Les magasins climatisés devront-ils garder leurs portes fermées en Belgique?

Alors que plusieurs villes françaises interdisent aux magasins climatisés de garder leurs portes ouvertes, le débat commence en Belgique.

Magasin à Oxford Street
Un client devant un magasin à la porte laissée ouverte à Oxford Street, à Londres le 15 juin 2020 @BelgaImage

À partir de ce lundi, les magasins climatisés avec les portes gardées grandes ouvertes, c'est fini à Paris! La Ville Lumière a mis un terme à cette fuite d'air conditionné vue comme un gaspillage énergétique et un non-sens écologique. Avant elle, d'autres grandes villes françaises ont fait de même et ce seulement au cours de la semaine qui a précédé: Lyon, Besançon ou encore Bourg-en-Bresse. Ce dimanche, la ministre française de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher, a même annoncé travailler sur un décret pour que la mesure soit appliquée au niveau nationale. Laisser les portes ouvertes, «c'est 20% de consommation en plus et (...) c'est absurde», affirme-t-elle sur RMC. Outre-Quiévrain, le mouvement prend donc de l'ampleur. En Belgique, les incitants sont identiques: la crise climatique, l'inflation des prix de l'énergie due à la guerre en Ukraine, etc. Mais pour l'instant, le ton est tout autre que chez nos voisins.

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Au mieux une discussion ouverte?

Pour savoir ce qu'il en est chez nous, nous avons contacté plusieurs grandes villes des trois régions du pays. En Wallonie et à Bruxelles, plusieurs communes nous ont répondu: Bruxelles-Ville, Schaerbeek, Namur, Liège, Charleroi. Pour l'instant, celles flamandes (Anvers, Gand, Bruges, Louvain) n'ont pas fait de même.

Au sud du pays donc, c'est assez simple puisque tout le monde est plus ou moins sur la même ligne. Si plusieurs localités nous affirment regarder avec attention ce qui se passe en France, faire la même chose dans l'immédiat n'est pas au programme. «La Ville n'a pas encore pris position sur ce sujet», affirme par exemple le cabinet de Fabian Maingain, échevin des Affaires économiques à Bruxelles. «Ce n'est pas qu'on ne va pas y réfléchir mais il n'y a rien de prévu pour le moment», nous fait-on savoir à Liège. À Charleroi, le collège mène «une réflexion globale pour éventuellement adapter le règlement communal afin que le tissu commercial carolo puisse contribuer à la protection de l’environnement» mais pour l'instant, le problème des magasins climatisés n'inquiète pas outre-mesure. «Heureusement, dans le cas qui nous occupe, nous constatons sur le terrain que l’immense majorité des commerçants font preuve de bon sens et ferment leurs portes, que ce soit en hiver ou en été», affirme la municipalité carolorégienne.

Un manque d'infos

Si la protection de l'environnement est une de leurs préoccupations essentielles (d'où par exemple des interdictions de systèmes de chauffage en terrasse), ces localités affirment généralement qu'elles ont besoin de se renseigner, pour «évaluer la mesure et sa faisabilité avant de prendre position», comme on nous le précise à Bruxelles. «À ce stade, nous n’avons pas assez d’éléments pour pouvoir décider d’une réglementation», confirme l'échevine du Commerce de Schaerbeek, Lorraine de Fierlant.

À Namur, Liège et Schaerbeek, le mot d'ordre est le même: inciter les commerces climatisés à fermer leurs portes, du moins en l'état. Schaerbeek préfère par exemple y aller par étapes. Il y aurait d'abord une récolte d'informations. Suivraient éventuellement ensuite une analyse de terrain, une campagne de communication «si le constat est alarmant» voire, «si aucune amélioration n’est constatée», une règlementation à la française. «Puis n’oublions pas aussi que les commerçants connaissent une situation économique difficile», ajoute l'échevine de l'Urbanisme de la capitale wallonne, Stéphanie Scailquin.

Faire pareil qu'en France, est-ce seulement faisable?

Cette dernière va un peu plus loin dans la réflexion en se demandant s'il serait même possible pour elle de faire comme à Paris ou Lyon. «Les commerces sont des espaces privés sur lesquels les villes et communes ne peuvent a priori pas réglementer, contrairement aux terrasses par exemple», affirme-t-elle, bien qu'elle «regrette pour des raisons environnementales évidentes» le fait que des magasins climatisés laissent leurs entrées ouvertes. «Nous analyserons les réglementations des villes françaises avant d’aller un pas plus loin ou non».

Les villes seraient-elles donc pieds et mains liés, du moins en Wallonie? À Liège, on nous confirme que le commerce est bien un espace privé mais est-ce que les portes ne pourraient par exemple pas être considérées comme faisant partie de la façade, ce qui pourrait peut-être changer la donne? Le chef de cabinet de l'échevine liégeoise du Commerce, Élisabeth Fraipont, a beau être juriste, il avoue ne pas pouvoir nous répondre.

Qui des communes ou de la région est responsable?

Pour démêler ce problème, nous avons soumis cette question à Charles-Hubert Born, professeur à l'UCLouvain de droit de l'urbanisme. Premier constat: oui, il n'est pas forcément simple pour les villes d'agir elles-mêmes. Pourraient-elles par exemple miser sur un «guide communal d'urbanisme»? Si cela peut servir à réglementer le type de portes installées (automatiques notamment), ce n'est a priori pas possible pour en contrôler l'usage. «Le Gouvernement n'étant pas encore intervenu spécifiquement sur ces situations, on pourrait cependant se demander si les communes pourraient, dans l'attente d'un arrêt régional spécifique, prendre des règlements de police générale imposant la fermeture des portes des commerces climatisés», estime l'universitaire, en précisant que cette piste doit être creusée pour être confirmée. «On pourrait en effet soutenir, avec un peu de vision, que le dérèglement climatique, contre lequel ces mesures visent à lutter, présente une menace pour la sécurité publique».

La région pourrait également s'emparer de la question selon ses premières informations. «La loi du 28 décembre 1964 relative à la lutte contre la pollution atmosphérique habilite le Gouvernement à prendre 'toutes mesures appropriées en vue de prévenir ou de combattre la pollution de l'atmosphère', auxquelles on peut assimiler les mesures en faveur du climat (comme l'indique l'art 16 du décret climat wallon du 20 février 2014)», dit-il. Cela pourrait donc englober les mesures visant «la consommation d'énergie dans le but d'atténuer les changements climatiques». «Sur cette base, le Gouvernement wallon me paraît autoriser à prendre des mesures réglementaires visant à limiter les pertes d'énergie dans les commerces lorsqu'elles sont liées à l'éclairage la nuit ou au maintien des portes ouvertes dans les immeubles climatisés, en veillant à éviter les discriminations et les mesures disproportionnées», juge Charles-Hubert Born après une ébauche des recherches sur le sujet.

Pour conclure, nous avons donc contacté le gouvernement wallon. Du côté de Willy Borsus, ministre de l'Économie et de l'Aménagement du Territoire, la position est la suivante: «Il me semble de bon sens évident de ne pas laisser les portes ouvertes quand on refroidit ou chauffe un espace. Je ne pense pas que ce soit de compétence régionale mais fondamentalement, a-t-on besoin d’un loi ou d’un arrêté pour appliquer le bon sens élémentaire?», se demande-t-il. Son cabinet ajoute enfin qu'il leur «semble que la décision reviendrait aux villes et communes». Le début d'un ping-pong pour déterminer les responsabilités des deux niveaux de pouvoir? Pour l'heure, le débat n'en est qu'à ses débuts.

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