
Le spectre du Bye Bye Belgium a-t-il disparu?

Le 13 décembre 2006, la Belgique francophone découvrait avec effroi sur la RTBF que la Belgique avait disparu. Un canular qui a marqué une époque et qui fait encore parler aujourd’hui, 15 ans plus tard. Depuis, le séparatisme flamand est encore d’actualité mais de l’eau a coulé sous les ponts. Aujourd’hui, les partis indépendantistes (N-VA et Vlaams Belang) frôlent ensemble les 50% dans les sondages au nord du pays. Pour autant, est-ce que la Belgique risque de connaître un «vrai» Bye Bye Belgium? Ce n’est pas aussi simple.
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Des électeurs pas si nationalistes
Les performances électorales de la N-VA et du Vlaams Belang ont beau être impressionnantes, les Flamands sont loin d’être acquis à la cause du séparatisme. C’est ce qu’a révélé encore en début d’année une enquête menée par la VUB et l’Université d’Anvers. Il en ressort notamment que seulement 12% des Flamands veulent une Flandre plus autonome. À l’inverse, ils sont 33% à vouloir... une refédéralisation du pays. Un score surprenant qui pourrait au moins s’expliquer en partie par la gestion de la crise sanitaire, principalement menée au niveau national. Quant aux autres 55%, ils sont indécis, malgré une légère préférence vers plus de Belgique.
Plus frappant encore: même au sein des partis nationalistes flamands, le séparatisme n’est pas aussi populaire qu’il n’y paraît. «Les recherches montrent qu’une grand partie des électeurs de ces formations politiques ne sont pas des séparatistes convaincus», fait savoir Mauro Caprioli, doctorant à l’UCLouvain qui a étudié les questions liées au nationalisme flamand. «L’aspiration générale est plus vers l’acquisition d’une plus grande autonomie. On sait aussi que l’immigration est un des sujets les plus porteurs pour ce public, plus que la séparation de la Belgique».
On pourrait aussi se dire que le Vlaams Belang serait le bastion par excellence du séparatisme. En réalité, tout est une question de perspective. «Les enquêtes montrent que même au sein de ce parti, une partie d’électeurs sont favorables à une refédéralisation. Cela montre qu’une bonne partie des Flamands qui votent pour le Vlaams Belang ne le font pas principalement parce qu’ils souhaitent un État Flamand indépendant», explique Mauro Caprioli.
L’indépendance, un thème pas si porteur
Une déclaration de Bart De Wever représente bien cette différence entre électeurs et partis. En juillet dernier, il s’est montré favorable à un rapprochement entre sa région et les Pays-Bas. Interrogé sur Kanaal dans l'émission Trends Talk, il a même déclaré: «je mourrais plus heureux en tant que Néerlandais du Sud qu’en tant que Belge». «Cette idée, celle du Diets(land), est un grand classique dans l’idéologie séparatiste flamande des années 30 et chez les organisations qui collaboraient avec les allemands durant la Seconde Guerre mondiale. De Wever est historien et il sait pertinemment qu’en parlant de cela, ce sont plutôt les nationalistes flamands conscients de cette histoire intellectuelle qui seront attirés. Dans les pages les plus noires de l’histoire du mouvement flamand, cette idée était vraiment centrale, propagée par exemple par des fascistes comme Joris Van Severen. Mais aujourd’hui, elle n’est soutenue que par des groupuscules nationaliste assez marginaux», explique le chercheur de l’UCLouvain.
Une autre explication tend aussi les partis nationalistes à calmer leurs ardeurs: le contexte géopolitique. En 2017, l’indépendance de la Catalogne a été tuée dans l’œuf et aucun autre projet séparatiste ne s’est concrétisé en Europe récemment, même en Écosse. «Je ne pense pas que miser sur ce thème soit le choix le plus opportun pour les nationalistes flamands dans une perspective électorale», estime le doctorant néolouvaniste. «Les partis nationalistes préfèrent plutôt insister sur cette différence entre une soi-disant Flandre à droite et une Belgique francophone à gauche, toujours avec l’idée que ce qui se fait au nord est mieux. Il y a toujours cette perspective de communautariser le débat politique mais pas tant de brandir le séparatisme comme argument électoral».
Des velléités séparatistes encore bien vives
Cette communautarisation du débat s'est justement produite ce lundi lorsque la RTBF a interrogé Lorin Parys, vice-président de la N-VA, sur les 15 ans de Bye Bye Belgium. Celui-ci a fustigé la politique du gouvernement Vivaldi, où les Flamands sont moins représentés qu’auparavant, et déclaré que «chaque jour de Vivaldi nous rapproche de Bye Bye Belgium». «Le gouvernement prend des décisions qui ne sont pas les nôtres. On vote centre-centre droit en Flandre, à gauche-extrême gauche en Wallonie. Et si on doit mettre les deux ensemble, on voit bien que ça ne marche pas», martèle-t-il. «Capitaliser sur ces émotions et cette confrontation régionale est électoralement très porteur dans le cadre d’une opposition au gouvernement fédéral», analyse pour sa part Mauro Caprioli.
Est-ce que pour autant, tout cela n’est que palabres? Pas si sûr. «Si la N-VA et le Vlaams Belang obtiennent une majorité aux prochaines élections, il serait intéressant de voir ce qui se passerait. Dans ce cas de figure, il n’est pas impossible que les factions séparatistes de ces partis donnent de la voix, même si c’est en contraste avec les électeurs. Cela pourrait notamment activer certains clivages au sein de la N-VA. Il faut rappeler qu’à la base, la N-VA avait inscrit l’indépendance de la Flandre comme un de ses objectifs principaux», conclut Mauro Caprioli.