Depardieu, Poivre d'Arvor, Berry : pourquoi la parole se libère aujourd'hui?

Ces derniers mois, les accusations d’agressions sexuelles se sont multipliées, vis-à-vis de célébrités ou de parfaits inconnus. Un mouvement qui émerge grâce au croisement d’une tendance de fond et d’initiatives spécifiques.

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En l’espace de quelques semaines, il est devenu difficile de dresser la liste complète des personnalités touchées par des affaires de viols: Richard Berry, Gérard Louvin, Patrick Poivre d'Arvor ou encore hier Gérard Depardieu… C’est une véritable tempête qui frappe le monde du show-business. Mais ces exemples ne représentent qu’une partie d’un phénomène beaucoup plus large. Il y a une véritable libération de la parole, comme si le tsunami #MeToo provoqué par l’affaire Weinstein se manifestait aujourd’hui par des répliques. D’où les hashtags #MusicToo, #MeTooGay, #MeTooInceste, etc. Ceux qui avaient été oubliés jusqu’ici par les premiers mouvements #MeToo et #Balanceton… arrivent désormais à s’exprimer. Une évolution permise grâce une conjonction de phénomènes.

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Un mouvement de fond dont la voix est enfin portée

Évidemment, certaines victimes d’agressions sexuelles n’ont pas attendu l’émergence de ces hashtags pour s’exprimer. Ce type d’accusations existe depuis toujours mais il a fallu attendre ces dernières années pour qu’elles deviennent véritablement visibles, comme l’explique Aurélie Aromatario, sociologue à l’ULB. «On a maintenant les réseaux sociaux qui amènent à l’émergence d’un phénomène de masse, et des changements de société qui permettent de mieux entendre ces dénonciations», explique-t-elle.

«Aujourd’hui, la parole des victimes bénéficie d’une chambre d’écho. Mais j’insiste pour dire que les victimes ont toujours parlé. Le problème, c’est que tant que ce sont des phénomènes un peu isolés, cela fait plus de tort aux victimes qu’aux auteurs. Ces dénonciations en cascade permettent une solidarité collective qui fait que cela se retourne moins contre les victimes», indique Aurélie Aromatario.

Un déclic retardé par des tabous

Ça, c’est pour le cadre global. Reste à expliquer pourquoi les mouvements qui s’expriment aujourd’hui ne l’ont pas fait avant. Pour cela, prenons l’exemple du hashtag #MeTooGay, qui est représentatif du problème. En septembre dernier, soit avant l’émergence de ce dernier, le magazine Vice publiait justement un article intitulé «À la recherche du #MeToo gay». On y remarquait que le phénomène des violences sexuelles au sein de la communauté homosexuelle était déjà bien attesté, avec des difficultés à prendre la parole similaires à celles des femmes qui s’expriment avec le hashtag #MeToo.

Mais alors, pourquoi les victimes homosexuelles n’ont-elles pas rejoint ces dernières plus tôt, comme lors de l’affaire Weinstein? Ce n’est pas l’envie qui manquait mais il y avait le poids du tabou sociétal sur les minorités de genre et la crainte de ne pas avoir sa place au sein d’un mouvement surtout féministe. «On a eu peur de mal faire, c’est ce qui fait qu’on a laissé passer le truc», confie un homme violé à 7 ans par son baby-sitter de 20 ans.

Après le silence, l’explosion!

Malgré tout, depuis 2017, l’idée de s’exprimer à son tour a germé dans les communautés gays. Il a fallu une étincelle pour que la bombe explose: l’affaire Maxime Cochard, du nom d’un élu communiste français accusé de viol par un étudiant. C’est seulement avec ce coup de tonnerre que le hashtag #MeTooGay émerge pour de bon, avec une série de dénonciations à la clé.

C’est aussi un déclic qui a provoqué l’émergence de #MeTooInceste, l’affaire Olivier Duhamel. Début janvier, ce politologue célèbre est accusé de viol par sa belle-fille, Camille Kouchner, encore enfant à l’époque des faits. Quelques jours après, une internaute qui se surnomme Marie Chenevance dénonce à son tour un cas d’inceste sur les réseaux sociaux en lançant le fameux hashtag. La suite est connue, avec l’affaire Richard Berry notamment.

Dans le cas de #MusicToo, l’équivalent dans le monde de la musique, il faut remonter à juillet dernier. À ce moment-là, un compte Instagram récupère le hashtag, déjà présent à l’étranger, et recueille des témoignages de violences sexuelles dans ce milieu. Une forme de riposte suite à une étude où 31% des femmes interrogées du secteur musical disent avoir subi de tels faits. En quelques mois, cela a amené des personnalités comme la chanteuse Pomme à prendre la parole pour dénoncer cet état de fait.

Quand l’union fait la force

Mais l’émergence de ces mouvements ne se fait pas uniquement au travers d’affaires impliquant des célébrités. L’exemple le plus flagrant et le plus récent est sans aucun doute #Sciencesporcs, qui dénonce les violences sexistes et sexuelles dans les écoles de Sciences Po en France. Le phénomène a vraiment pu démarrer à l’école de Bordeaux, où une page Facebook d’étudiants a rassemblé environ 150 témoignages. Cette première impulsion s’est ensuite propagée à Toulouse avec le cas de Juliette, une étudiante victime de viol, puis à d’autres villes avec le rassemblement d’accusations exprimées à titre anonyme initié par une ancienne étudiante de Toulouse, Anna Toumazoff.

En 2020, c’est également l’addition de nombreux témoignages qui a permis l’émergence de #BalanceTonStage. Trois étudiants d’une école de management à Lyon, victimes de sexisme sur leurs lieux de stage, prennent connaissance de tellement d’histoires similaires aux leurs qu’ils publient tout sur un compte Instagram.

Ce n’est que le début 

Une fois un mouvement de ce genre lancé, l’attention médiatique aide aujourd’hui le public à prendre conscience du phénomène, estime Aurélie Aromatario. La continuité culturelle entre la France et la Belgique participe aussi à la persistance du phénomène chez nous. Le partage de la langue joue mais ce sont surtout les affaires qui touchent des personnalités appréciées des deux côtés de la frontières qui compte. Ainsi, la vague #MeToo qui a frappé le Québec en 2020 a eu bien moins d’impact chez nous car les célébrités québécoises alors accusées sont quasi inconnues en Europe (Maripier Morin, Bernard Adamus, Alex Nevsky, Kevin Parent).

Reste que tous ces phénomènes ne sont pas amenés à s’essouffler. D’autres vagues #MeToo sont probablement sur le point d’émerger. «Je pense effectivement que ces mouvements ne s’arrêteront pas car le problème de fond est toujours là», juge Aurélie Aromatario. Comme l’atteste une étude d’Amnesty en Belgique, il y a des entraves à la fois sociétales (16% des sondés pensent que la victime est responsable si elle vêtue de façon sexy, et un tiers des jeunes pensent qu’il n’y a pas de viol s’il n’y a pas de «non» explicite) et judiciaires (53% des cas de viols sont classés sans suite). «Il y a une sensibilisation du public mais le système permet toujours la violence sexuelle, notamment à l’encontre des femmes et des minorités de genre», conclut Aurélie Aromatario.

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