Inondations: un an après, la Belgique est-elle mieux préparée pour gérer la catastrophe?

En juillet 2021, la Wallonie était prise au dépourvue, frappée par une catastrophe d’ampleur inédite. Prévention des risques, réseau d’alerte, reconstruction… Un an après, les chantiers sont nombreux pour préparer la Région à une éventuelle récidive.

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39 morts, 100.000 sinistrés, 48.000 bâtiments détériorés ou détruits, 11.000 voitures endommagées ou perdues, une addition pour les finances wallonnes d’au moins 2,8 milliards d’euros. Et des vies, innombrables, à jamais marquées par la catastrophe. La Wallonie se remet lentement des inondations inédites qui l’ont frappée du 14 au 16 juillet 2021.

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Ces prochains jours, l’heure sera avant tout à la commémoration : à côté des cérémonies officielles, de nombreux événements citoyens sont également prévus à Limbourg, Chênée, Angleur, Trooz, Chaudfontaine… et dans d’autres communes qui ont vu la Vesdre et l’Ourthe déborder.

Mais un an après, le moment est aussi au bilan. Car, comme le répète à longueur de rapports le Giec, l’effet de serre va continuer d’accentuer le nombre et l’intensité des sécheresses comme des épisodes de pluies extrêmes. Alors douze mois plus tard, où en sommes-nous ? En mars dernier, la commission parlementaire d’enquête wallonne chargée d’examiner la gestion des inondations remettait 161 recommandations, nées de 120 heures d’audition et de débats. Qu’a-t-il été fait sur le plan de la prévention des risques, des réseaux de surveillance, de la reconstruction, etc. pour éviter que le pire ne se répète ?

«Toutes les leçons n’ont pas encore été tirées, résumait dans Le Vif Aline Thiry, sociologue spécialisée dans la gestion de crise et la planification d’urgence à l’ULiège. Cela prend du temps, et c’est normal. Les changements nécessaires ne sont pas encore intervenus». «Il faudrait une législature pour les mettre en place, de sorte que des évolutions majeures interviennent en 2026, abondait Sébastien Brunet, professeur de science politique à l’ULiège. Mais des premiers changements significatifs devraient entrer en vigueur dès 2024», prévoyait cet autre spécialiste en gestion de crise.

Mieux prévenir les risques

En amont, c’est la première piste de travail identifiée par la commission parlementaire wallonne : la prévention et la perception des risques. Dans son rapport, la commission recommandait de mieux préparer les services publics à la planification d’urgence et d’encadrer la participation citoyenne en créant une réserve de citoyens volontaires à mobiliser au niveau local.

Savoir comment réagir dans l’urgence, quoi emporter, où aller… Faute d’éducation en matière de perception des risques, tout le monde n’a pas eu les meilleurs réflexes face à la montée des eaux (comme certains sinistrés qui n’avaient pas voulu quitter leur maison à temps, et qui ont finalement dû être secourus en dernière minute). «Sans tomber dans l’alarmisme, les citoyens doivent comprendre qu’en de telles circonstances, ils ont tous un rôle à jouer», pointait dans Le Vif Aline Thiry.

Des alertes rapides et compréhensibles

Les inondations de la mi-juillet l’ont montré :  l’information météorologique et hydrologiques existe, mais n’est pas toujours transmise de manière lisible aux destinataires, que ce soit les politiques, les administrations, les communes ou les habitants. Dans leurs 161 recommandations, les députés ont invité le Service public de Wallonie (SPW) à renforcer son partenariat avec l’Institut royal météorologique (IRM). Auquel ils suggéraient de renforcer ses capacités de modélisation météorologique pour bénéficier de prévisions météorologiques avec un maillage territorial le plus fin possible, ainsi que d’améliorer la communication vers les communes concernées par ses avertissements météo.

La Wallonie doit «s’engager résolument dans le réseau européen Efas», qui relaye les alertes en matière d’inondations, ajoutait le rapport de la commission d’enquête.

La communication vers la population doit également être améliorée: «En concertation avec les médias, il faut intégrer les données hydrologiques vulgarisées dans les bulletins météo grand public en cas de prévisions de crues et, le cas échéant, prévoir la diffusion de messages de pré-alerte et d’alerte».

Gestion des barrages

Dans la vallée de la Vesdre, le barrage-réservoir d’Eupen a été pointé du doigt pour sa gestion de la crue : pour certains, des lâchers d’eau au milieu de la nuit du 14 au 15 juillet auraient aggravé la situation en aval. Les députés se sont bien gardés de désigner des coupables (une enquête judiciaire est toujours en cours), mais ont avancé des pistes pour améliorer les procédures de gestion de barrages en cas d’urgence.

«Nous proposons de définir un cadre légal et d’établir un plan d’urgence pour la gestion des barrages et de rendre la gestion des barrages-réservoirs plus dynamique tout en formant les équipes en vue d’une crise».

Il faudra aussi associer systématiquement les responsables des barrages wallons au groupe de travail en charge des risques d’inondations, aux réflexions des zones de secours et de police, ainsi qu’au développement des plans particuliers d’urgence et d’intervention, recommandait le rapport.

Fluidifier la gestion de crise

Les députés ont également conseillé de travailler sur une nouvelle définition des missions du centre régional de crise qui doit devenir «l’interlocuteur de référence pour les gestionnaires de crise lorsqu’une phase de crise est déclenchée au niveau local, provincial ou fédéral».

Vaste chantier, surtout dans une Belgique fédérale où la coopération entre les différentes entités et niveaux de pouvoir est loin d’être toujours optimale.

Réformer la protection civile

Des habitants réfugiés sur leur toit pendant 48heures, des équipements maritimes et aériens inefficaces, un gros manque d’effectifs… les critiques n’ont cessé de pleuvoir à propos des moyens alloués à l’armée et à la Protection civile, qui intervenait en deuxième ligne après les services de secours.

La ministre de la Défense, Ludivine Dedonder (PS), ne s’est pas gênée pour pointer la réforme mise en œuvre en janvier 2019 par son prédécesseur, Jan Jambon (N-VA). Celle-ci avait abouti sur la fermeture de 4 des 6 casernes que compte la Protection Civile en Belgique. Celle-ci avait conduit, entre autres, à la fermeture de quatre de ses six casernes. Sur le terrain, on réclame plus de moyens, avec notamment l’établissement d’une caserne par province.

Ludivine Dedonder, qui a demandé une étude sur la question (dont les conclusions devraient être rendues ces jours-ci), a depuis mis en avant l’augmentation du budget annuel de la Défense à 6,9 milliards d’euros en 2030, contre 4,2 milliards à l’heure actuelle. Pour la ministre, ces hausses de budget devront renforcer la conduite des opérations militaires, mais aussi celles de soutien à la nation.

Mais là aussi, la coordination des différents services devra jouer un rôle majeur dans les crises à venir. «Si nous avions eu plus de moyens, rien ne dit qu’ils auraient pu intervenir», affirmait ainsi au Vif le colonel Nicolas Tuts, chef d’unité de la Protection civile de Crisnée

Comment (re) construire ?

La question est débattue depuis un an : comment reconstruire les zones sinistrées par les inondations de juillet 2021 ? Le défi est de taille, alors que les habitants sinistrés espèrent un retour à la normale le plus rapide possible. Mais dans le même temps, à cause des risques de «récidive» et du dérèglement climatique en cours, les experts insistent pour «reconstruire autrement».

Un point d’accord émerge : l’idée de «vallées mortes» que l’homme aurait complètement désertées n’est pas praticable. Il faudra encore vivre et travailler à proximité des rivières wallonnes. «En matière d’aménagement du territoire, il faut coconstruire les solutions et réfléchir ensemble aux bonnes pratiques comme le stop béton, l’urbanisation sur les hauteurs en lien avec le ruissellement de l’eau ou l’étalement péri-urbain», expliquait Maxime Daye, le président de l’Union des villes et communes (propos relayés par Le Soir).

Dans leur rapport, les députés demandaient de travailler à «une étude sur l’incidence de l’artificialisation des cours d’eau sur le risque d’inondation», ou de mettre en place «des dispositifs favorisant les mesures de rétention des eaux» à l’échelle d’une vallée. En décembre dernier, Willy Borsus, le ministre de l’Aménagement du territoire, publiait une circulaire précisant et renforçant les règles urbanistiques dans les zones inondables. L’objectif était de se montrer plus sévère dans l’octroi des permis, surtout dans les zones à fort risque d’inondation.

 

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