Réforme des pensions: un nouveau battage en retraite?

Notre système reste injuste, particulièrement à l’égard des femmes. Mais les réformes patinent depuis des années. Et le gouvernement De Croo ne semble pas près de trouver non plus la bonne formule.

Seuls 19 % de Belges croient encore que le gouvernement sera en mesure de continuer à payer les pensions. - Unsplash

Face à une population effrayée, les politiques ont jusqu’ici marché sur des œufs concernant les pensions. L’accord de gouvernement a brossé un programme assez détaillé qui se veut ambitieux. La socialiste Karine Lalieux a préparé un plan qu’elle devrait présenter de manière imminente. Qu’est-ce qui cloche? Les experts, dont fait partie l’économiste Étienne De Callataÿ, dénoncent depuis des années les écueils de notre système. Le taux de Belges ayant travaillé 45 ans est faible par rapport aux pays voisins, ce qui entraîne des risques de pauvreté. Les fonctionnaires ont des pensions très élevées. La Belgique est généreuse en périodes assimilées – comme les années de chômage qui comptent malgré tout pour la pension – et les pénalités financières pour ceux qui prennent une pension anticipée sont faibles. “Il y a donc peu d’incitants à travailler longtemps”, résume Étienne De Callataÿ. Le gouvernement promet de parvenir à un taux d’emploi de 80 % d’ici 2030 avec une augmentation de l’activité et du taux d’emploi des travailleurs âgés en introduisant l’idée de pension à temps partiel, de fins de carrière adoucies, la formation et la réorientation tout au long de la carrière, et en favorisant le transfert de savoir-faire entre les générations de salariés.

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L’injustice du système la plus flagrante peut se lire à travers les chiffres des départs anticipés au sein des trois régimes existants. 80 % des fonctionnaires nommés partent de manière anticipée. Ils sont suivis par les salariés où existe une différence de genre flagrante. Un homme salarié sur deux (45 %) part de manière anticipée contre seulement une femme sur trois. Chez les indépendants c’est encore pire. Si 40 % des hommes partent avant 65 ans, seules 25 % des femmes s’octroient ce droit. Raison? “Les femmes ont beaucoup plus de trous dans leur carrière et sont donc obligées de travailler plus longtemps, explique l’économiste Jean Hindriks, expert en réforme des pensions. Cela pose la question de la mutualisation des charges de famille entre conjoints. On a une femme ministre des Pensions pour la première fois. C’est le moment de mettre ces questions sur la table: les femmes ont de plus faibles pensions et travaillent plus longtemps que les hommes.” Le système des pensions favorise clairement les hommes.

Or, les libéraux veulent assortir l’augmentation de la pension minimale à 1.500 euros d’une condition: avoir travaillé effectivement au moins 20 ans. Les socialistes hurlent. Une telle mesure impacterait 70 % des personnes qui bénéficient aujourd’hui d’une pension minimale, avec une perte de 300 euros par mois. Parmi ces bénéficiaires ayant peu travaillé, les trois quarts sont à nouveau des femmes. “Les politiques prennent les gens pour des idiots. Ce qu’ils ne disent pas en agitant ces 20 ans de carrière effective, c’est qu’il existe en Belgique sept systèmes de pension minimum, dénonce Jean Hindriks. Nous avions dit dès 2014 de commencer par harmoniser afin qu’une année de travail compte comme une année de travail pour tout le monde de la même manière. La vraie question c’est comment on comptabilise pour que ce soit équitable.” Le gouvernement De Croo fera-t-il enfin un big bang pour un système de pensions équitable? “Moi, je n’y crois plus tellement”, soupire Jean Hindriks

Nécessité absolue

La nécessité de réformer est budgétaire. Honorer le paiement des pensions va imposer plus d’impôts aux actifs. Par ailleurs, on va manquer de bras dans les années à venir, surtout si on ferme les possibilités de migration”, rappelle Étienne De Callataÿ. Mais difficile de savoir par quel bout prendre le problème. “Si on rabote les pensions des travailleurs d’aujourd’hui, ça va faire hurler. Si on dit que ce seront les nouveaux fonctionnaires, ils se sentiront lésés et les économies se feront seulement dans 40 ans.”

Pénibilité variable

L’état de santé d’une personne à 60 ans peut être très différent d’un métier à l’autre mais aussi d’une situation à l’autre. C’est un véritable casse-tête. Les métiers physiquement lourds sont plus à risque, mais les métiers sédentaires ne sont pas épargnés par un stress variable. Un prof face à un public difficile est plus à risque que celui qui donne cours dans un milieu favorisé. “Se focaliser sur le seul âge de 67 ans, c’est se tromper de débat. Il faut tenir compte de la durée de la carrière. Commencer à travailler à 16 ans ou à 25 ans, c’est très différent”, poursuit Étienne De Callataÿ.

Défiance totale

Seuls 19 % de Belges croient encore que le gouvernement sera en mesure de continuer à payer les pensions. Pour la génération la plus jeune (18-34 ans), ce chiffre tombe même à 14 %. Les chiffres du Baromètre de Sérénité financière de l’assureur NN, recueillis auprès de 4.000 Belges, sont édifiants. 54 % se disent inquiets de leur situation financière pendant leur retraite. Le pourcentage est le plus élevé chez les 35-49 ans (58 %). Pour les femmes, le pourcentage augmente encore pour atteindre 60 %, contre 53 % pour les hommes. Pourtant, peu de Belges sont en mesure d’estimer le type d’épargne-pension qu’ils devraient constituer. 54 % des Belges non retraités indiquent qu’ils ne savent pas exactement combien d’argent ils doivent épargner pour leur retraite.

L’anecdote

On a appris avec le Covid que rien n’est impayable si on le veut. Mais est-ce souhaitable de soutenir un système aussi injuste?”, se demande Étienne De Callataÿ.

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