même si l’enfant est de quelqu’un d’autre. Il faudra faire des démarches de dingue pour se désengager de cette paternité qui n’est en fait pas réelle. Et en situation de concubinage, la mère doit aller à la commune accompagnée du père supposé et donner son accord pour que cet homme-là soit reconnu. Si la mère n’a pas envie de faire ces démarches, par exemple en cas de brouille avec le conjoint, ce dernier devra se débattre pour prouver qu’il est le père. C’est donc la femme qui donne et accorde au père son statut. Cela laisse l’idée dans l’inconscient collectif qu’un père ne vaut pas une mère».
Enfin, il y a les changements par le bas. Ici, on retrouve la fameuse différenciation des jouets entre les filles et les garçons, ou encore l’implication inégale de ceux-ci dans les tâches domestiques. Autant de points qui prouvent la persistance des stéréotypes de genre qui restent très forts dans l’éducation des enfants. «On doit tous se poser la question de ce que l’on peut faire pour que chacun soit ouvert à une plus grande égalité. C’est important parce que ces choix d’aujourd’hui feront les personnes de demain», conclut Isabelle Roskam.