

« Nous sommes arrivés à un accord crucial », a annoncé mercredi la ministre allemande de l'Agriculture Julia Klöckner, au terme de deux ans de débats à propos de cette politique agricole commune destinée à être plus verte. Ou plutôt vert pâle.
Alors que le dossier délicat est désormais entre les mains du Parlement européen, des voix s'élèvent pour dénoncer ce projet. C'est que l'enjeu est crucial. Avec un budget déjà fixé à environ 387 milliards d'euros, la politique agricole commune, ou la PAC, représente plus d'un tiers de l'enveloppe de l'Union européenne. Valable à partir de 2023, et pour une durée de sept ans, elle modèle nos paysages, nos assiettes, et donc notre santé et notre climat. En Belgique, l'agriculture est responsable de 10% des émissions de gaz à effet de serre.
En un mot, les éco-régimes. Ce système de primes versées aux agriculteurs pour soutenir la participation à des programmes environnementaux plus exigeants deviendra obligatoire: chaque Etat devra y consacrer au moins 20% des paiements directs de l'UE. L'objectif étant que les exploitations reçoivent des fonds supplémentaires si elles vont au-delà des normes de base en matière d'environnement. Les programmes environnementaux concernés par les éco-régimes « incluent des pratiques comme l'agriculture de haute précision, l'agro-foresterie, l'agriculture biologique, mais les Etats seront libres de désigner leurs propres instruments en fonction de leurs besoins », précise le communiqué du Conseil.
En d'autres termes, tous les agriculteurs devront être tenus de respecter des normes environnementales beaucoup plus strictes, condition sine qua non pour recevoir des aides financières européennes. L'accord trouvé entre les 27 ministres prévoit également de simplifier les contrôles pour les petites exploitations, « ce qui réduirait la charge administrative, tout en garantissant leur contribution aux objectifs environnementaux et climatiques ».
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Le bras de fer n'est toutefois pas terminé. Car, dans le même temps, les eurodéputés ont adopté tard mardi plusieurs amendements clés sur la PAC, dont un objectif d'au moins 30% des aides directes aux agriculteurs. Le vote final du Parlement européen interviendra vendredi.
Le temps est compté, surtout pour les écologistes qui jugent cet accord nettement insuffisant. « C'est un jour sombre pour l'environnement (...) La transition vers une agriculture écologique est désormais en jachère », a réagi à l'AFP Bérénice Dupeux, de l'European Environmental Bureau, dénonçant l'adoption d'« objectifs économiques contradictoires » et le seuil trop bas réservé aux éco-régimes. « Avec cette PAC désastreuse, nous nous retrouvons avec un texte du monde d'avant », s'indignait récemment l'eurodéputé Vert Benoît Biteau.
Jusqu'à présent, la PAC est fortement critiquée pour avoir encouragé le développement de l'agriculture industrielle, particulièrement néfaste pour l'environnement et la biodiversité. Ce nouveau texte poursuit cette trajectoire, puisque les aides seront toujours versées aux agriculteurs en fonction de la taille de leur exploitation. « Ce qui aboutit à un véritable cannibalisme agricole avec 80% des aides de la PAC captées par seulement 20% des agriculteurs », à savoir les plus gros et les industriels, expliquait l'écologiste français, également paysan, au Figaro.
Autre reproche: la nouvelle politique agricole commune pourrait sonner le glas du Pacte vert, sur lequel bosse l'Europe en ce moment. Ce plan ambitieux prévoit notamment d'ici 2030 de réduire de 50% l'utilisation de pesticides et de 20% l'utilisation de fertilisants, tout en réservant un quart des terres agricoles à l'agriculture biologique, contre 8% actuellement. Ce Green Deal pourrait donc ne jamais voir le jour. Et tout ceci à cause de l'agro-business. « L'industrie agro-alimentaire ne contamine pas seulement nos champs et nos assiettes à coups de pesticides, nitrates, et OGM. Elle empoisonne également notre système démocratique à coups de lobbying », dénoncent dans leur carte blanche Philippe Lamberts, co-président du Groupe des Verts/ALE au Parlement européen, et Olivier De Schutter, co-président d'IPES-Food. Les deux écologistes belges appellent les eurodéputés à rejeter cette réforme « inacceptable ». « Il en va de notre avenir. »