Stéphane Moreau arrêté : retour sur la saga Publifin/Nethys

Plus de quatre ans après le premier scandale, les affaires Nethys et Publifin viennent de franchir une étape importante avec l'arrestation de plusieurs anciens dirigeants. 

Stéphane Moreau face au conseil provincial. (Crédit: Belga)

Cela fait plus de quatre ans désormais que les mots Publifin, Enodia et Nethys sont synonymes de scandale financier et de détournement d’argent public.

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Ce samedi, après des mois d’enquête, Stéphane Moreau, le nom le plus associé à ce qu’on peut appeler depuis longtemps une saga, a été placé sous mandat d’arrêt pour faux, usage de faux, escroquerie, abus de biens sociaux et détournement par une personne exerçant une fonction publique. Il restera en prison jusqu’à mercredi, jour où il comparaitra en chambre du conseil pour décider si le mandat d’arrêt est maintenu.

Payés à ne rien faire

C’est en décembre 2016 que tout éclate. Le sujet de la tentaculaire intercommunale Publifin est abordé au conseil communal de l’entité d’Olne, par son échevin des Finances, Cédric Halin (cdH). 

Financée à plus de 99% par la province de Liège et 75 communes wallonnes, Publifin possède, elle, 100% du groupe Nethys. Sous la coupole Nethys, on retrouve différentes filiales, possédées totalement ou partiellement, actives dans les secteurs de l’énergie, de la finance, des médias et des nouvelles technologies, notamment Voo, Les Éditions de l’Avenir ou BeTv, pour en citer quelques-unes connues.

Cédric Halin a découvert que les mandataires PS, MR et cdH, qui siégeaient dans les comités de secteurs de Publifin, organisés par thème (Énergie, Telecom) ou par région (Liège-ville), étaient rémunérés, et plutôt bien, qu’ils soient régulièrement présents aux réunions ou non. Sur trois ans, cela représentait des dizaines de milliers d’euros pour n’avoir parfois assisté qu’à une ou deux réunions. Tout cela avec l’argent public de la province et des communes, dont Olne.

À cette époque, Stéphane Moreau est bourgmestre d’Ans, mais surtout le grand patron de Nethys. C’est lui qui a été l’architecte de la transformation de cette intercommunale en un réseau de filiales, actif sur de nombreux fronts. Début janvier, le parquet de Liège ouvre une enquête sur le sujet, pour vérifier si tout a été fait légalement et s’il n’y a pas eu faux, usage de faux et abus de bien sociaux.

Des rémunérations injustifiées

Après un changement de ministre des Pouvoirs publics suite à cette affaire, un décret de bonne gouvernance est adopté. Il fixe le nombre de mandats maximum pour un élu, les montants pouvant être perçus par jeton de présence, etc. 

Mais après ce premier scandale, Publifin et Nethys sont scrutées de plus en plus étroitement. On y découvre des rémunérations particulièrement élevées pour les administrateurs de différentes filiales. Stéphane Moreau, lui, démissionne de son poste mayoral.

Le Parlement wallon organise une commission spéciale pour analyser le fonctionnement du groupe Publifin. Malgré son travail, il reste de nombreuses zones de flou et une véritable commission d’enquête parlementaire est organisée, la première depuis 1992 ! Pendant plusieurs mois, de nombreux mandataires et employés impliqués dans Publifin et Nethys sont entendus. 

Après de nombreux remous, la commission rend son rapport final en juillet 2017, qui pointe « 15 indices d’infractions pénales », souligne « une augmentation anormalement élevée des rémunérations et avantages des membres du comité de direction » ainsi que l’octroi de bonus variables non fondés. 

La démission des dirigeants est recommandée, dont celle de Stéphane Moreau, ainsi que la vente de plusieurs sociétés, le remboursement des émoluments perçus par les mandataires absents et une refonte de la structure de la société. 

Mais en octobre, Moreau est tout de même nommé directeur général de Nethys, lui permettant de continuer à diriger la société, tout en respectant la demande de l’assemblée générale, qui ne veut plus de lui dans son conseil d’administration, diminuant par la même occasion son salaire à 245.000€ par an, désormais maximum légal pour un dirigeant d’organisme public. 

En décembre 2017, Publifin demande aux membres des comités de secteur de rembourser les émoluments touchés et non justifiés. 

Parachutes dorés

Printemps 2018, Nethys se sépare d’une société de gestion de distribution et se réorganise en deux pôles : l’un pour sa participation dans des sociétés d’intérêt public, comme Liege Airport ou Fluxys, l’autre pour les activités commerciales, comme Voo, les médias, l’énergie, les télécoms... À la tête de ce Nethys 2.0, Stéphane Moreau, qui reste CEO. En novembre, Publifin devient Enodia. 

En janvier 2019, Enodia et Nethys expliquent vouloir ne plus détenir entièrement les sociétés de secteurs concurrentiels. Voo, L’Avenir, etc. sont donc à vendre. En automne, on découvre que Voo a été vendue par Nethys en secret en mai à une société américaine, tandis que deux autres filiales ont été vendues à des sociétés du groupe Ardentia, appartenant à François Fornieri, CEO de l’entreprise pharmaceutique Mithra. Fornieri était devenu depuis peu administrateur chez Nethys, tandis que Stéphane Moreau était administrateur chez Ardentia... Ventes que Stéphane Moreau et le management de Nethys auraient effectuées avant de quitter la société dans les jours qui ont suivi.

Des transactions aux prix étrangement bas, réalisées sans l’accord d’Enodia, ce qui va à l’encontre du décret Gouvernance. En octobre 2019, le Parquet de Liège s’empare de l’affaire. On découvrira que Moreau et consorts se sont accordés de très larges indemnités de sortie, pour plusieurs millions d’euros. De son côté, le Gouvernement wallon fait annuler la vente des trois filiales, mais aussi les bonus des trois dirigeants, saisis sur leurs comptes. Enfin, la nouvelle direction de Nethys a manifesté sa détermination à porter plainte contre les anciens dirigeants, notamment pour usage abusif des finances.

Et dernièrement, en décembre dernier, après un audit, un compte bancaire secret de Stéphane Moreau aurait été découvert, sur lequel transitait de l’argent public afin d’être utilisé à des fins privées, notamment beaucoup de dépenses de luxe. Mais son avocat dément.

Ces derniers jours, c’est donc l’enquête judiciaire autour de Nethys et des millions d’euros d’indemnités de sortie, mis en place juste avant l’instauration du décret Gouvernance, qui a été relancée, ce qui explique le mandat d’arrêt de Stéphane Moreau, mais aussi celui des autres administrateurs impliqués. 

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