
Pourquoi le Codeco du 22 décembre a-t-il confiné la culture?

Ce mercredi 22 décembre, parmi les mesures prises par le Codeco, une a particulièrement marqué les esprits: le confinement d’une bonne partie du milieu culturel. Plus de cinéma, plus de théâtre, plus de concert. Une initiative qui a choqué les épidémiologistes et virologues. Marius Gilbert s’est montré ému jusqu’aux larmes sur les ondes de la Première. Marc Van Ranst affirme que «le vin chaud a gagné sur la culture», les marchés de Noël pouvant rester ouverts malgré des restrictions supplémentaires. Sur les réseaux sociaux, le hashtag «Still Standing for Culture» revient en force. À chaque fois, c’est l’incompréhension quant à la décision de fermer ce secteur. Pour mieux comprendre, il faut savoir lire entre les lignes.
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Une tension entre experts et gouvernement
Juste après le comité de concertation, les experts du GEMS, qui conseillent le gouvernement, ont immédiatement réagi. Ils ont fait savoir que le confinement de la culture ne faisait pas partie de leurs recommandations. Signe de la tension ambiante: contrairement à l’accoutumée, leur rapport a été rendu public le jour même de la réunion et non le lendemain. Et en effet, cette mesure ne faisait pas partie du dossier. Le virologue Steven Van Gucht l’a encore confirmé sur le plateau de VTM ce mercredi.
Réagissant à la comparaison de Marc Van Ranst avec les marchés de Noël, le Premier ministre Alexander De Croo a défendu la position du Codeco. «Les activités à l'intérieur sont beaucoup plus dangereuses qu'à l'extérieur. Si nous voulons rencontrer des gens, c'est mieux de le faire à l'extérieur plutôt qu'à l'intérieur», a-t-il déclaré. «La proposition des experts était de celles qui nous amèneraient très probablement à prendre une décision aujourd'hui et à devoir en refaire la semaine prochaine. Je pense que c'est la dernière chose que nous devrions faire pour le moment. Nous devons prendre des mesures claires et stables».
Un risque sanitaire pas si grand que cela dans la culture
Cette réaction du Premier ministre est cela dit un peu litigieuse d’un point de vue épidémiologique. Certes, les activités intérieures sont de manière globale plus propices à la propagation de l’épidémie. Mais est-ce que cela veut pour autant dire que le secteur culturel est particulièrement risqué? Oui et non, selon le rapport d'un membre du GEMS, Lode Godderis, dévoilé ce jeudi par le Nieuwsblad. Celui-ci montre que globalement, le niveau de contaminations dans le milieu des arts et des loisirs n'est pas si élevé comparé à d'autres, même s'il y a des nuances. Les cas sont plus nombreux avec les arts du spectacle, notamment à cause des concerts, mais «les autres arts sont vraiment à un niveau général», explique Godderis. C'est pour cela que «nous n'avons pas conseillé de fermer la culture, car nous pensons que les activités sédentaires avec des mesures adaptées ne présentent aucun risque supplémentaire», ajoute-t-il.
Son rapport montre en parallèle qu'un autre secteur est lui bien plus risqué: le sport en salle. Pour le professeur de médecine du travail de la KU Leuven, la logique du Codeco de fermer la culture et de laisser ouvert les centres de fitness est donc contestable. «Il est logique que les gens ne comprennent pas cela», juge-t-il. À noter que pour l'horeca, son étude donne des résultats assez bons, probablement grâce à un respect plus grand des mesures de prévention (capteur de CO2, ventilation, etc.).
Une décision politique
Pour le virologue Steven Van Gucht, la décision du Codeco de viser la culture ne peut donc pas s’expliquer par l’épidémiologie. «Ce sont des choix politiques, c'est à eux de décider», dit-t-il. Un avis qui rejoint celui du politologue de la VUB Dave Sinardet. Selon lui, après les avis scientifiques, «le lobbying joue un rôle» dans les décisions du comité de concertation, d’où notamment le fait que l‘horeca soit épargné et pas la culture. «Certains secteurs sont forts là-dedans. La restauration, par exemple, a un poids économique plus important avec plus d'employés et de clients. [...] Je conseille toujours au secteur culturel de réfléchir à la manière dont il peut peser plus lourdement sur la prise de décision à l'avenir», déclare-t-il sur Radio 2 Antwerpen. «Le secteur culturel avait auparavant été le premier à fermer et a été le dernier à rouvrir. Leur poids politique n'était déjà pas grand, mais semble maintenant être léger comme une plume».
Bref, la culture pâtirait aujourd’hui de son combat désavantageux face à d’autres secteurs, dont l’horeca. Reste que d’un point de vue politique, cette décision n’est pas non plus sans conséquences, comme l’explique à la VRT le politologue de l’UGent Carl Devos. «La dernière fois, la critique était qu'il s'agissait d'une politique stop and go, d’une politique yo-yo, du chaos... Maintenant, c'est basé sur l'arbitraire, la logique manque. On ne peut pas expliquer certaines choses et ça tue la politique, quand on intervient aussi souvent dans la vie quotidienne et qu’on ne peut pas expliquer pourquoi quelque chose est épidémiologiquement important», dit-il. «On dit que la restauration est un secteur économique important, où beaucoup de gens travaillent, où beaucoup de gens se rendent. Les intérêts économiques semblent aussi peser plus que les intérêts épidémiologiques».
Ce risque politique inquiète aussi énormément l’épidémiologiste Marius Gilbert, d’où son émotion de ce matin. «Il faut peut-être réfléchir à une autre manière de penser cette crise. (Le comité de concertation) est occupé à avoir des conséquences délétères sur la confiance et au final, sur la cohésion sociale», s’inquiète-t-il. «Il ne faudra pas être étonné dans une semaine, si aux côtés de l'extrême-droite, on retrouve les acteurs du culturel, du personnel soignant, tous les secteurs de la population qui se sentent maltraités par la manière dont la crise est gérée».