
Et si le vaccin Covid devenait un bien public ?

« Nous devons développer un vaccin. Nous devons le produire et le déployer aux quatre coins du monde. Le rendre disponible à des prix abordables. Le vaccin doit être notre bien universel, notre bien commun ». Voilà ce que déclarait la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, en avril 2020. Se montrant désireuse de passer des paroles aux actes, l’Europe a depuis recueilli des milliards d’euros, afin de faire progresser le développement et l’accès aux vaccins, tests et traitements contre le Covid-19. Et le concept du vaccin comme « bien universel » a fait bien des émules.
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En octobre, 19 lauréats du prix Nobel publiaient un appel en ce sens dans la revue The Lancet. Puis, c’était une coalition de plus de 130 organisations issues de la société civile, qui lançait une pétition massive afin de soumettre une proposition législative à la Commission, dans le but, là-aussi, que les droits de propriété intellectuelle « n’entravent pas l’accessibilité » des futurs vaccins et traitements. Enfin, l’Inde et l’Afrique du Sud proposaient une idée similaire devant l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Une demande rejetée par plusieurs pays riches, dont l’Union européenne (UE), qui semblait du même coup avoir oublié les déclarations antérieures de Ursula von der Leyen.
Un monopole à casser
Vu le contexte actuel et les retards de livraisons de Pfizer/BioNTech et d’AstraZeneca, la suspension des brevets sur les vaccins Covid apparaît d’autant plus, pour certains, comme une nécessité. « Il manque vraiment un contrôle public sur ces produits », expliquait à la RTBF Julie Steendam, coordinatrice de la coalition Right to cure, à l’initiative de la pétition déjà évoquée. « Ils sont vraiment dans les mains des entreprises, qui peuvent décider des prix, de la production, de la distribution, des livraisons… Et comme on voit maintenant, ils ne respectent pas les contrats qui sont signés ». En situation de monopole, ces firmes pharmaceutiques peuvent en effet profiter de la rareté de leurs produits pour faire monter les prix. À l’inverse, expliquent les défenseurs de l’idée, « casser » ou suspendre les brevets permettrait de multiplier les canaux de production et surtout de diffusion des vaccins. En faisant jouer la concurrence, les prix baisseraient.
Une aubaine, notamment pour les pays en développement. Conséquence de la loi du plus offrant, les pays riches (moins de 15% de la population mondiale) avaient précommandé fin 2020 la majorité des 7,25 milliards de doses annoncées. Dans les pays en développement, on estime ainsi que 9 personnes sur 10 ne pourront pas être vaccinées cette année. De quoi rendre plus lointaines les perspectives de retour à une vie « normale », vu que le virus n’a cure des frontières.
Couvrir les risques
Sans grande surprise, le Big Pharma s’est montré moyennement désireux de lâcher ses brevets. Raison avancée : l’importance des investissements consentis en recherche et développement pour fournir en un temps record (moins d’un an) le sérum miracle. « Nous n'aurions pas eu la possibilité d'avancer aussi rapidement dans le développement de traitements ou de vaccins sans le système de propriété intellectuelle », avançait en décembre Thomas Cueni, le directeur général de l'IFMPA, le lobby des groupes pharmaceutiques. Mais l’argument est-il recevable, alors que les pouvoirs publics ont versé des sommes conséquentes pour couvrir une partie des risques financiers inhérents à la production des vaccins ? Comme nous l’expliquions, la Commission européenne s’est par exemple engagée en août dernier à débourser 336 millions d’euros pour aider AstraZeneca à mettre à niveau ses capacités de production.
D’autres, comme le français Pascal Canfin, président LREM (parti d’Emmanuel Macron) de la commission santé du Parlement européen, remettent en question l’idée de casser le monopole des grands groupes pharmaceutiques. « Ce n’est pas parce qu’on a le brevet qu’on est capable de produire le vaccin. Il s’agit d’une technologie nouvelle extrêmement complexe, l’ARN messager, et qui nécessite des équipements particuliers », jugeait-t-il dans Libération. Reste là-aussi à voir si l’objection est valable pour les vaccins de technologie « traditionnelle », comme celui d’AstraZeneca.