Derek Chauvin: Un procès exceptionnel à plus d'un titre

Neuf mois après le meurtre de George Floyd, Derek Chauvin, le policier qui a maintenu son genou sur le cou de la victime, se retrouve devant la justice. Un procès sous haute tension et lourd de symboles.

Des manifestants réclamant justice pour George Floyd, en affichant ses derniers mots. - AFP

C'est une scène qui a scandalisé l'Amérique et le monde. Le 25 mai 2020, à Minneapolis, George Floyd, un Afro-Américain de 46 ans, est mort asphyxié sous le poids de Derek Chauvin, un policier blanc. Pendant 8 minutes et 46 secondes, ce dernier est resté agenouillé sur le cou du quadragénaire suspecté d'avoir utilisé un faux billet de 20 dollars, malgré les supplications de ce dernier et des témoins. Ces images glaçantes, devenues le symbole des brutalités et du racisme de la police américaine, ont provoqué un mouvement inédit à travers le pays, et au-delà, unissant des manifestants noirs et blancs, jeunes et vieux, riches et pauvres, pour réclamer justice.

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Neuf mois plus tard, l'heure des comptes a sonné. Le procès de Derek Chauvin, principal accusé dans cette affaire, devait débuter ce lundi. Mais un juge a décidé de le reporter à mardi matin, pour tenir compte de la demande formulée vendredi par la Cour d’appel du Minnesota de réexaminer les charges pesant sur l'ex-policier. Pour l'instant, l'homme de 44 ans, dont 19 au service de la police de Minneapolis, est inculpé de meurtre au second degré sans préméditation. Il risque jusqu'à quarante ans de prison. Mais, pour une partie de la population américaine, ce sont les méthodes de la police qui se retrouvent en réalité sur le banc des accusés.

Manifestation pour réclamer justice pour George Floyd

- Reuters

Le traitement judiciaire des policiers

Les enjeux d'un tel procès n'échappent à personne, dans un pays où environ mille personnes sont mortes aux mains de la police l'an dernier, dont 28% de Noirs, alors qu'ils ne représentent que 12% de la population. Si les violences policières sont désormais plus médiatisées, elles restent toutefois largement impunies. Selon une étude Reuters portant sur 3.000 plaintes pour mauvaise conduite contre la police de Minneapolis entre 2012 et 2020, 9 sur 10 n’ont débouché sur aucune sanction disciplinaire. Ce qui explique en partie pourquoi Derek Chauvin avait lui-même fait l'objet de 22 plaintes et enquêtes internes dont une seule avait débouché sur une réprimande, avant d'être limogé dès le lendemain de la mort de George Floyd.

Les poursuites judiciaires contre les policiers sont peu fréquentes, et les condamnations encore plus rares, même quand les exemples de l'usage excessif de la force semblent évidents aux yeux du public. Ainsi, les policiers qui ont tué en mars l'Afro-Américaine Breonna Taylor à Louisville, après être entrés en pleine nuit dans son domicile sans s'annoncer, n'ont pas été poursuivis. Sauf un… pour la mise en danger des voisins de la victime.

Autant d'éléments qui rendent ce procès à la fois attendu et redouté. « Je veux que justice soit rendue », a déclaré à l'AFP l'oncle de George Floyd, Selwyn Jones, tout en exprimant sa méfiance envers ce système qui a plutôt tendance à protéger les policiers.

manifestation pour réclamer justice pour George Floyd

- AFP

Minneapolis barricadé

Un acquittement de Derek Chauvin pourrait en effet mettre à nouveau à l'épreuve la ville de Minneapolis, où l'émotion reste vive. Les autorités locales l'ont bien compris. Depuis plusieurs jours, la garde nationale est en alerte, et les effectifs policiers ont été renforcés. Craignant des nouveaux débordements, des barbelés et des barrières en béton ont même été installés autour du tribunal de Minneapolis.

Cette démonstration de force est vue d'un mauvais œil par les militants antiracistes. Beaucoup d'entre eux y décèlent une tentative d'intimidation. « Ils veulent faire croire que les manifestants sont le problème, et non pas les violences qui ont provoqué nos manifestations », dénonce dans la presse locale Michelle Gross, membre d'une association contre les abus policiers.  

Minneapolis barricadé

- AFP

Verdict en avril

Ce procès s'annonce donc sous haute tension. Compte tenu de l'énorme intérêt du public, il sera d'ailleurs filmé et retransmis en direct dans tous les Etats-Unis. Après trois semaines de sélection des jurés, un exercice délicat tant l'affaire a été médiatisée, il entrera dans le vif du sujet à la fin du mois de mars.

L’accusation, qui aura la parole en premier, tentera de démontrer qu'il ne s'agit pas d'une négligence isolée et que l’usage excessif de la force est une habitude pour Derek Chauvin, en s'appuyant sur son passé controversé. Le témoignage d'une jeune femme afro-américaine Zoya Code est d'ailleurs attendu. Celle-ci affirme qu'en 2017, alors qu’il répondait à un appel pour violences domestiques à son domicile, l'officier de police l’a menottée, plaquée au sol et a maintenu son genou sur son cou plusieurs minutes en dépit de ses protestations.

De son côté, la défense devrait dérouler l'historique de délinquance et d’addiction de George Floyd. Notamment pour tenter de convaincre les jurés que c’est l'état de santé de l’Afro-Américain, et non la brutalité de Chauvin, qui a conduit à sa mort.

Le verdict ne devrait pas être prononcé avant la fin du mois d'avril. Pour déclarer Derek Chauvin coupable ou pas, la décision des jurés doit se faire à l'unanimité. Les trois autres policiers impliqués dans la mort de George Floyd, Alexander Kueng, Thomas Lane, et Tou Thao, seront pour leur part jugés ensemble en août.

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