
Pourquoi la venue à Bruxelles du président égyptien fait polémique

L’Europe et la Belgique déroulent le tapis rouge pour le « raïs ». Le président égyptien, le maréchal Abdel Fattah al-Sissi, est à Bruxelles ce mercredi et jeudi, pour participer au sommet Union européenne-Union africaine. Et il pourra se targuer des faveurs du Roi Philippe, puisque ce dernier le reçoit en audience mercredi. Le maréchal Sissi rencontrera également le Premier ministre, Alexander De Croo, et la ministre des affaires étrangères, Sophie Wilmès, jeudi.
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À leur manière, plusieurs ONG internationales ont également choisi de saluer la venue du président égyptien ; elles ont manifesté ce mercredi place du Trône, à deux pas du Palais, pour dénoncer cette visite et pointer l’absence de respect des droits humains au pays des pharaons.
Amnesty se mobilise pour les prisonniers politiques en Egypte et en appelle au roi Philippe à l'occasion de la visite du Maréchal al-Sisi en Belgique @amnestybe pic.twitter.com/yNdBh0DYTJ
— BelgaVideo (@BelgaVideo) February 16, 2022
"Torture généralisée"
Depuis sa prise de pouvoir en 2013, le régime de Sissi n’a en effet cessé de se durcir. Les organisations de défense des droits de l’homme dénoncent régulièrement l’étouffement de toute voix critique, qu’il s’agisse des Frères musulmans ou d’opposants laïcs et de gauche. « La présidence d’al-Sissi est marquée par une répression brutale qui pourrait bien avoir atteint le degré qualifiant les crimes contre l’humanité, avec d’innombrables arrestations arbitraires, disparitions forcées, exécutions extrajudiciaires, et une torture généralisée. La société civile indépendante a de fait été rendue hors-la-loi à travers des menaces et intimidations violentes", liste notamment Human Rights Watch (HRW).
Mardi, le groupe Ecolo-Groen de la Chambre a déploré cette rencontre au Palais. "Le Roi a pris des positions courageuses à plusieurs reprises sur les droits humains ou récemment sur la lutte contre le racisme. Une telle entrevue ne cadre pas avec les valeurs que veut diffuser le Palais royal. Nous demandons au Roi de limiter la rencontre entre le Palais et le dictateur égyptien à l'unique question des droits humains en Égypte", a réclamé le député vert Simon Moutquin.
Mais l’opposition- en l’occurrence ici, le cdH- a eu beau jeu de rappeler aux Verts qu’ils siégeaient au gouvernement et qu’à ce titre « le Roi ne reçoit que si le gouvernement marque son accord ou que si le gouvernement le lui demande, comme l’a fait observer Catherine Fonck. Sexy de surfer ainsi pour se donner bonne conscience chers collègues d'Ecolo, mais le gouvernement c'est vous. Ras-le-bol des faux semblants. Il fallait agir avant, vous aviez les leviers" a jugé la cheffe de groupe humaniste. Ecolo a toutefois répliqué, expliquant que son vice-Premier Georges Gilkinet avait protesté en kern (conseil des ministres restreint) en apprenant la tenue de cette audience.
Realpolitik
« Si on ne doit parler qu’avec les pays avec lesquels on est d’accord, ce sera un tout petit club…" résumait pour Le Soir une source bien informée. Face à un dictateur tel que Sissi, le respect des droits humains ne fait pas (toujours) le poids. Surtout si de l’autre côte de la balance, pèsent des intérêts économiques et géopolitiques… Aux Etats-Unis et en Europe, le président égyptien reste ainsi considéré comme un partenaire clé pour la stabilité du Moyen-Orient.
Selon Le Soir, les exportations belges à destination de l’Egypte représentaient un milliard d’euros en 2019. Le pays a longtemps été un client de l’industrie wallonne d’armement. En juin 2020, le ministre-président wallon, Elio Di Rupo, assurait "la Wallonie n’octroie plus de licence d’exportation pour du matériel militaire qui pourrait être susceptible d’être utilisé à des fins de répression interne en Égypte".
Selon Amnesty International, le régime de Sissi reste pourtant un client important de la Wallonie : « Il est par ailleurs très inquiétant de constater que plusieurs pays où sont commises de graves violations des droits humains bénéficient des transferts d’armes wallonnes, à l’instar de l’Égypte, qui a été le premier client en Afrique de la Wallonie en matière d’armements en 2020 (14 044 050 €)".