Déclaration de Rousseau sur Molenbeek: un calcul politique?

Les commentaires de Conner Rousseau sur la multiculturalité à Molenbeek font controverse mais de son point de vue, cela pourrait se révéler bénéfique.

Conner Rousseau à Gand
Conner Rousseau, le 6 octobre 2020 à l’université de Gand @BelgaImage

Depuis ce mardi, la polémique est vive suite à l'interview du président du parti Vooruit, Conner Rousseau, par le magazine Humo. Dans l'hebdomadaire, le socialiste déclare: «Quand je roule dans Molenbeek, moi non plus je ne me sens pas en Belgique». Suivent d'autres propos jugés stigmatisants et faux par de nombreux politiques qui n'ont pas tardé à réagir. Une déclaration a priori surprenante venant de la part du leader de la gauche flamande, à moins qu'elle ne soit intéressée.

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Les multiples attaques des socialistes flamands sur l'immigration

Ce n'est pas la première fois que des socialistes flamands se positionnent de la sorte sur le thème de l'immigration. Selon Wim Vermeersch, le rédacteur en chef du magazine politique «Samenleving & Politiek», cette tendance remonte à un électrochoc: le «Dimanche noir» de 1991, lorsque l'extrême-droite du Vlams Blok obtient 12 sièges au Parlement. En 1995, celui qui a longtemps été ministre de l'Intérieur, Louis Tobback, écrit dans son livre «Zwart op Wit»: «ces demandeurs d'asile, qui sont comme des mouettes qui viennent s'installer dans une décharge parce que c'est plus facile que de pêcher ou de travailler le sol chez soi, devraient être systématiquement expulsés». En 2016, le prédécesseur de Conner Rousseau à la tête du sp.a, John Crombez, avait quant à lui soutenu un projet controversé de «pushback» du président du parti travailliste néerlandais (PvdA), Diederik Samsom. Selon celui-ci, il aurait fallu massivement les migrants arrivant en Grèce par la Turquie soient renvoyés vers les côtes turques, au mépris du droit international.

À chaque fois, ces prises de position provoquent un tollé et pourtant, elles se sont multipliées, d'abord au sp.a puis maintenant à Vooruit, y compris au niveau communal. En 2018, l'ancien bourgmestre d'Ostende, Johan Vande Lanotte, prônait alors la «tolérance zéro» pour les migrants en transit pour le Royaume-Uni qui passaient par sa ville. La même année, son collège brugeois, Renaat Landuyt, a fait de ces migrants un de ses thèmes électoraux. Enfin, à Anvers, l'ancien bourgmestre Patrick Janssens avait soutenu pour sa part le projet de bannir le voile au sein de l'administration.

Pour Dave Sinardet, politologue à la VUB et à l'Université Saint-Louis, cela est logique. «Ils ont vu partir une part de leur électorat traditionnel vers la droite radicale», explique-t-il à La Libre en rappelant d'ailleurs qu'en France, des électeurs de gauche sont là aussi passées à l'extrême-droite. «On voit bien d'où vient une partie importante de l'électorat de Marine Le Pen».

La tactique dangereuse de Conner Rousseau

Cette analyse est partagée par Wim Vermeersch, qui rappelle que d'autres partis socio-démocrates ont le même type de dilemme ailleurs en Europe. Idem pour deux journalistes de la VRT assignés à la Rue de la Loi, Bart Verhulst en Johny Vansevenant. Selon eux, Conner Rousseau aurait même en tête une stratégie politique encore plus poussée. Il voudrait non seulement reprendre des électeurs à la droite mais aussi se rapprocher de la N-VA. Selon ces journalistes, le président de Vooruit prend d'ailleurs grand soin de sa relation avec le leader de la N-VA en vue des prochaines élections de 2024. «Bart De Wever a besoin de Vooruit pour conclure un accord avec le PS au niveau fédéral et Conner Rousseau a besoin de Bart De Wever pour entrer dans le gouvernement flamand», déclare Bart Verhulst. Preuve supplémentaire de cette complicité: à Anvers, N-VA et Vooruit sont ensemble à la tête de la municipalité. Les deux partis sont d'ailleurs tous deux attachés aux cours de néerlandais, d'où possiblement l'attaque de Conner Rousseau sur l'usage de langues étrangères à Molenbeek.

Mais quand est-ce que le prix à payer sera-t-il plus grand que ce rapprochement entre gauche et droite? Car déjà maintenant, ces prises de position ont des conséquences concrètes. Dave Sinardet constate ainsi un fossé croissant entre politiques flamands de Flandre et de Bruxelles. Suite à l'interview dans Humo, les critiques ont notamment fusé du côté de la déclinaison bruxelloise de Vooruit, mais aussi de l'Open VLD et du CD&V. Au même moment, le ton était plus léger au nord du pays.

Selon Wim Vermeersch, il y a deux courants au sein des socialistes flamands: ceux qui restent attachés à la solidarité internationale, et ceux qui conçoivent plus le concept de solidarité à un niveau national. Lorsque le pays est en crise ou fait face à une vague migratoire, cette fracture se fait particulièrement sentir. Il rappelle d'ailleurs qu'en 2010, un socialiste flamand sur cinq adoptait déjà une attitude anti-migrants radicale. Une hostilité qui serait plus liée à une forme d'inquiétude pour le «contrat social» qu'à un véritable rejet. Cela se retrouve aujourd'hui dans la position du leader de Vooruit. «La question est, bien sûr, jusqu'où [Conner Rousseau] peut aller et si ce ne sera même pas trop loin à un certain point», conclut Bart Verhulst.

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