Inondations : et maintenant, comment réagir ?

Si on ne veut pas revivre cela, il va falloir diminuer notre production de gaz à effet de serre, mieux se préparer pour faire face à ces inévitables catastrophes climatiques, mais aussi revoir nos habitudes d’aménagement du territoire.

Vue de Pepinster, ce dimanche. (Maxppp)

Ce week-end, le soleil est revenu, l’eau est partie, mais la boue est toujours là. Des milliers de familles wallonnes sont encore sous le choc face à la violence des inondations de la semaine. Les plus chanceuses ont encore quelques jours de nettoyage devant elles, certaines ont beaucoup perdu, d’autres sont en deuil. Ce week-end, le bilan est à 27 victimes et plus d’une centaine de disparus, alors que ce dimanche matin, les recherches reprenaient dans les décombres de Pepinster, dans la plus grande prudence. Côté niveau des eaux, seuls la Mehaigne et ses affluents restaient en phase d’alerte de crue.

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Désormais, toute la Belgique s’accorde sur un point : personne ne veut revivre une telle situation. Il va falloir faire bouger les choses 

Lutter contre le réchauffement climatique

Tout en haut de la liste des choses à faire, il y a évidemment continuer la diminution des émissions de gaz à effet de serre, voire même faire encore plus d’efforts à ce sujet. Même si certains politiciens aiment jouer avec les mots sur le sujet et se plaisent à entretenir le doute, le réchauffement climatique est en partie responsable de ce qui est arrivé. Il n’a peut-être pas causé directement ces inondations, mais il a été prouvé qu’il augmentait la probabilité et l’intensité d’événements extrêmes comme celles-ci. 

L’ancien vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, Jean-Pascal Van Ypersele s’est rendu sur le plateau du 13h de la RTBF avec le premier rapport du Giec, datant de 1990, dont il n’a lu qu’une phrase : « L’effet de serre accentuera les deux extrêmes du cycle hydrologique, c’est-à-dire qu’il y aura plus d’épisodes de pluies extrêmement abondantes et plus de sécheresses prononcées ».

« On ne peut pas dire qu’on n’a pas été avertis », ajoute le climatologue de l’UCLouvain. « Avant même que le Giec n’existe, les experts tirent la sonnette d’alarme depuis tellement longtemps et sont si peu écoutés. On les invite un peu comme aujourd’hui, quand il y a une catastrophe. Quand la catastrophe est là. »

Chacun a son rôle à jouer et peut diminuer son empreinte écologique, mais le sujet peut être mieux encadré par le monde politique.

Il y a quelques jours, la Commission européenne a adopté plusieurs propositions pour modifier les politiques de l’Union européenne dans différents domaines avec comme but la réduction des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 55% d’ici 2030. Tout ça pour arriver à un objectif final : la neutralité carbone de l’Europe pour 2050. 

Les pays européens seraient donc obligés de faire des efforts dans différents domaines, notamment via des véhicules moins polluants, des bâtiments qui consomment moins, avoir encore plus recours aux énergies renouvelables, restaurer les puits de carbone (forêts, zones humides...), etc.

Le Parlement et le Conseil européen doivent encore valider ces propositions et les discussions et débats pourraient malheureusement prendre encore trois ans. De plus, certaines mesures ont été très critiquées par les élus écologistes et différentes ONG, notamment sur la façon dont est traité le sujet des émissions des industries et entreprises.

« Ça va dans le bon sens et il faut espérer que tout ce qui a été proposé hier soit mis en œuvre, ça reste encore à démontrer. [...], Mais c’est insuffisant. Et puis, le reste du monde doit aller dans le même sens aussi », a commenté Jean-Pascal Van Ypersele.

Esneux, ce dimanche. (Belga)

Esneux, ce dimanche. (Belga)

Se préparer et s’adapter

Il ne faut pas se voiler la face : tout le monde ne va pas se mettre à l’éolien et au vélo dès demain. Et même si c’était le cas, le changement climatique est irréversible. Des événements météorologiques intenses vont plus que probablement se reproduire dans les prochaines années, qu’il s’agisse de fortes intempéries, de tornades ou encore de canicules. Il faut donc s’y préparer.

« Il n'y aura pas de retour à la normale avant plusieurs dizaines d'années. Ces événements que nous considérions comme exceptionnels, il faut accepter qu'ils deviennent désormais la nouvelle normalité et voir comment nous pouvons nous y adapter », a expliqué François Gemenne, chercheur en sciences politiques à l'Université de Liège, spécialisé dans le climat à France Info. « Il ne faut pas du tout prendre ces événements isolément, comme des cas exceptionnels, mais bien réaliser qu'ils font partie d'un même ensemble, qu'ils font partie d'une même normalité à laquelle nous allons devoir nous adapter. »

Comment ? En étant mieux préparés pour faire face à ces catastrophes. Notamment avec des plans d’évacuation par exemple. « À Liège, par exemple, la population a été évacuée trop tard. Elle n'avait pas été prévenue. Donc on aurait sans doute pu éviter des drames humains s'il y avait eu des processus d'évacuation mis en place à l'avance. [...] Il faut vraiment mettre davantage de moyens aujourd'hui sur les questions d'adaptation. Comment allons-nous nous adapter à cette nouvelle normalité ? »

Une autre piste : garder des services de secours préparés à ces situations, avec l’effectif, le matériel et les formations adaptées. La semaine dernière, ce n’était pas le cas et c’est le ministre-président de la Région wallonne qui l’a dit lui-même.

« C’est la preuve que la réforme des zones de sécurité de la Protection civile était une erreur. [...] Manifestement, vu l’ampleur de la catastrophe, ni l’armée ni la Protection civile n’avaient le matériel ad hoc. Si les maisons sont inondées ou si elles s’effondrent, c’est dû à la force de l’eau. Mais que nous ne soyons pas capables d’atteindre les personnes sinistrées afin de les sortir de leurs maisons, c’est une leçon que nous devons tirer. Tous les services, depuis la Défense nationale jusqu’à la Protection civile, devront ensemble en tirer les leçons lorsque tout sera terminé », a déclaré Elio Di Rupo à la RTBF.

Les rues d'Angleur en plein nettoyage. (Belga)

Les rues d'Angleur en plein nettoyage. (Belga)

Revoir nos habitudes

Enfin, les averses n’étaient pas les seules responsables des inondations. La façon dont la Belgique s’est développée durant le siècle dernier a aussi joué un rôle déterminent. On a beaucoup construit et bétonné, et pas toujours aux bons endroits. Les événements climatiques comme celui que nous venons de vivre doivent être gardés en mémoire lors des prises de décisions en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire. 

« Je suis très préoccupé par le fait que le nombre de personnes qui habitent en zone inondable continue à augmenter année après année »,  a commenté François Gemenne. « On continue à financer des infrastructures dans ces zones. On continue à délivrer des permis de bâtir dans ces zones. Dans le long terme, il va falloir réfléchir vraiment à la distribution de la population sur la planète. Parce que ce qui est en cause, c'est la question de l'habitabilité. Quelles sont les zones demain que nous allons pouvoir habiter ? C'est vraiment une des grandes questions que nous allons devoir nous poser. » Il faudra également revoir comment sont gérés rivières et fleuves, égouttage et évacuation des eaux, afin que tout ce réseau soit paré pour de prochaines averses intenses.

Côté sol, la question des constructions et de l’artificialisation est importante, mais un travail devra également être fait concernant les sols « à l’air libre ». Un travail devra notamment être fait avec les agriculteurs pour que leurs terres restent perméables et absorbent un maximum la pluie dans ce genre de situation, notamment via la couverture du sol. « Assurer une certaine diversité dans l’occupation des territoires, essayer d’éviter des cultures qui soient toujours les mêmes sur des grandes surfaces, parce que les plantes ont des capacités d’adaptation qui sont complémentaires », détaille Aurore Degré, professeure de physique des sols et d’hydrologie à Gembloux Agro-Bio Tech. « Quand on assure une certaine diversité au niveau de l’occupation du sol sur un territoire, on peut s’assurer cette résilience face à la sécheresse ou face à l’excès d’eau ».

Ces inondations ont eu l'effet d'une gifle sur beaucoup d'entre nous, notamment parce que c'est toute une région entière qui a été touchée. Entre les épargnés et les victimes, il n'y a que quelques kilomètres, parfois quelques rues. Certains Wallons au sec auraient peut-être tout perdu aussi s'ils avaient habité quelques maisons plus loin. Nous sommes donc tous concernés et nous devons donc tous réagir vite. « Comment allons-nous nous adapter à cette nouvelle normalité ? », se demande François Gemenne, qui souligne que nous sommes « encore dans un schéma de pensée où l'on pense que cela va arriver aux autres. Nous regardons les impacts du changement climatique comme nous regardions le coronavirus lorsqu'il était encore confiné en Chine, en pensant que cela n'arriverait jamais chez nous. On a vu quelle erreur tragique cela a été. »

Pepinster, samedi. (Belga)

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