

C’est un camouflet de taille. Jamais, durant toute sa présidence, un veto de Trump au Congrès américain n'avait été ignoré par le parti républicain. Et pourtant, c’est ce qui vient de se passer. Les deux chambres du parlement ont donc approuvé le budget de la défense en atteignant les deux tiers requis suite à l’opposition du président. Au Sénat, pourtant acquis aux républicains, il y a eu 81 voix pour, 13 contre. Il n’en fallait pas plus pour que Donald Trump paraisse affaibli. Politico affirme que sa défaite est «cinglante». Libération soutient même qu’un «divorce se profile entre Trump et les républicains». Pourtant, de nombreux éléments tendent à montrer que l’actuel président américain est bien moins fragile qu’il n’y paraît.
Évidemment, le désaveu de Trump au Congrès ne fait que surligner les tensions au sein du parti républicain. Depuis l’élection de novembre, un certain nombre d’élus ont appelé le président actuel à reconnaître sa défaite et à laisser Joe Biden le plein accès aux documents administratifs nécessaires à la transition. L’exemple le plus frappant de l’opposition interne à Trump, c’est le Projet Lincoln, qui regroupe des membres du parti pour miner sa popularité via des coups de communication, notamment par vidéos. Donald Trump ne fait pas non plus consensus chez tous les électeurs. Cela se voit avec la plateforme «Electeurs républicains contre Trump» qui rassemble des déçus de sa présidence. Selon le journaliste Carl Bernstein, 21 des 53 sénateurs républicains auraient enfin un «profond mépris» pour Trump.
Mais si ce dernier ne fait pas consensus dans le parti, les critiques se font surtout en privé. En public, rares sont les voix dissonantes. «Il y en a qui tentent de prendre leurs distances et de résister, mais cela reste très limité», confirme Tanguy Struye, professeur de relations internationales à l’UCLouvain et spécialiste des États-Unis. Il est de même très réservé sur l’interprétation à donner au vote sur le budget de la défense. «J’ai vu que certains disaient que cela représentait la rébellion des républicains contre Trump. Mais il ne faut pas oublier que cela aurait mortel pour les républicains de ne pas soutenir ce budget car ils auraient été faibles face aux critiques des démocrates sur ce sujet. Et si Trump a contesté, c’est surtout pour attaquer les réseaux sociaux (dont le statut juridique était concerné par une clause du vote), alors que Twitter signale presque tous ses tweets. Donc quand on dit qu’il y a une rébellion, je ne suis pas du tout d’accord. Trump galvanise juste sur sa base populiste».
La réalité, c’est que Trump est encore tout puissant sur le parti. Si quelqu’un s’oppose à lui, il a droit de vie ou mort sur son poste. Il lui suffit pour ça de galvaniser son immense électorat contre lui. C’est ce qui s’est passé avec le sénateur de l’Arizona Jeff Flake qui a ensuite été forcé de renoncer à sa réélection. Quant à Jeff Sessions, procureur général éjecté par Trump, il a tenu à reconquérir son siège de sénateur de l’Alabama mais n’a même pas réussi à passer l’épreuve des primaires.
Face à cet état de fait, la seule option pour le parti républicain, c’est d’approuver Trump et de récupérer son langage. C’est particulièrement vrai ces jours-ci alors que la majorité au Sénat est en jeu lors des élections de Géorgie, qui auront lieu mardi 5 janvier. Si les démocrates emportent les deux sièges, Joe Biden aura tous les leviers du pouvoir à Washington. La situation est d’autant plus précaire qu’il n’est pas impossible que des électeurs républicains ne votent pas à cause des accusations de fraude électorale. Dans ce contexte, l’heure n’est clairement pas à la contestation du statut de Trump.
Après les élections de Géorgie, une page se tournera, quoi qu’il arrive. Il sera alors question de regarder vers la suite, à savoir l’élection de mi-mandat de 2022 puis celle présidentielle de 2024. Est-ce que Trump s’imposera pour tenter un second mandat ou est-ce que d’autres figures républicaines vont s’imposer? «Ça va être le jeu», pense Tanguy Struye. «On dit que Trump pourrait profiter du 20 janvier pour annoncer sa candidature pour 2024. S’il le fait, cela ne laisse aucune chance aux autres qui voulaient récupérer son héritage, parce que les électeurs vont préférer l’original à la copie. Quant aux plus modérés, ils n’ont aucune chance de s’en sortir en 2024 face au trumpisme».
Car comme il l’explique, le trumpisme n’est pas seulement lié à Trump. Il s’agit d’une tendance désormais bien ancrée et majoritaire au parti républicain et cela ne va pas changer sous Biden. «Une centaine de ses représentants à la Chambre sont dans la même logique que Trump. Seule une minorité du parti reste ouvert sur le monde», dit-il, même s’il rappelle que les 74 millions de personnes qui ont voté Trump en novembre (un record pour un républicain) sont loin de tous le soutenir de façon inconditionnelle.
Malgré tout, ce résultat électorat de Donald Trump étouffe ses concurrents républicains. Jeff Hawkins, ex-ambassadeur américain, estime dans le Nouvel Observateur qu’à court terme, «la vie post-présidence ressemblera, à première vue, à ce qu’elle avait été auparavant». À plus long terme, la question de la résistance de Trump se pose. Selon lui, la perte de l’aura du pouvoir pourrait lui être fatale, alors que d’autres figures du parti voudraient ne pas attendre huit ans se présenter à la présidentielle. «Ils chercheront peut-être, par des moyens sournois, à encourager le processus de diminution de l’ex-président. Ils craignent l’emprise de Trump sur les électeurs, mais ils convoitent son siège», dit-il. Tanguy Struye met aussi en garde: «il ne faut pas oublier que quatre ans, c’est très long et il peut se passer beaucoup de choses. On a souvent vu des candidats présidentiels être oubliés entre deux élections».
Mais plusieurs éléments pourraient tout aussi bien conforter Trump dans sa domination du parti républicain. C’est déjà le cas aujourd’hui avec sa campagne d’accusation de fraude électorale qui remplit plusieurs objectifs. «C’est en partie pour financer la création éventuelle de sa chaîne télé mais aussi pour continuer d’être présent et pour renforcer sa base pour 2024», analyse Tanguy Struye. Ensuite, une annonce rapide de sa candidature pour 2024 tuerait dans l’œuf toute opposition des membres du parti, surtout dans l’optique de garder leurs sièges dans deux ans. Par contre, si Trump accumule les problèmes financiers ou juridiques dans les prochaines années, il pourrait finir dans les oubliettes de l’histoire, comme tant d’autres avant lui. De plus, s’il veut tenir, il faut qu’il garde sa base mobilisée via une communication efficace, sans l’aide du pouvoir. Et il lui faudrait tenir quatre ans comme cela.