
François De Smet: «La N-VA et le Belang forment ensemble une masse vociférante»

François De Smet a pris l’habitude de venir dans l’hémicycle quand il est encore vide, humer l’atmosphère, respirer le calme avant la tempête. Peut-être est-ce pour se mettre en condition, lui à qui on avait dit qu’une fois arrivé à la tête de DéFi, il devrait apprendre à mordre… Le président de DéFi déplie son siège et s’installe. Il donnera l’interview depuis sa place de combat, dans ce qu’il désigne comme le cœur de la démocratie. Devenu président par devoir, il dit être resté parlementaire par passion...
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Est-ce qu’il faut une septième réforme de l’État?
François De Smet - Pas nécessairement. S’il y en a une, elle doit corriger les erreurs de la sixième mais on pourrait vivre sans. Si elle a lieu, ce pourrait être la première qui fait primer la raison de la gestion sur l’irrationnel du nationalisme. Pendant la campagne de 2019, on avait sorti une proposition visant à évaluer les précédentes réformes en demandant à tous les secteurs comment améliorer les choses. Pour nous, c’est très clair qu’avoir découpé la santé, les allocations familiales et la sécurité d’existence, ça n’a pas de sens. Et c’est une arme antinationaliste. Les nationalistes sont dans un irrationnel où nécessairement leur niveau de pouvoir sera le meilleur quoi qu’il arrive. Même si on prouvait par A + B que la santé serait mieux gérée au niveau fédéral, ils refuseraient toujours cette idée, par dogme. Or, neuf ministres de la santé, ça ne va pas, c’est un fatras épouvantable. Les acteurs de terrain ont besoin d’un seul interlocuteur. Je ne pense pas qu’il faut tout refédéraliser. Je pense qu’il faut des paquets plus homogènes.
Le danger d’une réforme, c’est l’exigence de la scission de la sécurité sociale…
Évidemment. Pour nous, c’est hors de question. Nous demandons par contre une refédéralisation, une seule, c’est tout ce qui concerne la sécurité d’existence: la santé, la lutte contre la pauvreté, les allocations familiales et même la politique des handicaps. Et donc par là même, on s’oppose à la scission de la sécurité sociale, dont la scission des allocations familiales nous montre les dégâts qu’elle pourrait occasionner. On a multiplié les administrations. Il n’y a aucune plus-value d’avoir des allocations différentes en Wallonie, en Flandre et à Bruxelles. Ça coûte plus cher parce qu’il faut engager partout des gens pour les gérer. Ça fait des différences entre les enfants. Ça n’empêche qu’il faut conserver la Fédération Wallonie-Bruxelles et un lien fort entre Wallons et Bruxellois qui devrait même concerner autre chose que l’enseignement et la culture et s’intéresser à la formation, à l’économie, à l’emploi. Évidemment, les discussions ne seront pas faciles si demain on a un bloc nationaliste en face de nous. Il faut venir ici le jeudi voir à quel point la N-VA et le Belang votent souvent ensemble et à quel point ils forment ensemble une masse vociférante. Je ne dis pas que ça va être facile mais les francophones feraient bien de préparer l’échéance.
Paul Magnette, président du PS ne veut plus de réforme de l’État ni de Belgique à quatre régions…
Il a aussi dit qu’on fermerait les sept réacteurs nucléaires et qu’on rendrait la vaccination obligatoire… Les partis francophones - et je regrette qu’il n’y ait pas d’initiative en ce sens - devraient se préparer parce que dire comme d’habitude qu’on n’est demandeurs de rien, c’est compliqué. Ce que les francophones devraient faire et dont personne ne parle, c’est travailler sur eux-mêmes. Les trois entités francophones sont dans un état budgétaire catastrophique; à partir de 2025, les mécanismes de solidarité vont décliner. Je ne vois pas comment on va échapper à une discussion sur le nombre d’intercommunales en Wallonie, le nombre d’OIP ou de parlementaires à Bruxelles. Il faut rationaliser nos moyens. Même si nous échappons à un rendez-vous avec les Flamands, nous n’échapperont pas à un rendez-vous avec nous-mêmes. Et ça ne se résoudra pas par la suppression de la Communauté française.
Pourquoi?
Aucun scénario de scission ne dira qui est compétent pour les universités, par exemple. Ça n’aurait pas de sens de régionaliser l’UCLouvain ou l’ULB. On forme un hinterland commun, les accords de coopération qu’il faudrait mettre en place si on scindait seraient trop difficiles. Par contre, il faut un seul gouvernement. Il faut trouver le bon mécano. Nous avons trop de jeunes qui arrivent à l’âge de 18 ans sans aucune formation. On manque aussi d’une culture entrepreneuriale. Je suis libéral de gauche mais libéral quand même. Il nous manque une valorisation de l’esprit d’entreprendre. Or c’est la clé.

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Le core business de DéFi, n’est-ce pas surtout la défense des francophones?
Entre autres, bien sûr. On défendra toujours les intérêts des francophones là où ils sont en danger, par exemple en périphérie. Nous sommes les derniers à le faire. Il y a 150.000 francophones en périphérie et 300.000 sur l’ensemble de la Flandre. C’est 5 % de la population vivant en Flandre. C’est quand même une grosse minorité. Donc on continuera à défendre le respect de leurs droits. Mais depuis 2015 on a eu l’intelligence de garder notre ADN en développant autre chose. Je me souviens que quand j’étais ado on ne demandait l’avis du FDF que quand une directive flamande ennuyait les francophones. Sincèrement aujourd’hui on donne notre avis sur tous les sujets. Mais je trouve ça dangereux quand un parti abandonne son ADN.
Vous pensez aux Engagés?
Oui. Nous, on commence à être reconnu comme un parti libéral social, tel D66 aux Pays-Bas. Un tas de gens veulent d’un libéralisme qui soit protecteur parce que le capitalisme ne préserve pas des gens de crever de faim dans la rue. Nous revendiquons aussi la laïcité réellement. Peu de partis le font. Et nous promouvons la bonne gouvernance. Aujourd’hui, le “F” de DéFi ne veut même plus dire francophone mais fédéral. C’est un pas osé. On n’est pas anti-Flamands. On est antinationalistes. Je dois dans mes contacts avec la Flandre faire valoir cela parce que parfois on est diabolisé comme si on mangeait des petits enfants flamands. C’est absurde.
Une Belgique à quatre régions, c’est envisageable pour vous?
C’est non. Nous ne sommes pas en Suisse. Nous n’avons pas des régions homogènes sur le plan linguistique. Il y a des minorités dans chaque région. La Belgique jusqu’à son dernier souffle est condamnée à avoir des régions imbriquées qu’on peut simplifier. Le problème c’est l’éparpillement des compétences. Le fait que tout le monde soit compétent pour l’emploi ou pour la santé. Il faut aussi travailler sur les mécanismes d’arbitrage. Le Sénat pourrait jouer ce rôle d’arbitre pour résoudre nos blocages. Mais la Belgique des quatre régions, c’est servir la soupe à ceux qui veulent le confédéralisme.
Contre l’abattage rituel, il fallait voter avec l’extrême droite…
Non. D’abord, c’est notre proposition. On est le seul parti francophone à avoir eu le courage de porter ce sujet avec Groen et le VLD. Il ne s’agit pas d’une interdiction de l’abattage rituel. Il s’agit d’imposer l’étourdissement avant tout abattage. On a dit qu’on voulait interdire le halal et le casher. C’est faux. Rien n’empêche un étourdissement réversible où on abat l’animal non pas avec une tige en métal mais par électronarcose. C’est déjà une forme de compromis. C’est ce qui se fait en Wallonie et en Flandre. Et le lien avec l’extrême droite, je ne le digère pas. Est-ce qu’exiger qu’un animal soit conscient au moment où on l’égorge, c’est une idée de gauche et progressiste? Et le fait d’exiger qu’il soit étourdi comme ça se fait dans des pays musulmans comme l’Indonésie ou la Jordanie ce serait une idée d’extrême droite? Le problème c’est que les progressistes n’ont pas pris leurs responsabilités. En 2024, on remettra le sujet sur la table. Je ne peux pas concevoir que la souffrance animale soit différente à Ciney, à Ostende et à Bruxelles. C’est absurde.
Olivier Maingain ne partage pas l’analyse…
Non, en effet. Mais sa parole n’engage pas le parti. La position du parti est très claire en faveur de l’étourdissement.
Le patron, c’est bien vous?
Bien sûr.