
Réseaux sociaux : quand le discours politique flirte avec l’incitation à la haine
À rebours du « on ne peut plus rien dire » qu’on entend ici et là, Unia fait le constat, depuis quelques années, d’une « libération » de la parole. Qui ne va pas dans le bon sens : l’ex-Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme rapporte régulièrement des signalements de discours bien souvent dénigrants et stigmatisants, sans pour autant être juridiquement condamnables. Ils évoluent dans ce qu’on pourrait appeler une « zone grise », où règne l’implicite, la suggestion plutôt que l’affirmation. Pour tenter d’en cerner les contours, Unia a fait appel à des chercheurs de l’UCLouvain et de la VUB. Ceux-ci se sont penchés sur la communication -principalement via les réseaux sociaux- des hommes et femmes politiques belges membres de tous les partis siégeant au Parlement. Dans un rapport, les chercheurs ont scanné les messages postés sur Twitter et Facebook durant la période précédant les élections de mai 2019.
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L’enjeux ? Parvenir à caractériser et dénoncer une catégorie de discours pas directement « punissables » en tant que tels, mais « qui ne constituent pas non plus une simple opinion ». Le tout sans verser dans le politiquement correct, ou la police de la pensée. « La zone grise, résume Philippe Hambye (UCLouvain), un des auteurs de l’étude, ce sont les discours qui, de manière implicite, suggérée, opèrent une hiérarchisation entre des groupes de la population. On va se référer à un « nous » jamais clairement défini, et l’opposer à un « eux » qui, pour celui qui veut l’entendre, sera l’immigré, le musulman, etc. Et plus que de s’opposer à un comportement particulier, - mettons le port du voile - ce type de discours va s’attacher à essentialiser la catégorie de la population prise pour cible ». Dire par exemple que les « les musulmans sont (en général) arriérés » relève de ce type de discours, où un jugement est porté sur un groupe social en tant que tel, et non sur un ou des comportements précis.
L’extrême-droite en zone grise
Mis à part l’une ou l’autre exception, ce sont les partis à la droite de la droite (les Listes Destexhe et le Parti Populaire) du spectre politique francophone qui frayent avec la « zone grise », pointe le rapport. Du côté néerlandophone, même combat : c’est le Vlaams Belang, et dans une moindre mesure, la N-VA, qui produisent majoritairement ce type de messages. Sur le plan quantitatif, l’étude note la part « relativement faible des discours qui relèvent de la sphère du discours de haine ou qui à tout le moins en sont proches » dans l’ensemble des messages politiques analysés. Sur 242 messages initialement retenus côté francophone, seuls 31 relevaient en effet clairement de cette « zone grise ».
De quoi juger le phénomène finalement marginal ?« Attention, tempère Phillipe Hambye, le champ de l’étude ne portait que sur la communication faite par le personnel politique, qui plus est durant une période donnée. Nous n’avons pas travaillé sur l’ensemble des messages émis par tout un chacun sur les réseaux sociaux ». On peut donc raisonnablement penser le phénomène plus fréquent. « Ce qu’il faut aussi pointer, ajoute le chercheur de l'UCLouvain, c’est l’impact de ces réseaux sociaux. Des discours discriminants qui se basent sur des stratégies de suggestion et sur du langage implicite, indirect, ce n’est pas nouveau. Mais avec Twitter, Facebook, le personnel politique a tout le loisir de s’adresser quand il le souhaite au public, sans avoir besoin d’intermédiaires-comme les journalistes par exemple, et sans spécialement se concentrer sur des échéances ponctuelles, comme des élections. L'écho de ce type de messages en est d'autant plus important".