
Saint-Valentin: une fête ancienne devenue phénomène commercial

Ce 14 février, c'est la Saint-Valentin et comme chaque année, les amoureux s'offre des fleurs, des chocolats et autres petits cadeaux. Une orgie commerciale qui ferait penser que cette fête a dû naître dans le cerveau de spécialistes en marketing avides de vendre des produits dans cette période creuse de l'année. Mais en réalité, ce n'est pas tout à fait le cas. Il faut même revenir longtemps en arrière pour en trouver les origines.
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Une origine romaine? Pas si sûr...
Pour le sociologue Jean-Claude Kaufmann, qui a consacré un livre à la Saint-Valentin, les origines de cette fête peuvent être retracées jusqu'aux Lupercales, des célébrations romaines observées chaque année le 15 février. À l'époque, cet événement n'a cela dit pas grand-chose à voir avec le romantisme d'aujourd'hui. Il s'agit d'une sorte de Carnaval destiné à purifier la ville avec un sacrifice (d'un bouc souvent). De jeunes hommes déguisés, les «luperques», étaient ensuite chargés de prendre des lanières de l'animal pour frapper les femmes en âge d'avoir des enfants, soi-disant pour les purifier et stimuler leur fertilité. Jean-Claude Kaufmann rappelle d'ailleurs à France Info que «février vient de 'februare', qui signifie 'purifier'».
Avec l'arrivée du christianisme, l'Église tente d'interdire totalement ces rites païens, notamment à l'époque du pape Gélase Ier (dans les années 490). Comme le précise Noel Lenski, historien du Bas-empire romain à Yale, au média américain NPR, Ces célébrations continuent mais changent progressivement au fil du temps. Apparaît par exemple une «danse de l'échelle» qui se termine par un baiser. «Au fil du temps s’affirme un mouvement d’adoucissement des mœurs amoureuses qui s’accompagne d’une volonté d’exprimer ses sentiments», précise Kaufmann à La Croix.
Faut-il y voir le tout début de ce qui deviendra la Saint-Valentin? Ce point fait débat. Un professeur d'études religieuses de l'université de Morningside (Iowa), Bruce David Forbes, rappelle qu'il «n'y a aucune preuve que Gélase Ier ait préconisé une célébration de la Saint-Valentin en remplacement des Lupercales». Des auteurs ont évoqué une sorte de Chandeleur créée par Gélase Ier à la mi-février qui aurait pu se transformer au fil du temps en Saint-Valentin, mais cela semble faux.
L'Angleterre: berceau de la Saint-Valentin
Bien plus tard, au XIVe siècle, le poète anglais Geoffrey Chaucer écrit un texte qui fera date, «The Parliament of Fowls» (le Parlement des Foules). Dans ce poème, l'écrivain se focalise sur l'arrivée du printemps en février, lorsque les oiseaux s'accouplent et les fleurs bourgeonnent. Probablement influencé par des romans de chevalerie évoquant un certain Valentin (comme dans «Valentin et Orson»), il aurait été le premier à associer le retour des beaux jours à la Saint-Valentin, qui tombe le 14 février. C'est en tout cas ce qu'affirme Jonathan Fruoco, un universitaire français spécialisé dans la littérature anglaise médiévale. Selon lui, ce saint n'était en plus associé à aucune légende majeure, ce qui aurait laissé la voie libre à Chaucer pour en faire le patron des amoureux.
D'autres écrivains anglais du XIVe siècle multiplient ensuite les poèmes sur l'amour valentin, dont John Gower. «À la mort de Chaucer en 1400, la tradition était déjà bien établie», note Jonathan Fruoco. Au XVe siècle, la Saint-Valentin arrive en France. Une «cour amoureuse» apparaît le 14 février 1400 à l'époque de Charles VI et le prince Charles d'Orléans écrit plusieurs poèmes valentins suite à son emprisonnement en Angleterre, après la défaite des Français à Azincourt de 1415. Saint-Valentin devient alors véritablement synonyme d'amour, et ce d'autant plus qu'il entre en résonance avec le terme «galant» (terme qui existe aussi bien en anglais qu'en français). Au fil du temps, des légendes se créent autour du saint, un martyr d'origine romaine devenu un peu par hasard une figure prisée.
Des cartes et chocolats britanniques puis un succès mondial
Il faudra cela dit encore attendre longtemps avant qu'une fête des amoureux prenne forme. Avec la révolution industrielle, les imprimeurs britanniques commencent à fabriquer des dizaines de milliers de cartes de Saint-Valentin parées de poèmes amoureux (les «Valentine cards») et ce à travers tout le Royaume-Uni. Durant l'époque victorienne, cette popularité ne fait que se renforcer. «C'est vraiment au XIXe siècle en Angleterre que c'est devenu une mode, avec surtout des lettres. C'était l'occasion de se déclarer quand on était un petit peu timide, lorsqu'on n'osait pas aller déclarer sa flamme à son ou sa partenaire. C'est très récent que c'est devenu la fête des amoureux de tous les âges», explique à Europe 1 l'historien Jean-Claude Bologne.
Vers 1847, une artiste américaine, Esther Howland, s'inspire de l'une de ces cartes reçue par son père et importe la tradition aux USA. En quelques années, la Saint-Valentin devient populaire des deux côtés de l'Atlantique. Des chocolats en forme de cœur apparaissent au Royaume-Uni dès les années 1860.
Cette fois-ci, la Saint-Valentin est vraiment devenue une fête commerciale. Le monde anglophone succombe tout entier au charme de ce jour des amoureux. Puis au XXe siècle, le reste du monde finit par faire de même, dans la foulée d'autres fêtes anglo-saxonnes comme Halloween. En France par exemple, la Saint-Valentin (dans son style moderne) est adoptée dans la foulée de la Libération, alors que «les soldats américains draguaient les Françaises en leur parlant de cette fête de l'amour», rappelle Jean-Claude Kaufmann.
Une fête mondiale (ou presque)
Aujourd'hui, à travers la planète, la tradition de la Saint-Valentin se décline de multiples façons. Chez nous, offrir des fleurs est rapidement devenu une tradition. Comme l'explique à LN24 Béatrice Libouton, professeure en art floral à Gembloux, les fleuristes ont d'abord vendu principalement des violettes. La rose (notamment rouge), cultivée généralement en mai-juin, n'a pu s'imposer que par la suite grâce à la culture en serre, précise-t-elle. Mais aujourd'hui, la rose fait polémique tant sa production est polluante, que ce soit par la consommation énergétique en serre ou par les importations venues de pays tropicaux.
Au Japon, depuis le milieu du XXe siècle, ce sont les femmes qui ont pris l'habitude d'offrir des chocolats aux hommes le 14 février. Puis un mois plus tard, le 14 mars, les rôles s'inversent lors du «White Day». Les hommes offrent alors un cadeau en retour, que ce soit un chocolat ou autre chose d'ailleurs. Au Maghreb, la Saint-Valentin est connue sous le nom de «fête de l'amour» (Aïd el Hob). Ici, comme en Europe, le romantisme est au goût du jour, avec des cadeaux et des sorties entre amoureux.
Par contre, dans certains pays, Saint-Valentin est tout simplement... interdit. Jusqu'à il y a peu, c'était par exemple le cas en Arabie saoudite où la police religieuse veillait à ce que le saint chrétien ne soit pas célébré. Depuis l'arrivée au pouvoir du prince Mohammed ben Salmane, il est permis de célébrer le 14 février dans les villes saoudiennes. Cette fête reste cela dit synonyme d'immoralité dans d'autres pays musulmans, comme en Iran où la Saint-Valentin est devenue un symbole de rébellion contre le régime en place. En Inde aussi, certains hindouistes regardent d'un très mauvais œil cette tradition venue d'Occident. Presque chaque année, des problèmes d'ordre public surviennent lors de la Saint-Valentin dans les métropoles indiennes.
Enfin, au Cambodge, la Saint-Valentin est bel et bien célébrée mais pas toujours de façon très romantique. En guise de «preuve» d'amour, de nombreux jeunes garçons prévoient de coucher avec une femme, qu'importe qu'elle soit consentante ou pas. «Cela ne signifie pas que les garçons ont tous l’intention de violer leur partenaire, mais qu’ils tentent par tous les moyens d’arriver à leurs fins ; en promettant à la jeune fille un bijou, en la conduisant à l’écart de la ville ou en la faisant boire», explique au Monde Tong Soprach, un analyste à l’origine d'une étude sur le sujet. Cela dit, dans bien des cas, cela débouche quand même sur un viol.