Quand la colocation fait grimper les prix

Le coliving se développe, notamment à Bruxelles. Vue par certains comme une réponse à la crise du logement, cette colocation de luxe exerce surtout une pression énorme sur le marché.

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Historiquement imaginée pour expérimenter la vie à plusieurs, la colocation est devenue le passage presque obligé des étudiants et des jeunes travailleurs face à la montée des prix du logement. Pourtant, elle fait aussi pression sur le marché. Quand, dans une maison unifamiliale qui accueille normalement un ménage à deux revenus, on peut demander un loyer à trois, quatre, cinq... personnes, on fait monter les prix. En se tournant vers la coloc pour raisons financières, on en arrive donc à participer à la hausse des loyers. Un cercle vicieux.

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C’est dans ce contexte qu’est né le coliving. Colocation de luxe, clé sur porte, où toutes les charges et tous les services (nettoyage, entretien, Internet, ­Netflix...) sont compris, il se propage à Bruxelles. Une série de sociétés, souvent françaises, ont déjà investi la capitale. Cohabs, Ikoab, Colive…, les acteurs du marché totaliseraient un gros millier de chambres, principalement entre Ixelles, Saint-Gilles et Bruxelles-Ville. Les échevins de l’Urbanisme de ces trois communes ont d’ailleurs décidé de mutualiser leurs efforts pour les encadrer un peu plus sérieusement. Car il n’est pas particulièrement bon pour une commune de voir fleurir des chambres de 20 m² à 750 € par mois, même en all in. “Le phénomène est en expansion dans nos communes, commence ­Catherine Morenville, échevine de l’Urbanisme à Saint-Gilles. On a des chambres entre 600 et 1.200 euros. Au Parvis, un immeuble compte 21 chambres. C’est tout de suite plus rentable qu’un loyer d’une maison unifamiliale. Cela augmente les montants des locations et les prix des immeubles. Saint-Gilles est déjà ­suffisamment cher comme ça. Et on a envie d’avoir des habitants qui s’investissent dans la commune et qui veulent y rester. Ici, on est dans un turnover.” Les baux sont effectivement souvent très courts, trois à six mois pour la plupart, et accueillent des jeunes expatriés qui font de Bruxelles une ville de passage.

Investir dans la pauvreté

Catherine Morenville insiste: “On est hyper-favorable à la colocation. On la promeut, comme le logement intergénérationnel. Mais c’est vraiment autre chose que le coliving chic”. Elle veut surtout, avec ses homo­logues ixellois et bruxellois, mettre des barrières au sein d’un marché dérégulé et réservé à un public aisé. Et cite d’autres problèmes liés au coliving, notamment pour le voisinage. “Dans une rue résidentielle, on a tout de suite des plaintes des voisins parce que ça fait la fête. Il y a également des problèmes en matière de sécurité. Quand une société rénove une maison unifamiliale pour du coliving en cloisonnant des chambres, elle n’a pas besoin de permis car elle ne s’attaque pas à la structure du bâtiment. Ces immeubles échappent à l’urbanisme. Elle y met donc une quinzaine de chambres sans avoir d’avis SIAMU conforme. Or, on n’évacue pas quinze personnes dans une unifamiliale comme une famille de quatre personnes.” Autre question essentielle, la taxation. “Cela s’apparente dans la plupart des cas à de l’hôtellerie, contrairement à la colocation. Il y a des services de ménage, de lingerie... Il faut combler ce trou. Ces promoteurs se font un max de fric. Les communes en récupèrent les nuisances et n’en tirent aucun revenu.” L’impact sur le marché locatif est spectaculaire. Mais l’acquisitif n’est pas en reste. “Ça a même un impact plus rapide et plus local, indique Sarah de Laet, conférencière, chercheur et militante au sein du collectif Action Logement Bruxelles. Dans certaines communes, les sociétés de coliving préemptent les maisons mises sur le marché, et elles sont capables de proposer des prix plus élevés que les particuliers. Et font monter les prix, principalement sur le segment “belle maison unifamiliale”.” Soit une majorité des immeubles à Ixelles, Saint-Gilles ou Bruxelles.

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L’effet pervers de la colocation nous a été soufflé par Sarah de Laet. “Le coliving n’est rien de plus que la ­préemption par un système capitaliste d’une pratique de débrouille qui existe depuis des années. Mais tout le marché du logement est cynique. Par exemple, ces dernières années, on a invité les riches à investir dans les agences immobilières sociales. Oui, on fait du logement pour les précarisés un produit d’investissement. Or, c’est parce que le logement est un produit d’investissement qu’il est trop cher...” Ironiquement, le coliving est parfois présenté comme une solution à la crise du logement que connaît Bruxelles. “D’accord pour explorer de nouvelles manières de vivre. Mais il faut laisser la possibilité aux autres de vivre en famille ou seuls. Il y a une vraie utilisation de la crise du logement pour pousser les pouvoirs publics à accepter des projets qui ne vont pas créer du logement abordable. Du coup, les classes populaires s’entassent dans de plus petites habitations, parfois insalubres.

Des particuliers aussi achètent des immeubles pour les diviser en appartements et maximiser les loyers. Aussi diabolique? “Le logement, soit c’est un produit d’investissement et on laisse les gens faire ce qu’ils ­veulent, soit on considère que c’est aussi une nécessité et un droit, et on limite la rentabilité. Il est normal que les gens décident d’investir dans l’immobilier. Mais tout cela impacte le marché, en défaveur des plus pauvres. Les pouvoirs publics doivent intervenir.

Les communes démunies

Politiquement, les leviers communaux sont cependant assez minces face à l’essor du coliving. “On émet des recommandations et des lignes de conduite, mais elles ne sont pas inscrites dans le Règlement régional d’urbanisme, signale Catherine Morenville. On attend sa réforme, elle est chaque fois reportée. Cela met tellement de temps qu’avec Ixelles et Bruxelles-Ville, on essaie de prévenir comme on peut. Mais rien n’a de base légale.” Le nouveau RRU devrait sortir mi-2023. Du côté des trois communes les plus touchées, on espère voir les recommandations prises en compte. Sarah de Laet, elle, attend de voir. “Le RRU pourrait potentiellement permettre, outre la rénovation, la ­construction d’immeubles de coliving. Il ne faut pas s’y tromper, l’objectif est celui de la rentabilité. Et le problème, c’est que le logement, c’est là où on vit... et on n’est pas tous riches.”

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