Accueil des réfugiés: aujourd’hui les Ukrainiens, et demain?

On se doutait que les citoyens répondraient présent. Les autorités, elles, nous ont agréablement surpris. Reste à transformer cet état de grâce en solutions pérennes et dignes des futurs enjeux migratoires en Belgique.

des réfugiés en Belgique
Des réfugiés, Ukrainiens ou autres, attendent devant le Petit-Château, le 15 mars. © BelgaImage

L’accueil naturel qu’offrent les Belges, ce n’est pas quelque chose de nouveau.” ­Philippe Hensmans, directeur de la branche belge francophone d’Amnesty International, le rappelle: la générosité belge a traversé de nombreuses crises internationales. “Je me rappelle l’opération “Villages roumains” en 1989, où des convois partaient de chaque commune ou à peu près, après la chute de Ceausescu. On a aussi retrouvé cela avec les conflits dans les Balkans.” L’accueil ferait donc partie de l’ADN de notre pays. En 2015, quand la Belgique se sent submergée par l’arrivée de réfugiés venus principalement de Syrie, une plateforme citoyenne d’hébergement désormais bien connue se met en place pour éviter au plus grand nombre de dormir dehors. “Alors même qu’il y a une tendance politique qui va dans l’autre sens…” Quoique… Cette tendance politique a changé depuis le début de l’invasion ukrainienne par la Russie. Les discours se sont teintés d’humanisme.

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Ceux qui voyaient la police venir toquer à la porte sont aujourd’hui les partenaires des autorités fédérales, régionales et communales. De quoi, après trois semaines, se demander si l’arrivée massive d’Ukrainiens et (surtout) d’Ukrainiennes avec leurs enfants pourrait modifier durablement la vision de l’immigration en Belgique. On a posé la question de “l’après” à Philippe Hensmans, mais également à Koen Dewulf, directeur de Myria, et à Adriana Costa Santos, coprésidente de la plateforme et chercheuse à Saint-Louis. “Il est vrai que pouvoir dire: “regardez, beaucoup de gens veulent faire quelque chose, c’est la preuve que vous devez bouger”, c’est un argument important, indique ­Philippe Hensmans. Mais c’est toujours difficile parce que cela pourrait tout autant être un slogan populiste. Répondre à leurs arguments, qui sont ­émotionnels, demande une réponse complexe et structurée. Je pense que l’on doit réinventer cette “émotion intelligente”, qui base sa réponse sur la vérité.” Il fait le lien avec la parfois difficile ouverture de centres d’accueil. “Beaucoup rechignent à voir un centre d’accueil dans leur commune. Une fois passé un peu de temps, l’intégration se fait et les gens sont heureux, dans des communes qui avaient été un peu oubliées, d’avoir une nouvelle population. C’est la rencontre avec les individus qui offre une meilleure compréhension de ce qu’est l’exil.”

Faire durer l’opportunité

Les réfugiés ukrainiens bénéficient de la protection temporaire. Une décision européenne qui octroie automatiquement un permis de séjour d’un an renouvelable et l’accès au travail et aux droits sociaux. “Alors qu’on sait à quel point les personnes qui demandent l’asile en général sont empêtrées dans de ­longues procédures d’attente, avec très peu de droits, rebondit Adriana Costa Santos. Cette activation automatique bénéficiera difficilement aux autres réfugiés car elle est spécifique à la guerre en Ukraine. En revanche, des petites mesures, comme les transports gratuits permettant aux gens d’être rapidement en sécurité, pourraient se pérenniser. On sait combien l’absence de voies sûres et légales insécurise. Accepter le fait qu’il en faut dans des situations de crises humanitaires est positif et on peut élargir ça aux autres réfugiés.

des réfugiés ukrainiens à Bruxelles

© BelgaImage

Pour Koen Dewulf, l’impact de la situation actuelle sur la vision de l’immigration en Belgique “dépendra largement du succès et des solutions qu’on trouvera pour agir sur la crise ukrainienne. On doit pouvoir héberger, aider, accompagner les Ukrainiens. Pour qu’on puisse en tirer des leçons, il est vraiment important qu’on réussisse ce qu’on est en train de ­mettre en place. Ce ne sera qu’au moment où on aura réalisé un dispositif correct que l’on pourra faire des évaluations qui nous aideront dans d’autres situations.” Philippe Hensmans craint également le manque de préparation à moyen terme. “Avec la montée des prix un peu partout, la vie est plus difficile pour une partie de la population, qui est souvent la plus généreuse. Si l’accueil n’est pas bien géré, la ­solidarité risque de s’étioler assez rapidement.

Rallonger la distance d’indignation

Il y a néanmoins actuellement un consensus politique autour de l’aide aux réfugiés ukrainiens. De quoi offrir une brèche pour les associations de droits humains comme Amnesty, dans laquelle elle pourra s’engouffrer dans les années qui viennent? “On a déjà commencé à le faire, sourit Philippe Hensmans. J’ai eu des débats avec le secrétaire d’État Sammy Mahdi et je lui disais que les gens sont prêts. Mais ce n’est pas si facile que ça. C’est une opportunité, mais il faut qu’elle dure et que tout se déroule correctement.” Pour le directeur d’Amnesty, la proximité d’un conflit aide à mieux comprendre ce que vivent les personnes touchées. Le défi sera de parvenir à allonger la distance d’indignation. “Les Syriens ont vécu exactement ce que les Ukrainiens vivent aujourd’hui. Ce qui se passe à Marioupol s’est produit à Alep. C’est un challenge pour les organisations de faire comprendre cela, de faire se retourner une partie de l’opinion publique.

Adriana Costa Santos voit aussi dans les discours politiques actuels un précédent qu’il faudra tenter de pérenniser. “Et cela même au niveau européen. Avec la plateforme, on a été actifs dans la réponse aux crises, qui sont davantage créées par le manque d’accueil que par l’arrivée des réfugiés eux-mêmes. Cette fois, on est là aussi. Et la solution citoyenne a été validée dans la prise en charge des réfugiés ukrainiens. On espère pouvoir continuer de revendiquer ces solutions pour tous les réfugiés qui cherchent une protection internationale en Belgique et en Europe. Ce sont des revendications qui étaient là avant et qui resteront. D’autant qu’on observe un changement de discours et d’intentions, avec un déploiement de ­termes qui étaient ceux des ONG et qui sont aujourd’hui mis en avant par les gouvernements.

manifestation pour les réfugiés

Manifestation de solidarité envers les migrants en 2018. © BelgaImage

Guérir l’infection extrémiste

L’idée sera donc de revendiquer les aides actuelles pour tous les réfugiés. On n’y est pas encore, il n’y a qu’à se promener aux abords du Petit-Château à Bruxelles, le centre d’arrivée pour les demandeurs de protection internationale. “Il y a déjà une sélection qui est faite parmi les réfugiés ukrainiens. Ceux qui viennent d’Ukraine mais qui ne sont pas ­Ukrainiens ne bénéficient pas des mêmes avantages que les Ukrainiens eux-mêmes”, explique Philippe Hensmans. Il est suivi par Koen Dewulf. “Je l’ai dit, on a intérêt à accueillir les réfugiés ukrainiens le plus correctement possible, mais cela ne peut pas être au détriment des statuts et des droits des gens issus d’autres catégories de population. Sur le terrain, on voit qu’il est très difficile pour des personnes afghanes d’obtenir le regroupement familial même lorsqu’elles y ont droit. Il faut être vigilant à ne pas protéger un groupe au détriment d’un autre.”

De quoi ancrer l’idée qu’il y a des réfugiés à aider et d’autres pas, probablement de manière durable. “C’est sur ces questions que l’on veut interpeller les autorités.” Le directeur de Myria insiste d’ailleurs sur le rôle des autorités dans l’impact qu’aura l’ouverture actuelle sur la vision de l’immigration en Belgique. “C’est une responsabilité politique de tout faire pour que ce soit une expérience qui bénéficie d’abord aux réfugiés et qu’ensuite, on puisse en tirer des leçons.” Tirer des leçons et se battre contre les idées nauséabondes, comme le pense Philippe Hensmans. “Il y a eu une infection de la pensée politique par les idées d’extrême droite, qui a touché les autres partis poli­tiques. Lutter contre cela est un des grands enjeux pour les années à venir. Ce qui se passe aujourd’hui pourrait nous y aider, mais ce ne sera pas si simple.” Adriana Costa Santos conclut sur une note d’optimisme, en reprenant les propos du directeur d’Amnesty sur l’habituelle mobilisation des Belges. “À chaque moment de crise, les citoyens se sont mobilisés. Même s’ils ne doivent pas remplacer le travail du gouvernement, qui doit structurer sa politique migratoire, les citoyens prennent conscience des enjeux. Ils anticipent même mieux les crises que les autorités publiques. On pourra toujours compter sur cette conscience.

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