

Jeff Bezos est un garçon bien. Après son exorbitant saut de puce dans l’espace, il n’a pas oublié la gratitude: “Je tiens à remercier tous les salariés et clients d’Amazon, parce que vous avez payé pour ça”. Il est comme ça, Jeff: même quand il veut être plaisant, il est énervant. Mais il n’a pas tort. Si son entreprise de 600.000 employés est n°1 mondial de l’e-commerce, c’est parce qu’il voit toujours juste. Pour son personnel, surtout.
Dans le New York Times, David Niekerk, jusqu’il y a peu vice-président du groupe, vient de décrire comment Bezos qualifie ses employés: ce sont par essence des “fainéants” qui, avec le temps, tendent vers la “médiocrité”. Raison pour laquelle cet humaniste a toujours voulu tirer ces feignasses vers l’excellence. D’abord en les sous-payant très grassement (15 dollars brut de l’heure aux USA). Puis, au nom d’une superbe productivité, en les faisant bosser jusqu’à un admirable épuisement. Partout dans le monde, dans ses hangars de distribution de plus de 40.000 m2, les “pickers” d’Amazon marchent jusqu’à 16 km par jour pour aller chercher dans les rayons un produit en moins d’une minute chrono. Parfois toutes les 20 secondes.
Les “packers” ont le même temps pour emballer le produit, 7 heures d’affilée, avec une seule pause de 20 minutes et un ravissant contrôle des pauses pipi. Si. Dans le plus grand magasin du monde, les coups de mou sont évidemment courageusement réprimandés, avec possible retenue sur salaire. Bezos a aussi poussé la flexibilité du personnel jusqu’à l’orgasme. Quand, certains jours, les commandes baissent, des employés sont brillamment priés de “prendre leur journée”, qui leur est brillamment non rémunérée.
On appelle ça un “congé volontaire”. Dans certains pays, les nombreux blessés, usés ou burnoutés n’ont aucune horrible assurance maladie. Évidemment, l’indolent travailleur est splendidement contrôlé. Amazon a même breveté un bracelet électronique permettant de détecter les mouvements des mains de ses salariés pour “guider” leur travail. Donc voilà, pour devenir le gars le plus riche du monde (205 milliards de dollars) et s’offrir une fusée, il suffit de rendre ses employés “courageux”. En réinventant l’esclavage.