"La migraine n’est pas une fatalité, elle est traitable"

Tout le monde a déjà eu mal à la tête. Certains plus que d’autres. Et pour une poignée de Belges, c’est un véritable enfer quotidien. La migraine deviendra-t-elle enfin une priorité?

mal de tête ©AdobeStock
Mal de tête ©AdobeStock

Elle est le trouble neurologique le plus fréquent chez les Belges. Un quart de la population en souffrirait selon le professeur honoraire de l’ULiège et directeur de l’Unité de recherche sur les céphalées Jean Schoenen. Il y a quelques années, il calculait aussi le coût de la migraine pour l’économie belge: près d’un milliard d’euros. Elle a pourtant longtemps été négligée et mal remboursée. Mais ce serait en train de changer...

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Vous aviez mesuré le coût de la migraine à 958 millions d’euros. Comment on arrive à un tel montant?
JEAN SCHOENEN - 90 % des coûts sont indirects, par absentéisme au travail ou par diminution de productivité. Ce calcul date d’il y a quelques années, donc avec l’inflation et la hausse des salaires, on peut estimer que ce chiffre est encore plus grand aujourd’hui. Mais il n’y a pas nécessairement plus de migraineux, et les traitements sont plus efficaces. Il faut savoir que la migraine est une maladie hétérogène. 60 % des patients souffrent moins de 8 jours par mois, 35 % plus de 8 jours par mois et 5 %, dans les cas de migraine chronique, plus de 15 jours de migraine par mois, avec au moins huit crises. C’est impossible de travailler avec cela.

C’est quoi, la vie d’un migraineux sévère?
C’est une personne qui est à la merci continuelle d’une crise de migraine. Elle ne sait rien faire. Mais ce n’est jamais que 5 %. On considère qu’elle devient invalidante à partir de huit jours par mois.

Au-delà du coût économique, il doit y avoir une perte sociale pour ces personnes...
Évidemment. La perte de loisirs et la répercussion sur la vie familiale et sociale sont extrêmement importantes. Mais c’est impossible à chiffrer et ce n’est pas pris en considération...

Les femmes ont aussi plus de chances d’être atteintes de migraine que les hommes...
Dans une étude réalisée avec l’École de santé ­publique à Liège il y a quatre ans sur les maladies ­cardiovasculaires, 25 % des personnes remplissaient les caractéristiques de la migraine. Chez les femmes, ça dépassait 30 %. Chez les hommes, c’était 19 %. Les femmes ont deux à trois fois plus de chances d’avoir des migraines. À cause principalement des hormones ovariennes, qui aggravent la migraine chez certaines femmes.

On pense parfois que c’est un mal bénin...
Balzac considérait que les migraineuses étaient essentiellement des “femmes mal baisées”. Les stigmas de cette perception restent très présents dans la société. À la fois vis-à-vis de l’employeur, de la famille, du mari... C’est un mal qui ne se voit pas. C’est un gros problème qui persiste, notamment en ce qui ­concerne les remboursements des médicaments. Les migraineux ont été longtemps et largement spoliés dans les remboursements de certains traitements très efficaces parce qu’on considérait que ce n’était pas une maladie qui méritait d’être financée. Les médicaments pour traiter les crises, les triptans, n’ont été remboursés en Belgique que quand ils ont été génériqués, dix ans après leur mise sur le marché. Maintenant il y a une percée avec les anticorps monoclonaux, on a fait un gros battage au niveau de l’Inami et du ministère de la Santé publique avec les associations de patients. Et ils ont accepté le remboursement, mais avec des restrictions. C’est remboursé pour les patients qui ont plus de huit jours de migraine par mois et qui ont déjà essayé trois autres traitements classiques. Il y a un garde-fou très strict pour réserver les remboursements aux patients les plus invalidés.

Il y a autant de migraines que de migraineux, et autant de traitements?
Il y a deux aspects dans le traitement de la crise des migraines. Des médicaments qui permettent de couper la crise plus ou moins rapidement. Ça va des anti-inflammatoires à des médicaments spécifiques qu’on appelle des triptans. Et puis il y a les traitements préventifs, qui visent à diminuer la fréquence et l’intensité des crises au long cours. Ces anticorps monoclonaux sont le traitement préventif le plus efficace qui ait jamais existé. Sans effets secondaires ou très peu. Mais c’est aussi le plus cher, avec une injection à 500 euros par mois. On est donc dans la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine. Depuis deux ans, c’est la première fois que les migraineux les plus invalidés ont un remboursement pour un médicament cher. La bouteille à moitié vide, c’est que rien n’est remboursé pour les autres. Ou ­presque. Les triptans sont remboursés à hauteur de douze comprimés pour six mois. Ce n’est pas beaucoup. Je pense que la Commission de remboursement ne tient pas vraiment compte de l’impact sociétal de la migraine.

Peut-on parler de négligence des pouvoirs publics?
La migraine commence à être reconnue depuis deux ans et demi, il faut en convenir. Mais elle reste mal considérée. Par le milieu familial, l’entreprise, et même le monde académique. C’est la maladie ­neurologique la plus fréquente, et on y consacre ­cinquante minutes de cours dans les études de médecine... En conséquence, le financement de la recherche sur le sujet est réduit à peau de chagrin en Belgique. Alors que les publications scientifiques à l’international sur la migraine ont explosé.

À la fin du mois, vous quitterez votre poste de directeur de l’Unité de recherche sur les céphalées du département de neurologie de l’ULiège. Quel bilan en tirez-vous?
On arrive doucement à faire comprendre aux patients que la migraine n’est pas une fatalité et qu’elle est traitable. Avant, on disait que les parents et les grands-parents en avaient aussi et qu’il fallait vivre avec... Mais attention à la surconsommation. Quand les migraineux prennent des médicaments trop fréquemment pour couper la crise, comme des antidouleurs type Dafalgan ou Perdolan, la migraine s’aggrave. S’ils dépassent 8 à 10 jours de prise par mois, elle peut devenir chronique. Il y a une prévention à faire du côté des patients, des pharmaciens et des médecins traitants.

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