
Trump, l’élu de Dieu

Washington, terre sainte. Si le premier amendement de la Constitution américaine garantit la séparation entre l’Église et l’État, tous les présidents, à de rares exceptions près, ont prêté serment sur la Bible. Républicains comme démocrates. À l’instar de Barack Obama, mais aussi de Donald Trump. Dans une nation de plus en plus sous perfusion divine, peuplée par quelque 240 millions de chrétiens, la droite religieuse forme la base électorale du magnat de l’immobilier. En 2016, lors du dernier scrutin présidentiel, plus de huit évangéliques blancs sur dix ont voté pour lui. Le milliardaire leur renvoyant ensuite l’ascenseur durant son premier mandat, notamment en matière de politique étrangère et de retournement de veste avec Israël.
La lecture de votre article continue ci-dessous
Mais qui sont au juste ces chrétiens conservateurs et leur branche ultra des évangéliques charismatiques? Ces chevaliers de l’apocalypse, qui croient au retour du Christ, sont persuadés que les démocrates sont influencés par des forces démoniaques et se sont juré d’imposer aux États-Unis un nationalisme chrétien, d’abolir les lois autorisant l’avortement ou l’euthanasie et d’éradiquer tous les droits des personnes LGBT+. Dans l’ombre de la sulfureuse télévangéliste Paula White, conseillère spirituelle personnelle du 45e président des États-Unis, cette droite religieuse étend son influence à coups de réseaux de prière tentaculaires, de grandes églises évangéliques (les fameuses “megachurches”), d’émissions de télévision, de best-sellers, de jeux vidéo, de films – ce courant a même créé Pureflix, son Netflix sacré -, mais aussi de centres destinés à former et placer ses leaders politiques.
Un vaste projet de conquête du pouvoir qui peut notamment compter sur le soutien de stars comme Justin Bieber ou Kanye West et leurs millions de followers. Quelle a été l’influence de ces évangéliques à la Maison Blanche durant ce premier mandat? Vont-ils à nouveau accorder leur bénédiction à celui qu’ils considèrent comme le candidat divin du chaos et le comparent au roi Cyrus de Perse – monarque aussi perfectible que Trump mais sauveur du peuple juif – voire au Messie? Nous avons posé ces questions à André Gagné, professeur au département d’études théologiques de l’université de Concordia (Québec, Canada) et auteur du passionnant livre-enquête Ces évangéliques derrière Trump.
Quelle est l’importance de la religion dans un pays où on ne peut se déclarer candidat et athée?
ANDRÉ GAGNÉ – On compte actuellement 110 millions d’Américains évangéliques. C’est le tiers de la population. Auxquels il faut ajouter 75 millions de catholiques et 55 millions de protestants. Les USA sont devenus aujourd’hui le pays le plus religieux au monde. Joe Biden se présente également comme un catholique pratiquant et les présidents prêtent même serment sur trois bibles…
C’est notamment ce qu’on avait reproché à Hillary Clinton qui avait laïcisé ses discours pour ne pas se mettre à dos les jeunes électeurs athées. Biden a compris la leçon?
Visiblement. Un récent sondage de Pew Research Center indique que 71 % des juifs, 67 % des catholiques hispaniques et 90 % des Afro-Américains protestants devraient le soutenir.
Qui sont ces évangéliques derrière Trump?
Des néo-charismatiques issus du pentecôtisme classique, un courant qui accorde une grande importance au baptême de l’Esprit saint et aux charismes, ces dons divins accordés aux croyants. Comme la glossolalie, le fait de parler des langues inconnues. Début des années 2000, un autre mouvement appelé la Nouvelle Réforme Apostolique leur a offert un dessein politique. C’est le “dominionisme”, une théologie du pouvoir. Avec l’objectif d’exercer une domination chrétienne sur la société. Aux États-Unis, on estime le nombre de ces évangéliques à 41 millions.
Comment comptent-ils imposer cette hégémonie chrétienne?
Par la “conquête des 7 montagnes”. Famille, éducation, finances, politique, médias, arts… Leur stratégie vise à placer des fidèles à la tête de ces institutions sociales, culturelles et politiques afin d’opérer un changement radical du pays et favoriser l’avènement du royaume de Dieu sur terre. Voilà pourquoi ce courant s’est beaucoup mobilisé ces derniers mois.
Trump est-il un outil de ces religieux ou est-ce l’inverse?
C’est mutuel. Il a besoin de cette base électorale car il lui doit son premier mandat – 81 % des évangéliques blancs ont voté pour lui en 2016 – et cette droite religieuse le soutient car il prend en compte ses considérations.
Certains évangéliques multiplient pourtant les campagnes anti-Trump. Le vent tourne?
Non car 78 % d’entre eux le soutiennent toujours. Trump a peut-être même consolidé sa base depuis quatre ans. À l’époque, de nombreux suffrages en sa faveur étaient en réalité des votes de défiance à l’égard de Hillary Clinton. Aujourd’hui, les évangéliques blancs semblent vraiment le soutenir. Pour eux, le bilan est positif et Trump a tenu ses promesses: il a commencé à construire son mur, a placé trois juges conservateurs à la Cour suprême et 300 autres dans tout le pays. Sans oublier sa reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël. Il cadre parfaitement avec la vision apocalyptique des évangéliques et leur croyance au retour du Christ sur cette terre promise. Même s’il n’incarne pas toujours les valeurs judéo-chrétiennes, Trump est le candidat idéal. Celui de la loi et de l’ordre. Un point capital pour ces évangéliques qui pensent que l’autorité sur terre est légitimée par Dieu.
En quoi ont-ils influencé la politique américaine?
Outre la question israélienne et la nomination de ces juges, il y a cette opposition à l’avortement. Ce débat qui posait seulement problème aux catholiques est aujourd’hui le cheval de bataille de ces évangéliques. C’est même devenu une obsession. Il faut savoir que ces croyants vivent dans une urgence apocalyptique. Si les choses ne changent pas, selon eux, Dieu punira l’Amérique pour les millions d’“enfants avortés” ou le “comportement immoral” des personnes LGBT+. Ils se voient donc comme des sentinelles mandatées pour nous alerter. Tout leur travail de transformation de la société vers un modèle judéo-chrétien est d’ailleurs destiné à éviter cette sentence.
Avec leur théologie politique, cette haine du pluralisme et cette volonté d’instaurer une société régie par les lois divines, pourrait-on faire le parallèle entre ces évangéliques et certains intégristes musulmans?
C’est une comparaison trop manichéenne, il me semble. Et puis les étiqueter fous de Dieu procéderait de la même logique binaire que leur discours. Essayons plutôt de dialoguer avec eux, de vulgariser ce courant, de faire réagir les évangéliques qui ne s’y reconnaissent pas. Mais il ne faut pas non plus les sous-estimer et ouvrir la porte à ce courant de la domination qui prévoit, rappelons-le, de mettre à mort les homosexuels ou les femmes qui avortent. D’autant qu’ils seraient en mesure, et c’est sans doute ça le plus étonnant, d’utiliser les mécanismes démocratiques et institutionnels pour s’installer en politique et conserver le pouvoir. Ce serait alors la fin de la démocratie pluraliste.
Certains redoutent même une guerre civile à l’issue de ces élections. Une hypothèse crédible?
Oui. Le clivage autour de l’avortement, notamment, divise aujourd’hui profondément l’Amérique. Trump martèle aussi qu’il contestera les résultats s’ils sont en sa défaveur. Il disposera alors de 75 jours pour faire des dégâts. Ses partisans sont en général pro-armes et des milices de soutien à Trump sont déjà déployées aux quatre coins du pays. Alors je ne vois pas comment on pourrait éviter que la situation ne dégénère. Est-ce que ce sera la seconde guerre civile des États-Unis? Je n’en sais rien. Et si Trump gagne, il est fort à parier que les mouvements de contestation seront aussi très nombreux. Il y a déjà des manifs et des violences partout dans le pays.
CES ÉVANGÉLIQUES DERRIÈRE TRUMP, André Gagné, Labor et Fides, 168 p.