

Il a la même gestuelle que Charles Michel. Des mains qui se lèvent et des doigts qui s’écartent. Installé au fond d’un canapé en cuir blanc, il est intarissable. II a rassemblé des objets qui symbolisent l’histoire du parti, notamment sa charte fondatrice, datant de 1846. C’est comme ça qu’il a remarqué que le parti allait sur ses 175 ans. Fétichiste, Georges-Louis Bouchez? Il se dit extrêmement attaché à l’histoire et aux symboles. Et puis, c’est une manie, il ne gaspille rien, même pas les emballages cadeau. Sous la table basse vitrée, il a glissé une tenue de coureur de Formule 1 qui symbolise un autre rêve: devenir coureur automobile. “Je m’inspire beaucoup du monde sportif. Le slogan “Fier d’être libéral” vient après une analyse de la communication de différents clubs de football, parce que c’est la même chose.”
Le 1er mai, c’est une fête libérale?
Georges-Louis Bouchez - On est le vrai parti du travail. Aujourd’hui, la gauche n’a plus le travail au cœur de son projet. C’est la raison pour laquelle elle a de plus en plus de difficultés. La gauche a abandonné les ouvriers et les prolétaires pour d’autres types de combats comme les personnes d’origine étrangère ou les migrants. Or, aujourd’hui un petit cadre est peut-être l’ouvrier du XXe siècle. Cette classe-là, c’est-à-dire des gens qui veulent s’en sortir par leur boulot et être récompensé par leur travail est toujours majoritaire. La gauche a remplacé ces gens par des minorités bruyantes déconnectées des classes moyennes. Exemple: le port du voile. Demandez à n’importe quelle famille de choisir entre le fait que la sœur, la mère ou la fille puisse porter le voile dans l’administration et l’opportunité de fréquenter une école de qualité où ses enfants ne seront pas confrontés à la violence. Elle choisira l’école. Mais on a remplacé l’un par l’autre et c’est ce qui a tué le PS français. Nous, la différence, c’est qu’on a des structures syndicales et beaucoup plus de fonctionnaires: les partis de gauche vivent sur les structures du passé.
Mais la droite française n’existe plus non plus…
François Fillon aurait dû être président de la République s’il n’avait pas eu ses affaires. Et Valérie Pécresse était une piètre candidate. Elle n’avait pas les qualités requises. Pour être présidentiable, et j’envisage le rôle d’un président de parti de la même manière, vous devez être profondément habité par une conviction très forte et en relation directe avec ce que les gens ressentent. Et Valérie Pécresse n’avait pas du tout ça. C’est une techno.
Vous êtes très clivant. C’est votre marque de fabrique. Vous pensez qu’on peut l’être à ce point en Belgique, pays du compromis?
Je ne suis pas clivant. Je dis ce que je pense et ça peut avoir pour effet d’être clivant. Mais quand j’entre dans une pièce, je ne me dis qu’il en faut cinq qui me détestent et cinq qui m’aiment bien. Et puis, je suis président de parti. Je ne suis pas Premier ministre. Le rôle d’un Premier ministre, c’est de faire la synthèse dans son gouvernement. Le rôle d’un président de parti, c’est de pousser au plus loin les points de son parti parce que des gens ont voté pour nous et souhaiteraient que 100 % de notre programme s’applique. Et puis, je considère que nos remèdes sont les meilleurs pour le pays.
Ce n’est pas très pragmatique. Et vous mettez en difficultés vos ministres dans les gouvernements…
C’est vous qui le dites. On m’explique beaucoup de choses. Mais regardez le bilan. On a gardé les voitures de société. On a gardé le nucléaire alors que tout le monde nous avait dit que c’était mort. On a pu réaffirmer la neutralité de l’État. Sur l’Accord interprofessionnel, on a pu préserver la loi de 96 par rapport à la compétitivité. Les budgets dégagés par David Clarinval pour les classes moyennes sont extrêmement importants.
Georges-Louis Bouchez, sur le toit du MR, littéralement. © Bernard Demoulin
Pour le nucléaire, ce n’est pas le MR qui a fait basculer le dossier. Ou alors le MR est responsable de la guerre en Ukraine…
Ça, c’est intéressant. Ça veut dire que quand on perd un dossier, ce n’est que de notre faute. Mais quand on gagne un dossier, c’est parce qu’on est des chanceux. Je suis désolé, mais si nous n’avions pas fait ce que nous avons fait dès le mois de juin 2021, il y aurait eu une décision sur la sortie du nucléaire totale dès octobre. Et tous ceux qui auraient pris cette décision auraient eu l’air bien idiots aujourd’hui. C’est Sophie [Wilmès] qui a tenu bon. Bien sûr que dans la vie, vous devez toujours utiliser les circonstances. D’ailleurs, si Elio Di Rupo ne m’avait pas viré de la majorité à Mons, je ne serais pas président du MR aujourd’hui. La vie n’est faite que de circonstances. Je dis toujours que ce qui compte, ce n’est pas ce qui vous arrive mais ce que vous en faites. Le problème en politique belge, ce sont les journalistes politiques parce que les journalistes politiques n’ont que leur lecture des rapports entre les partis.
C’est aussi une de vos marques de fabrique, attaquer les journalistes. C’est payant?
Je m’en fous. Je dis ce que je pense. Moi, j’en ai marre de lire les pages politiques qui sont remplies des petits jeux, de off, de problèmes de relations d’untel avec untel. Les gens s’en foutent. Ce que les gens veulent savoir, ce n’est pas si ma position plaît au président d’Écolo ou pas mais si on va être approvisionné en énergie. Les gens attendent qu’on ait des réponses concrètes et crédibles par rapport aux problèmes qui se posent. Quant aux rapports avec mes adversaires politiques, on n’est pas obligé de se faire des mamours du matin au soir. Mais j’ai méchamment le sentiment que c’est plus un problème quand ça vient de nous…
Pourquoi? Ça fait un peu Calimero…
Mais non, c’est un fait. Le PS a dit qu’il remettait en question la loi de 96. Est-ce qu’un seul journaliste a dit que ce n’était pas dans l’accord de gouvernement? Aucun. Si demain je viens en disant qu’il faut augmenter le budget de la Défense de 3 %, on me dira que ce n’est pas dans l’accord de gouvernement. Quand je débats avec le Belang, on fait des communiqués, on demande une clarification des positions. Conner Rousseau vit dans le même bâtiment que Paul Magnette. Et quand il décrie Molenbeek, on ne lui demande pas de clarification. La réalité, c’est que les journalistes politiques sont eux-mêmes les passagers d’un storytelling rédigé par quatre ou cinq partis de gauche. Et donc le seul parti de droite a souvent le mauvais rôle.
C’est pour ça que vous communiquez en direct comme les populistes…
On peut garder les mains propres et communiquer comme au siècle dernier. Mais le jour où le Belang ou le PTB seront au pouvoir, il ne faudra pas pleurer. Le monde a changé. Tout le monde doit se remettre en question.
Au point d’aller débattre avec le Belang?
La politique, c’est la défense de convictions. Je n’ai pas été discuter avec le Belang. J’ai été m’opposer au Belang. Je précise parce que quand j’ai lu certains papiers, on avait le sentiment que j’avais été boire le thé et qu’on avait passé une chouette après-midi. Ma conviction profonde, c’est qu’il fallait les attaquer. Dire que j’ai légitimé le Belang en allant discuter avec, c’est d’une mauvaise foi crasse. Le Belang a été reçu par le Palais royal.
© BelgaImage
Vous êtes un peu le Robin des bois de la politique…
Je suis juste quelqu’un de convaincu. Et moi, j’en ai marre des gens qui font des grandes théories, assis dans leur fauteuil et après, on voit que ça se déglingue. J’ai 36 ans et je suis la politique depuis l’âge de six ans. Ça fait vingt ans qu’on me dit qu’il faut faire la politique autrement. Ça fait vingt ans qu’on me dit qu’il faut lutter contre les populismes et les extrémismes. Mais on ne change rien. Je suis d’une génération où j’ai toujours connu des partis populistes. Je me souviens d’une époque où le monde était dirigé par Bush, Blair, Sarkozy et Berlusconi. Et toute la gauche criait au scandale. Maintenant, tout le monde signerait pour que les quatre reviennent. Quand on voit qu’on a eu Trump aux États-Unis, quand on voit le désordre en Angleterre après le Brexit, quand on voit qu’on est passé à ça d’avoir Marine Le Pen, qu’est-ce qui va se passer après? On ne peut pas rester à regarder la situation qui se délite et garder les lunettes du XXe siècle. Alors, je dis ce que je pense et ça ne me dérange pas si ça suscite une réaction. Peut-être que ça me coûtera ma place un jour. Mais si vous défendez des choses auxquelles vous ne croyez pas ou si vous avez été lâche, franchement vous serez mal quand vous serez vieux. Moi, je n’ai pas envie d’être mal.
Vous voulez être Premier ministre un jour…
Bien sûr. En tout cas diriger un exécutif. Ce serait un grand honneur.
Vous êtes capable de compromis?
Je ne dirigerai pas un exécutif si ma formation - et moi personnellement - n’avons pas gagné les élections de façon significative. Si vous êtes le vainqueur, la part de compromis est quand même moins importante. C’est un peu comme quand la N-VA a dirigé pour la première fois le gouvernement flamand. C’est clair que ça vous permet alors d’imprimer votre ligne. Mais oui, je suis capable de faire des compromis. Mais des compromissions, c’est-à-dire exactement l’inverse de ce à quoi je crois, non. On peut renoncer à des choses. Mais on ne peut pas voter l’opposé.
Si vous étiez à la place d’Alexander De Croo, vous feriez comme lui?
Il fait son boulot. Mais je ne le ferais pas de la même manière parce que je n’ai pas la même personnalité. Souvent, on dit que la politique doit rester une question d’idées et pas de personnes. Moi, je mets un bémol à ça. Le même projet de société, à la virgule près, porté par Pierre, Jeanine ou Youssef, ça donne trois modes de gouvernances différents. Guy Verhofstadt est un Premier ministre qui marquait fortement sa ligne. Je pense qu’il était considéré comme au moins aussi turbulent que moi.
À quoi carburez-vous?
J’aime ce que je fais. C’est une passion. C’est au plus profond de moi. Et c’est moins l’ambition qui me porte que la volonté de changement. Ma plus grosse adrénaline, c’est de tenter d’être un game changer, la personne qui va modifier les choses. Par exemple, dans le nucléaire, ce qui m’a motivé ce n’est pas de gagner pour gagner. C’était me dire que mon pays avait besoin de nucléaire et qu’on devait l’obtenir. L’adrénaline, c’est que j’ai besoin de réaliser des choses. Il faut que tous les jours je passe des caps. La chance ne sourit qu’aux audacieux. Le lendemain du titre de Marx Verstappen sur le circuit d’Abu Dhabi, on a eu un bureau de parti et la question du nucléaire revient. Et là, on s’est dit: il faut faire comme Verstappen et pousser, pousser, pousser. C’est dramatique qu’une situation de guerre amène certains à changer de position. Mais le débat bouillonnait et j’attendais des rapports internationaux. Macron avait pris le virage nucléaire. Même le Japon et les Pays-Bas. Le risque, c’était que tous les éditorialistes indiquent que Bouchez avait perdu. On ne m’aurait pas loupé. Mais perdre n’est pas un problème si vous avez fait le maximum. Dans mon parcours, j’ai plus d’échecs que de réussites. Ce qui compte, c’est de réussir le jour où ça compte vraiment.
Quels échecs?
Par exemple, j’ai perdu mon poste de député suite à la démission de Jaqueline Galant. Quand en étant quatrième sur la liste, j’ai fait le deuxième score en Hainaut et je ne me suis pas retrouvé élu, c’était injuste. La première fois que je me suis présenté, j’ai loupé le siège à 16 voix près. Le paradoxe, c’est que c’est grâce à ces trois éléments-là que je suis président du MR aujourd’hui. Ce qui compte, c’est de gagner au bon moment. Je ne me compare pas à lui mais si vous analysez la vie de Churchill, il n’a eu que des échecs. Mais il a gagné une fois et c’était le moment où il fallait gagner.