
Un tiers des guichets SNCB en moins: la déshumanisation des gares passe mal

Payer ses courses au supermarché. Retirer de l’argent à la banque. Deux opérations qui nécessitaient auparavant la présence d’un spécialiste, d’une personne formée à cette tâche, à ce métier. Aujourd’hui, il est tout à fait possible d’effectuer ces actions sans avoir le moindre contact humain. Les caisses automatiques sont petit à petit rentrées dans notre quotidien. Pour ce qui est des opérations bancaires, une fois un compte ouvert, grâce à Internet et à l’évolution des distributeurs de billet, il est tout à fait possible de passer des années sans devoir s’adresser directement à un banquier, qu’on soit employé, indépendant voire même chef d’entreprise.
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En matière de mobilité, cette transition s’effectue aussi depuis pas mal d’années. Acheter un ticket de bus, train ou métro se fait généralement via une borne automatique, voire même immédiatement sur son téléphone portable. Dès lors, l'annonce de la SNCB de supprimer une quarantaine de guichets dans ses gares, les moins fréquentés d’après ses calculs, ne devrait pas choquer.
Cette décision a pourtant été très froidement accueillie par les syndicats. Des manifestations sont d’ailleurs organisées à plusieurs endroits ce mardi matin. Le ministre de la Mobilité, Georges Gilkinet (Ecolo) et la CEO de la SNCB, Sophie Dutordoir, devaient revoir cette stratégie et faire une nouvelle proposition ce mardi. D'après Le Soir, la fermeture des guichets a bel et bien été actée.
4 transactions sur 5 sans guichet
A quoi servent les guichets dans les gares ? Demander des renseignements, acheter un billet ou se procurer un abonnement, essentiellement. Pour le troisième, il sera toujours nécessaire de faire la demande à un employé de la SNCB. Pour les deux autres services, les bornes automatiques ou les applications mobiles sont tout aussi utiles, voire même plus rapides.
La SNCB apporte elle-même les preuves. « En 2020, la vente via les canaux digitaux, en ce compris les automates présents dans toutes les gares, représente plus de 75% des ventes », précise le communiqué. « De 54% de transactions aux guichets en 2015, ce nombre est descendu à 34% en 2018, à 27% en 2019 et à 20% en 2020. » A l’échelle du pays en tout cas.
Parce que dans certaines gares, les guichets sont presque devenus des objets de décoration. « Le nombre de clients s’adressant au guichet est devenu très faible, jusqu’à descendre en-dessous d’un seuil minimum dans plus d’une septantaine de gares (soit un temps d’inactivité entre 60% et 92% du temps), ce qui résulte en un coût de transaction plus élevé que le prix d’un ticket. »
Un impact sur la sécurité
44 guichets sont donc visés, soit un tiers du total belge, mais qui « représentaient moins de 6% des transactions en 2019 ». Cela signifie qu’il ne sera possible de s’adresser à un employé des chemins de fer que dans 16% des gares belges, une statistique plus élevées que chez nos voisins précise la SNCB.
Il faut donc l’avouer : d’un côté économique, cette décision de la SNCB de supprimer les guichets peu fréquentés d’ici la fin de l’année est plutôt logique.
Mais c’est là que cela coince. Pour les syndicats, la SNCB a complètement laissé le côté humain. Pour une partie de la population, Internet, les smartphones et les bornes électroniques restent un univers inconnu, pour des raisons économiques et/ou de génération notamment. Et en cas de problème technique, de besoin d’aide, pour une personne à mobilité réduite par exemple, à qui s’adresser ?
Selon eux, les guichets assuraient aussi un rôle de sécurité. Pour certains, retirer cette présence humaine dans les gares est ouvrir la porte à la délinquance. D’autres ont aussi peur que ces suppressions ne soient que le début d’un engrenage, qui mènerait à des fermetures de gares et des licenciements.
Enfin, il n’y a pas que les syndicats qui sont opposés à ces fermetures, les navetteurs ont également lancé une pétition pour demander le maintien des guichets.
Tensions au sommet
La réunion de ce mardi matin a du être tendue entre le ministre de tutelle et la patronne des chemins de fer. En effet, mardi, Georges Gilkinet s’est joint aux opposants à cette décision, demandant à la SNCB, de revoir sa copie sur 4 points : revoir la liste des guichets supprimés, repousser la fermeture des guichets tant qu’une autre présence humaine n’est pas prévue (service public, commerce, etc.), garantir l’accès à une salle d’attente couverte et chauffée et faire face à la fracture numérique avec des mesures concrètes.
Une sortie très mal reçue par Sophie Dutordoir, qu’elle a qualifié de « moquerie publique, incompréhensible tant dans son contenu, sa forme que son timing » dans une lettre ouverte.
Selon ses dires, le ministre a été longtemps consulté avant que cette décision difficile soit prise d’un commun accord. « Il s’agit toutefois d’une décision mûrement réfléchie dans le cadre de la bonne gouvernance et fondée sur la conviction que les ressources dont nous disposons en tant qu’entreprise publique et pour lesquelles vous faites également des efforts, devraient être consacrées en priorité à ce qui correspond le mieux à la mission de service public, à savoir l’augmentation de l’offre de trains et l’accessibilité », a-t-elle précisé.
De plus, selon Le Soir de ce lundi, dans le milieu politique, les critiques du choix de suppression des guichets, mais également la mésentente publique entre ces deux partenaires passe plutôt mal, tant dans l’opposition que chez les partenaires de la majorité. Une source politique a d’ailleurs expliqué au quotidien que le ministre de la Mobilité « n’avait pas beaucoup le choix que de céder sur la fermeture. Non seulement parce qu’il savait qu’elle se préparait mais aussi parce qu’une volte-face ministérielle risquait d’entraîner la démission de Sophie Dutordoir, nommée jusqu’en 2023 et dont les qualités de gestion sont reconnues de tous les bords politiques. »