Sven Mary: “Abdeslam est un lâche”

L’avocat historique du seul survivant du commando des attentats de Paris publie L’avocat rebelle. Il y raconte ses rapports avec l’ennemi public numéro un et s’épanche sur le dérèglement d’une société frappée par la violence extrême.

Sven Mary: “Abdeslam est un lâche”
@ Belgaimage

C ’est dans le vaste bureau de son cabinet, un hôtel de maître Art nouveau bruxellois, que nous rencontrons le pénaliste. La chemise blanche ajustée au corps ne laisse aucun doute. L’avocat pratique autant l’art oratoire que les arts martiaux… Il a renoncé à défendre Salah Abdeslam à Paris, mais la porte reste ouverte pour les procès des attentats de la station de métro Maelbeek et de Zaventem. Quand, en mars 2016, il a pris la défense du seul membre survivant du commando qui a endeuillé la France, ses filles, explique-t-il, “ont dû comprendre à sept et huit ans, qui était leur papa. Un avocat. Un avocat qui défend celui que le grand public considère comme la pire des ordures. Elles ont dû vivre avec le regard des autres écolières et écoliers, la médisance des autres, leur méchanceté. Elles ont dû apprendre à vivre avec des protocoles de sécurité. Les policiers ont été impeccables, ils ont été très discrets, mais ils étaient là. Ils étaient à l’école, sur le chemin de l’école, dans la rue”… Depuis cinq ans, explique l’avocat, il voit la peur dans les yeux de son aînée quand la sonnette retentit à la maison. “Les insultes et intimidations verbales, c’est une chose. Mais recevoir une lettre de menaces qui décrivait - en nommant leurs prénoms - ce qu’il pourrait advenir à mes filles, c’est autre chose. J’ai formé un cocon autour de mes filles. Je ne peux pas quitter ce cocon pendant huit mois pour aller défendre Abdeslam à la cour d’assises de Paris. Mais le défendre à Bruxelles sera logistiquement plus facile.” Enfin, juridiquement, ce procès du 22 mars est intéressant ne fût-ce que parce qu’au moment des attentats, Abdeslam était enfermé dans une prison de haute sécurité à Bruges…

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Salah Abdeslam est-il un lâche, comme l’affirment au procès des attentats de Paris les victimes survivantes?
On peut s’en tenir aux évidences. Abdeslam a manqué par trois fois de mourir “en martyr”. À Paris, durant cette nuit d’attentats, lors de la fusillade rue du Dries à Forest et durant son arrestation, rue des Quatre Vents. Il est lâche. Ce n’est pas un avis: c’est un constat.

Vous écrivez “Abdeslam est à l’avocat pénaliste ce que la finale de la Coupe du monde est au joueur de foot”… Participerez-vous au “Mundial judiciaire” du procès des attentats du 22 mars?
En tous les cas, je suis qualifié. Et je compte effectivement bien m’y rendre. Devenir un ennemi à côté d’un ennemi public numéro un, auteur du crime le plus monstrueux, c’est un sommet en soi. Mais ce n’est évidemment pas le même plaisir. Et puis, le public aime Zidane ou Giorgio Chiellini…

Que penser de son discours actuel à la gloire d’Allah et de l’État islamique et de ses propos victimaires?
Le museler n’est pas possible dans un État de droit. Certes, cette propagande est un danger, mais il y a une différence entre aujourd’hui et il y a six ans. C’est que les services de renseignements sont beaucoup plus présents. Et attentifs aux éventuelles vocations que ses propos pourraient faire naître, cette propagande qui consiste à mettre sur le même pied “bombardements tuant des civils en Syrie” et “attentats tuant des civils en Europe”. Les premiers n’excusent pas les seconds. On ne juge pas les bombardements en Syrie, mais bien les attentats.

S’il utilise ce même argument à Bruxelles dans un an, que faites-vous?
Je me réserve le droit de m’en aller, de quitter la barre. Moi, je suis là pour donner une assistance juridique, pas pour diffuser la propagande d’une radicalisation d’une religion, par ailleurs fort belle. Fort belle dans sa version non radicale.

Vous racontez que pendant vos échanges avec Abdeslam - censés être confidentiels - au Palais de justice de Bruxelles et à la prison de Bruges, vous suspectiez être sur écoute. Ces pratiques illégales sont-elles courantes en Belgique?
Je le sous-entends, en effet. Quand je constate toutes les informations - des enregistrements vieux de parfois deux ans - qui ont été jointes par la suite au dossier d’instruction. Et quand je pense aux enregistrements des conversations qu’Abdeslam avait avec ses voisins de cellule à Bruges, Mehdi Nemmouche, le tueur du Musée juif de Belgique et Abrini, l’homme au chapeau, je me dis que c’est probable. Mais je n’en ai pas la preuve.

Cette conférence de presse du procureur de la République française Molins sur le fait qu’Abdeslam parle au moment même où celui-ci communique au juge d’instruction en votre présence est en effet troublante…
Abdeslam, ce 19 mars 2016, cinq mois après les attentats de Paris, était un trophée. Il fallait, pour apaiser la colère du grand public, montrer que les parquets fédéraux, les autorités belges et françaises étaient - enfin - à la hauteur. On m’a reproché le fait d’avoir dit qu’Abdeslam parlait, ce qui aurait précipité chez nous les attentats du 22 mars. C’est grave. C’est en réalité le procureur Molins qui a “vendu la mèche”.

Autre dysfonctionnement: le journaliste Jean Quatremer de Libération, qui vous a plus ou moins soutiré l’indiscrétion selon laquelle Salah Abdeslam avait “l’intelligence d’un cendrier vide”.
Pas “plus ou moins”. Je le dis sans nuance: ce journaliste est une merde. Il était venu pour faire le profil de ma personne. L’entretien terminé, on va déjeuner. On n’est alors plus du tout dans une relation “intervieweur/interviewé”, mais dans une discussion libre. Mais lui, il fait tourner en cachette son dictaphone. C’est d’une bassesse absolue. Vous imaginez l’impact sur ma relation avec Abdeslam et sa famille?

Certaines affaires judiciaires très chargées émotivement ne provoquent-elles pas le dérèglement généralisé des intervenants: avocats, magistrats, journalistes, grand public...?
Le grand public, il a le droit. Nous, on est des pros. Et on l’a choisi. Donc, nous devons nous tenir à la raison, aux règles. L’émotion ne doit jamais prendre le dessus. On vit déjà dans une société tellement menée par l’irrationnel, tellement polarisée, sans nuances…

À ce propos, vous êtes assez dur avec l’islam, vous parlez au sujet des jeunes musulmans belges d’une “génération perdue”… A-t-on laissé les choses aller trop loin en Belgique? Par intérêt politique?
Il suffit de regarder. On ne peut que le constater. Mais je ne généralise pas. Je ne dis pas qu’un musulman est quelqu’un qui a envie de commettre un attentat, évidemment. Je dis simplement qu’il y a eu un délaissement. Qui a causé une déscolarisation. Qui a provoqué une exclusion. Il y a un gouffre qui s’est créé entre le marché du travail et ces jeunes d’origine arabo-musulmane. Beaucoup de ceux-ci - qui ont au départ le même potentiel que quelqu’un de bien blanc et bien rose - restent sur le carreau. Une vie de médiocre petite criminalité de rue leur assignera une étiquette qui leur collera aux basques toute la vie. Une vie, en fait, terminée dès la déscolarisation. Les prisons sont pleines de Mohamed, Farid ou Ali. Ils sont jugés pour des actes qu’ils ont commis par un système qui les condamnera d’autant plus facilement qu’ils s’appellent Mohamed, Farid ou Ali. Ils ¬portent une étiquette…

On dirait du Éric Zemmour bienveillant…
Il faut pouvoir nommer les problèmes pour les solutionner. La polarisation du débat sociétal, dont je vous parlais, fait que je sais que mes propos peuvent être récupérés par l’extrême droite. Mon profil LinkedIn est régulièrement consulté par le Vlaams Belang. Ça me désole: je ne suis absolument pas un type d’extrême droite. Mon grand-père est parti dans les camps de concentration. Quelqu’un qui nierait les crimes du fascisme ou du nazisme, je ne le défendrais pas. Pour autant, cette position ne me condamne pas à fermer les yeux devant l’évidence.

Pour aller plus loin

 

 

Sven Mary, l’avocat rebelle, Entretiens avec Erwin Verhoeven.
Celui qu’on surnomme “l’avocat des crapules” raconte ses 70 cours d’assises, mais surtout sa rencontre avec Salah Abdeslam. Il développe aussi une critique de la posture de culpabilité adoptée par la Belgique vis-à-vis de la France.
Éditions Kennes, en librairie le 16/10.

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