
Les commerces «au bord du gouffre»

C’est le scénario qu’ils redoutaient tous. Les commerçants craignaient une deuxième vague épidémique et la voici qu’elle pointe le bout de son nez. Alors qu’ils ne se sont pas tous remis de la première, celle-ci pourrait être vraiment dévastatrice. C’est ce qui a amené l'organisation sectorielle Belgian Luxembourg Council for Retail and Shopping Centres (BLSC) à alerter le public ce mercredi via une lettre. Il y est affirmé que les acteurs du secteur sont «nombreux à être au bord du gouffre» et que l’e-commerce risque d’éloigner de nouveau les consommateurs des magasins physiques, ce qui signifierait «la mort des villes et des communes». Mais si cette crainte est bien réelle, il faut préciser que le secteur du commerce est loin d’être monolithe et que les réalités y sont diverses et variées.
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Le non-alimentaire, frappé de plein fouet
Il faut déjà différencier deux catégories qui font face à des problèmes très différents: l’alimentaire et le non-alimentaire. De manière générale, c’est le deuxième qui est le plus touché par la crise. Fermés pendant le printemps, les magasins de ce secteur pâtissent depuis de l’effet des gestes barrières, car shopping plaisir s’accorde difficilement avec le port du masque par exemple. Un sondage UCM-Comeos montre en ce début octobre que 71% des consommateurs disent n’avoir toujours pas retrouvé leur rythme de shopping habituel.
En ce sens, la reprise épidémique n’augure aucun relâchement possible et donc pas de meilleurs jours. C’est une crainte qui hante Luc Plasman, directeur général à la BLSC, surtout pour les petits commerçants. «Ceux-ci ont une structure financière souvent moins solide que les grandes structures qui bénéficient d’un capital qui leur permet de résister», fait-il remarquer, tout en rappelant que les centres commerciaux n’ont pas non plus récupéré leur niveau de fréquentation d’avant-crise. En septembre, ils accusaient d’une baisse de 15% de leurs clients par rapport à 2019. C’est mieux que les -28% de juillet mais le retour du coronavirus pourrait casser cette amélioration. Dans ce cadre, certaines grandes enseignes sont également plus fragiles que d’autres. «Il y a des entreprises familiales très stables alors que d’autres ont déjà été reprises plusieurs fois par des petits fonds. Ces derniers ont beaucoup de dettes et c’est beaucoup plus compliqué pour eux», explique-t-il.
Les centres-villes affectés de façons bien différentes
Outre le type de commerce, un autre facteur joue énormément sur le péril qui pèse (ou pas) sur les commerçants: leur emplacement géographique. «Les commerces qui dépendent des quartiers de bureaux ou du tourisme ont plus de difficultés que les autres à cause du télétravail et des restrictions de voyage», constate Daphné Sior, conseillère en économie au service d’étude de l’UCM. «A contrario, un des aspects positifs de la crise, c’est que la relation au client s’est parfois améliorée dans les commerces de proximité. On a une fidélité accrue, un retour à une consommation plus locale en circuit court».
Une enquête Mastercard tout juste publiée note à ce propos que sept Belges sur dix sont plus susceptibles de faire leurs courses dans le voisinage du lieu où ils habitent qu'il y a un an. C’est un élément fondamental car il influence aussi un secteur qui est pourtant réputé moins affecté par la crise: l’alimentaire. Une chocolaterie qui serait par exemple située dans un village a beaucoup plus de chance de s’en sortir que dans le piétonnier de Bruxelles pour les raisons citées ci-dessus. Tous les centres-villes ne sont donc pas sur le même pied d’égalité. Les plus petits sont plus épargnés, au contraire des grandes villes.
Trouver des solutions, et vite!
Si on fait un le bilan, les commerçants qui sont désavantagés par la crise sont en effet nombreux. Fin août, un sondage de l’UCM a remarqué qu’un commerçant sur deux craignait pour sa survie d’ici juin 2021. Mais, déjà avant cette date, il y aura un cap à passer. «La période des fêtes de fin d’année sera déjà décisive», affirme Daphné Sior. «S’il n’y a pas de retour à un shopping normal d’ici là, cela va être vraiment un coup de grâce pour de nombreux commerçants. C’est d’autant plus pressant que début de l’année prochaine, tous les reports de charge vont s’arrêter. Cela risque d’être catastrophique».
Et alors que le secteur a vraiment besoin d’être remis sur les rails, la reprise épidémique arrive. Une nouvelle terrible qui fait dire à Daphné Sior qu’il faudra indéniablement de nouvelles aides pour limiter la casse, notamment avec des primes qui considèrent la perte de chiffre d’affaires et d’autres qui s’étalent sur le long terme. Et elle insiste: il faut que les différents niveaux de pouvoir s’accordent sur leurs critères d’obtention d’aide pour éviter une confusion générale. Mais ce n’est pas tout. «On est bien d’accord que les primes ne vont pas tout régler. C’est pour cela que l’on plaide aussi pour des facilités de crédit, notamment au niveau bancaire, pour supporter les charges».
Enfin, il y a la possibilité pour les petits commerçants d’adopter l’e-commerce, ce qui peut se faire sur un site propre, via les réseaux sociaux, en «Web to Store» (où on commande en ligne avant d’aller chercher en magasin)… Mais, l’e-commerce ne s’adapte pas à tous. «Il faut faire un diagnostic de l’opportunité avant de se lancer. Car, pour certains petits commerçants, cela peut aussi impliquer parfois beaucoup de logistique. Donc l’UCM est d’avis que tout le monde ne doit pas faire de l’e-commerce, mais tout le monde doit pouvoir bénéficier d’une bonne visibilité web, notamment sur Google», juge Daphné Sior.