
Comment la saturation de Fedasil fait vivre un calvaire aux demandeurs d’asile

À deux pas de Sainte-Catherine, dans le centre de Bruxelles, c’est constamment le même scénario. Le centre névralgique de Fedasil, celui de Petit-Château, voit se former de longues files devant ses portes. Dans la semaine écoulée, de 150 à 200 personnes ont attendu là afin de déposer officiellement leurs demandes d’asiles. Une étape obligée mais pour la plupart, il a fallu patienter longtemps, parfois plus d’un mois, avant que cela ne soit rendu possible. Une attente qui s’est faite dans le froid, pour certains en dormant devant Petit-Château afin d’avoir une chance d’avoir une place.
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Ce mercredi matin, quatre organisations humanitaires (Médecins Sans Frontières, Médecins du Monde, BXL Réfugiés et la Croix Rouge de Belgique) ont tiré la sonnette d'alarme quant à cette problématique. Au même moment, la situation de Petit-Château semble avancer mais le scepticisme règne encore parmi les associations sur ce qui attend les demandeurs d’asile par la suite.
Une attente interminable à cause d’une nécessité administrative
Le plus souvent, lorsqu’une demande d’asile est reçue à Petit-Château, elle est liée à l’attribution simultanée d’une place dans un centre Fedasil, ailleurs en Belgique. Durant la grande partie des mois d’octobre et de novembre, les deux étaient indissociables. Autrement dit, impossible de déposer simplement sa demande d’asile s’il n’y a pas de place, même pour ceux qui n’en auraient pas besoin car ayant la chance d’avoir déjà trouvé un hébergement. Le problème, c’est que le réseau Fedasil est saturé (près de 95% des places disponibles sont prises). Logiquement, cela bloque tout. Le cabinet du Secrétaire d’État à la Migration Sammy Mahdi nous précise que cette dissociation a été tentée mais abandonnée la plupart du temps à cause de «raisons de sécurité» dont la nature n’a pas été précisée.
Ce détail, purement administratif à la base, a des conséquences importantes pour les demandeurs d’asile. Chaque jour en octobre-novembre, le centre de Petit-Château ne laissait rentrer en priorité que les femmes, les enfants et les personnes vulnérables. Les hommes majeurs, mis dans une file séparée, n’avaient au final presque aucune chance de pouvoir rentrer. Parfois, ils étaient 5-10 à passer, parfois aucun. Pour ne pas perdre leurs places dans cette file d’attente, de plus en plus de personnes ont choisi de dormir sur place, sur des cartons et de simples couvertures, malgré l’arrivée du froid. Beaucoup n’avaient de toute façon pas de logement. Une épreuve terrible, dans l’espoir qu’à un moment, les portes de Petit-Château s’ouvrent enfin à eux.
«Ils sont perdus et désespérés»
Pour les demandeurs d’asile qui ont la chance d’avoir un hébergement, cette situation représente un dilemme. Faut-il rester sur place pour rester dans la file, ou revenir le lendemain en sachant pertinemment que cela réduirait probablement à néant les chances d’être reçu à Petit-Château? C’est la question qu’a dû se poser un jeune Afghan tout juste majeur, Qamar, qu’héberge bénévolement Élodie, une Namuroise. Depuis le 4 novembre, il tente sa chance à Petit-Château. «Il est allé une fois à 5 heures du matin, une fois à 2 heures, voire à passer la nuit dehors sous -3°C, donc on était très inquiets», raconte-elle. «Un jour, il était dans les 40 premiers mais vu les tensions sur place, il s’est fait marcher dessus et dépassé par une vingtaine de personnes. Après, il est revenu en larmes. On n’arrête pas de leur dire ‘revenez bientôt, ça va aller’ mais c’est un jour, puis une semaine, etc. Au final ça les rend fous. Ils ne comprennent pas. Ils sont perdus et désespérés».
Élodie est d’autant plus en colère depuis qu’elle a tenté de joindre Fedasil. «Il y avait un numéro affiché sur la porte lors d’un jour de congé mais il n’était pas attribué. On a envoyé des mails mais personne ne répond. On a dû faire appel à un avocat qui a dû mettre en demeure et renvoyer devant la cour du travail, car c’est une obligation légale de prendre les demandes d’asile», explique-t-elle.

Demandeurs d'asile rassemblés devant les portes du Petit-Château, en novembre 2021 @Elodie Belleflamme
Un déblocage surprenant qui interroge
Toutefois, ce mardi 30 novembre, retournement de situation. Alors que la RTBF faisait un reportage sur ces demandeurs d’asile à Petit-Château, les portes du centre s’ouvrent à toutes ces personnes, aux hommes majeurs comme aux autres. Contrairement à avant, plus besoin d'avoir une place dans un centre Fedasil pour faire la demande d’asile. Un déblocage inattendu qui permet d’avancer dans la procédure. C’est le cas de Qamar, qui a été reçu ce mercredi.
Qu’est-ce qui a permis cela? «C’est une décision du cabinet, pas de Fedasil», nous confirme le porte-parole du réseau d’accueil, Benoît Mansy. Le gouvernement est donc à l’origine de l’initiative mais pour Sotieta Ngo, directrice du Ciré (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers), il est étonnant que ce genre d’action ne se soit pas produit plus tôt. «C’est incompréhensible», estime-t-elle. Selon le porte-parole de la Plateforme citoyenne, Mehdi Kassou, si ce déblocage a eu lieu, c’est parce que «la présence des caméras [de la RTBF] a poussé à faire rentrer les hommes». Il attend par ailleurs de voir si tous les rendez-vous établis vont bel et bien aboutir à chaque fois à des demandes d’asile, et non à un retour à une situation ante quem. Sur ce point, Benoît Mansy nous assure qu’il est bien prévu de recevoir chaque demande d’asile.
La saturation au cœur des tensions
Pour autant, le porte-parole de Fedasil rappelle que le problème de fond, celui de la saturation du réseau, n’est pas réglé, ce qui continuera à créer des soucis du côté de Petit-Château. «Si une personne demande une place à Fedasil, et c’est la majorité des cas, elles devront revenir car on n’a toujours pas assez de places», nous confie-t-il. «Les mesures qui doivent être prises doivent faire l’objet d’une réaction du gouvernement». Benoît Mansy rappelle d’ailleurs que les services du Petit-Château avaient fait grève il y a quelques semaines justement pour dénoncer la pression constante qui pèse sur leurs épaules.
Sur cette question de la saturation, le cabinet de Sammy Mahdi nous confirme vouloir faire le maximum avec la construction de nouvelles centres (Coxyde, Lombardsijde, Geel, Oudergem, ou encore le site à venir de Glons). «Malgré ce que l'on croit, 1000 places ont été créées au cours des derniers mois et il y a encore des places dont l'ouverture est prévue», assure-t-il.
Mais en parallèle, le gouvernement rappelle qu’il doit faire face à plusieurs difficultés. Il cite 1.500 places de Fedasil dévolues aux quarantaines Covid et 1.000 autres dédiées aux victimes des inondations de juillet dernier. Des réfugiés restent parfois plus longtemps que prévu à Fedasil, vu qu’il leur est difficile de trouver des logements. Dans certaines communes comme Spa et Mouscron, Fedasil est en litige avec les autorités communales qui demandent à ce qu'il y ait moins de demandeurs d'asile dans leurs centres. Ailleurs, des établissements temporaires de Fedasil ferment, comme à Marcinelle. En parallèle, de nombreux Afghans fuient le régime taliban. Enfin, le cabinet affirme qu'environ 30% des demandeurs d'asile ont déjà fait une demande dans un autre pays européen et que selon le règlement de Dublin, ils doivent y retourner.
Au Ciré, on ne conteste pas l’existence de problèmes multiples. Par contre, sa directrice rappelle que «chaque année, il y a un concours de circonstance similaire qui fait que le réseau d’accueil n‘est plus capable de répondre, alors que c’est une obligation» légale d’offrir une place pour les demandeurs d’asile. «On nous invoque toujours les problèmes du moment et il y en a marre», déclare Sotieta Ngo. De plus, elle ajoute que «ce n’est pas parce qu’une personne a introduit une demande d’asile dans un autre pays que la Belgique ne doit pas traiter ce genre de cas». «Que les autorités mettent les moyens nécessaires pour traiter rapidement ces demandes, vu qu’il s’agit de respecter l’État de droit. Et si après analyse, il est estimé nécessaire de rejeter ce dossier, la procédure serait respectée. Et nous, on ne dénoncerait pas la situation actuelle avec des procédures en justice».
Un abri pour les demandeurs de Petit-Château?
Reste qu’en attendant, ceux qui patientent du côté de Petit-Château et qui sont sans logement sont forcés d’attendre dans le froid, sans qu’une aide leur soit concrètement donnée. Sotieta Ngo nous confie à ce propos qu’il y a eu des cas d’hypothermies devant ce centre à cause de cette situation et que cela doit cesser.
Nous avons posé la question au cabinet de Sammy Mahdi s’il était possible de créer un espace pour accueillir ces personnes, ne serait-ce que pour qu’elles soient à l’abri de l’hiver. On nous a renvoyé vers la Ville de Bruxelles qui assure de son côté que ce n’est pas de sa compétence. Elle ne peut agir qu‘en s’assurant que des rues ne soient pas bloquées par exemple. Pour avoir un abri pour les demandeurs d’asile à Petit-Château, la Ville assure que «cela relève du niveau fédéral», surtout que ces files d’attente sont provoquées par la saturation chez Fedasil. «C’est comme l’histoire du parc Maximilien où on a dû agir alors que cela ne relevait pas de notre niveau. Par contre, on est en contact avec le cabinet Mahdi et n est derrière eux pour trouver une solution», précise la commune. Recontacté, le cabinet du Secrétaire d’État persiste à dire qu’il n’est pas responsable du sujet, vu que la file se trouve sur la voie publique.
Selon Mehdi Kassou, la Région pourrait intervenir puisqu’elle est en charge des accueils de nuit pour sans-abris. Un sujet qu’il connaît très bien puisque la Plateforme citoyenne est un des opérateurs de la Région bruxelloise. «Mais le réseau des accueils de nuit est lui aussi complètement saturé, on est à 103% de saturation dans tous les dispositifs, tout en créant des places supplémentaires en hiver», rappelle-t-il, tout en dénonçant le Secrétaire d’État Sammy Mahdi. «Ce qu’il dit, c’est que tant que les demandeurs d’asile ne sont pas rentrés chez Fedasil, ils sont sans-abris et c’est donc la Région qui doit les prendre en charge. Il ne reconnaît pas le fait qu’ils sont là pour demander l’asile, ce qui l’obligerait à porter à assistance matérielle de ces personnes. La Région assume ses responsabilités mais là, cette inaction à Petit-Château ‘clochardise’ les demandeurs d’asile et met sous pression un réseau bruxellois complètement saturé».