Jan Fabre et ses multiples œuvres polémiques

Tout au long de sa carrière, Jan Fabre a suscité de nombreuses controverse. Avec sa condamnation en justice, l'avenir de son œuvre semble incertain.

Jan Fabre à Bruxelles
Jan Fabre à Bruxelles, le 10 septembre 2013 @BelgaImage

Ce vendredi 29 avril 2022, la justice a tranché: l'artiste belge Jan Fabre a été reconnu coupable de faits de violences, brimades et harcèlement sexuel au travail ainsi que pour un attentat à la pudeur. Il a été condamné à 18 mois de prison avec sursis et au versement de dommages et intérêts à plusieurs parties civiles. Un dénouement qui entache fortement une réputation déjà sulfureuse, après de nombreux polémiques suscitées par son parcours.

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Des représentations frappantes

Jan Fabre débute sa carrière dans les années 1980 mais c'est dans les années 1990 qu'il perce vraiment dans le milieu artistique. Très vite, il se fait connaître pour son attrait pour la provocation. En 2001, il se fait remarquer à Avignon pour sa chorégraphie représentant la barbarie au Moyen-Âge. En 2002, à la demande de la reine Paola, il décore un plafond entier du Palais Royal de Bruxelles avec des carapaces de scarabées. Cet animal, qui représente pour lui la métamorphose, la renaissance et la beauté, deviendra un élément central de ses œuvres.

Mais très vite, il divise le public. C'était déjà le cas en 2005 quand il retourne à Avignon pour présenter une nouvelle chorégraphie représentant la bestialité de l'être humain, avec des corps parfois nus. Les spectateurs en ressortent soit conquis, soit très critiques. Le journal Le Monde constate alors que sa représentation «laisse perplexe», «la beauté plastique ne masquant pas le déficit de sens».

Un autre thème de prédilection de Jan Fabre, c'est la relation avec la mort. En 2011, il crée ainsi «Piëta», une sculpture en marbre directement inspirée de la «Pietà» de Michel-Ange. Mais ici, le visage de la Vierge apparaît sous la forme d'un crâne et le corps sans vie de Jésus est remplacé par celui de Jan Fabre lui-même, portant des crânes en main. À Venise, où la statue est exposée, le public italien est choqué, en bien ou en mal au pays du catholicisme.

De controverse en controverse

La première grosse polémique de Jan Fabre survient en 2012. Il a alors pour idée de lancer des chats dans un escalier de l'hôtel de ville d'Anvers. Un témoin rend publique une vidéo montrant la brutalité de la scène et les images choquent. Peu après, l'artiste est physiquement agressé. Pour calmer le jeu, il finit par s'excuser. «Je regrette vivement que ces chats soient mal retombés. Je veux m'excuser auprès des amis des chats. Ce n'était pas mon intention de blesser ou faire mal aux chats. Les chats vont bien», assurait-il.

Ce ne sera dit pas la seule polémique de Jan Fabre. Le thème des animaux est d'ailleurs particulièrement sensible. En témoigne en 2016, son exposition au musée de l'Ermitage, à Saint-Pétersbourg, où il expose de nombreux animaux empaillés, à nouveau sur le thème de la mort. Indignation en Russie, où les visiteurs, parfois venus avec leurs enfants, sont parfois choqués de voir ces cadavres. Sur les réseaux sociaux, de nombreux internautes accusent le Belge et le musée de «cruauté envers les animaux». L'Ermitage a dû se défendre en précisant que ceux-ci avaient été retrouvés morts au bord de la route.

La même année, Jan Fabre fait aussi parler de lui en Grèce. Nommé directeur du festival d’Athènes et d’Epidaure, il organise alors un programme entièrement belge. Les artistes grecs, déjà durement frappés par la crise économique, se sont alors révoltés et ont demandé sa démission, l'accusant au passage de «totalitarisme artistique» alors que le festival a une vocation internationale. En réaction, Jan Fabre a expliqué son choix par le manque de temps et de connaissance de la scène locale. Des arguments qui n'ont pas convaincus puisqu'il a dû quitter immédiatement son poste.

2018: le tournant judiciaire

En 2018, la carrière de Jan Fabre prend un tournant radical lorsqu'une vingtaine d'employés de sa troupe publient une lettre ouverte contre lui, en affirmant vouloir briser «la loi du silence». En pleine vague #MeToo, ils l'accusent notamment de «gestes déplacés, brimades, harcèlement et chantage sexuel». «Beaucoup d’entre nous ont dû rechercher, après leur départ, une aide psychologique et ont décrit leur expérience comme traumatique», précisent-ils.

Conséquence directe de l'éclatement de ce scandale: une vidéo est enlevée de l'exposition Charivari à l'église Notre-Dame de Pamele, à Audenarde. Elle représentait Jan Fabre en train d'embrasser avec beaucoup d'insistence une femme pendant près d'une minute. Par la suite, l'œuvre sera réhabilitée et présentée au public.

Mais de plus en plus, Jan Fabre devient infréquentable. En 2019, un de ses dessins est vendu à la ville de Namur au prix de 25.000€? Un membre du parti Écolo s'en émeut, critique le caractère sexuel du travail de l'Anversois ainsi que le coût de l'œuvre, et évoque des comportements «totalement inadmissibles, voire pénalement répréhensibles». «Est-ce la juste rétribution de l'artiste, pour une œuvre qui semble dessinée sur un coin de table?», déclare-t-il. Les deux autres partis à la tête de la municipalité, le MR et le cdH, ne sont pas de cet avis et finissent par entériner l'achat du dessin.

Distinguer l'artiste de son œuvre?

Cette semaine, la condamnation de Jan Fabre par la justice réactive la polémique. Partout où ses œuvres sont exposées en Belgique, la question se pose de savoir si elles doivent être retirées ou pas. C'est le cas à Namur et Nieuport, où trônent deux immenses tortues chevauchées par un homme. Dans la capitale wallonne, l'achat de cette sculpture avait déjà fait en 2015 polémique, la conseillère indépendante Françoise Kinet que payer 500.000€ pour cela était excessif. Le même climat de tension règne aussi à Louvain avec «De Totem» représentant un scarabée transpercé par un pic, à Bruges avec «L'homme qui donne le feu» ou encore à Gand avec «L'homme qui mesure les nuages». Dans tous ces cas-là, les autorités défendent le maintien de ces réalisations avec le même argument: l'artiste doit être distingué de son œuvre.

Pareil au Parlement flamand où des sculptures recouvertes de carapaces de scarabées gisent dans la «Zuilenzaal». Vooruit demande à ce qu'elles soient enlevées, sous prétexte que «laisser pendre cette œuvre serait un drôle de signal envers les nombreux Flamands et nombreux écoliers qui viennent visiter le parlement». Les trois partis au gouvernement, la N-VA, l'Open Vld et le CD&V reprennent quant à eux l'argumentaire utilisé ailleurs en Belgique. «Comme ces œuvres d'art ne glorifient pas l'homme, il me semble qu'elles peuvent rester», juge Willem-Frederik Schiltz, chef de groupe Open Vld. Il est néanmoins question d'ajouter une mention sur le cas particulier de Jan Fabre.

À Anvers enfin, la statue de Jan Fabre «L'homme portant la croix», où il se représente lui-même, devrait rester dans la cathédrale. Les autorités religieuses estiment qu'il ne s'agit pas d'un hommage à Jan Fabre mais d'une création «invitant à une attitude d'ouverture idéologique et de dialogue», la condamnation de l'artiste en justice ne changeant rien à cela.

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