Justice: quels progrès depuis #MeToo?

C’est une chose de s’indigner des violences faites aux femmes. C’en est une autre de recevoir leurs plaintes et de les traiter dignement et efficacement.

Manifestation contre les violences sexistes
Manifestation contre les violences sexistes à Bruxelles en 2017. © BelgaImage

Cette année 2022, cela fera tout juste 100 ans qu’une loi est entrée en vigueur en Belgique pour permettre aux femmes d’accéder au barreau”, explique Maître Céline Wiard, présidente de la Conférence du jeune barreau de Bruxelles. Le barreau de Bruxelles représente 60 % des avocates et avocats de Belgique francophone. En 1922, la justice a donc commencé à se féminiser. Mais le “jeune barreau”, qui existe depuis 180 années, n’a eu à sa tête que six ou sept femmes, dont Céline Wiard. “Mais on peut dire que la féminisation s’accélère ces dernières années: sur les quatre derniers présidents, trois étaient des ­femmes. Par ailleurs, plus de la moitié des avocats stagiaires sont des femmes et une majorité de magistrats sont également des femmes.” Ce qu’elle vit en tant qu’avocate, dans une matière pourtant particulièrement “chargée” puisqu’elle est spécialiste en droit familial, ne souffrirait pas ou plus d’un biais sexiste.

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Dans la chaîne judiciaire, il n’y aurait plus, selon Céline Wiard, de traitement déséquilibré, minimisant ou particulier d’une affaire parce que l’auteur ou la victime serait une femme. “Dans ma pratique, actuellement, j’ai des affaires de violences domestiques commises par l’homme. Probablement dues au confinement et à ses suites. Dernièrement, c’est le commissariat de police qui m’a directement envoyé une plaignante. Les plaintes pour violences physiques ou sexuelles me semblent accueillies par la police avec plus de sérieux et d’intérêt qu’auparavant. Par ­exemple, récemment - et chez moi, c’était la première fois -, on a eu la mise en place d’une procédure d’interdiction temporaire de résidence effective vis-à-vis d’un homme violent. Cette loi date de 2012 mais elle est appliquée maintenant. Les plaintes des femmes qui font l’objet de violences sont désormais réellement ­prises au sérieux. Et suivies. Car, toujours pour cette application, la police a vérifié et veillé à ce que l’homme n’ait plus accès à sa résidence. Elle a donc veillé à ce que la loi - et la femme - soit respectée.

Au-delà des chiffres, une meilleure prise en charge

Cette bonne nouvelle - qui serait enfin peut-être le signe d’un réel changement de paradigme vis-à-vis de la considération de la femme -, on aurait voulu la confronter. En rapportant la parole de Me Wiard à Fem&LAW, une ASBL de juristes féministes créée à Bruxelles en 2017, l’année de naissance de #MeToo, le mouvement social encourageant la prise de parole des femmes au sujet du viol et des agressions sexuelles. A priori, cette association aurait eu des précisions à apporter. Confirmation? Dénégation? #MeToo a-t-il été un catalyseur ou un feu de paille médiatique? Sauf que nos quatre mails envoyés, le fait qu’on nous a répondu (en signant “Bien féministement”) que malheureusement aucun des membres n’était “disponible” et le fait qu’une collègue féminine ait eu plus de chance que nous nous laissent perplexe. Trente-trois minutes pour vérifier qu’aucun des 60 membres d’une ASBL ne peut nous accorder un entretien, c’est peu. C’est rapide. Et c’est dommage…

Car les témoignages colorent les chiffres qui, à eux seuls, ne sont pas suffisants pour décrire, au plus juste, une réalité. Les chiffres: depuis 2017 et jusqu’au premier semestre 2021, ils sont “stables” en matière d’agressions sexuelles et de violences domestiques. Sauf pour les violences physiques et sexuelles commises dans les transports en commun qui semblent exploser. Par ailleurs, depuis 2017, 70 % des plaintes relatives aux violences sexuelles sont classées sans suite. Claire Hugon, députée fédérale, féministe et, au sein d’Écolo-Groen, en pointe sur les questions d’égalité de genre et sur la réforme du droit pénal sexuel, se chargera de ­donner un relief à ces statistiques.

Kanar sur la justice et MeToo

© Kanar

Une police plus volontaire

Les chiffres, ce n’est effectivement pas tout”, commente la députée. Car, par exemple, comment mesurer l’effet de la pandémie sur le nombre de plaintes déposées? “Ce qui est clair, c’est qu’il y a un progrès dans la gestion de la problématique des abus et violences physiques et sexuelles subis par les femmes. Les constats sont posés, ce qui a permis au politique de traduire ces constats en mesures. Les mécanismes ­permettant de mieux accueillir, judiciairement, la parole des femmes ont commencé à se mettre en place. Il y a quelques mois, un plan de lutte contre les vio­lences de genre a été approuvé par tous les pouvoirs en place en Belgique. Une lutte tant sur le plan de la prévention - là où tout commence - pour éviter qu’il y ait des victimes que sur le plan de l’identification des problèmes de prise en charge de ces victimes.”

On sait qu’il y a des tas de femmes qui ne vont pas porter plainte parce qu’elles savent qu’elles ont de grandes chances d’êtres mal reçues, qu’elles ne vont pas être crues ou qu’il n’y aura pas de suite. “Il y a un volet de formation de la police, notamment, qui est en cours. Une enquête du Comité P - le dispositif qui supervise le travail de la police - a été diffusée en janvier dernier et constatait cependant qu’il y avait encore un besoin de formation et d’information. Pour parvenir à généraliser une prise en charge performante telle que celle des centres de prise en charge des violences sexuelles - une initiative par ailleurs en partie portée par la police - présents dans cinq hôpitaux de notre pays.” Ces ­centres de prise en charge étaient au nombre de trois en 2019, et seront dix en 2024, tant ils répondent de manière adéquate à la problématique. Notre pays, sans aucun doute, a réagi correctement et #MeToo y a été un catalyseur. Claire Hugon avance une preuve tangible de cela. “Il est significatif que le code pénal sexuel ait été “sorti” de la réforme globale du code pénal pour pouvoir être traité et réformé en premier. Là, maintenant, avant tout le reste…

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